Apou et sa soeur grandissent dans un petit village du Bengale, au début du XXème siècle. Leurs journées se partagent entre les jeux, la pêche au bord du fleuve nourricier, la cueillette des mangues, pommes-cannelle ou prunes à sanglier, dans la forêt luxuriante … ou dans les jardins des voisins. le soir, leur mère leur raconte le Mahabharata ou le Ramayna, les deux grandes épopées indiennes. Et surtout il y a ce sentier qui s'enfonce dans la forêt et la lointaine voie ferrée, qui emmène vers un Ailleurs, mystérieux mais tellement fascinant.
Avec ce roman, qui par ailleurs fait partie des oeuvres étudiées du programme des études secondaires en Inde et y est donc considéré comme un « classique », l'auteur nous plonge dans son enfance de façon assez unique, car il a su préserver la simplicité et la naïveté de son regard d'enfant et raviver ses rêves d'alors, aussi fous soient-ils.
C'est écrit avec beaucoup de lyrisme, peut-être un peu à l'image de cette nature prolifique, et l'auteur n'est pas avare en allégorie. le ton est parfois sentencieux, mais toujours le rythme est lent, peut-être comme le temps qui semble si long aux enfants …
Certes ce roman n'est pas ce qu'on pourrait appeler une lecture « facile ». Pour en profiter, le lecteur doit abandonner, autant faire que faire se peut, ses façons de voir et s'adapter à ce peuple si différent, mais tellement attachant, avec ses croyances et ses dieux innombrables, ses coutumes et son folklore, sa cuisine, son organisation sociale totalement inégalitaire, …
On est loin de l'exotisme moderne, ce simulacre de la différence dans notre « village » globalisé, où toutes les rues commerçantes alignent les mêmes enseignes, où il est possible de manger un hamburger ou une pizza dans un fast-food d'une chaine occidentale (vous me direz qu'on évite ainsi une tourista carabinée, certes !) ou de visiter un pays sans échanger une seule vraie conversation avec les habitants, où votre GPS vous évitera de vous perdre dans les petites ruelles, …
Avec ce livre, on est loin aussi du roman moderne qui tient en haleine au moyen d'une intrigue grossière, des mécanismes d'écriture qui tiennent parfois des slogans publicitaire. Non ici lire implique de faire un effort vers le texte, d'aller à sa rencontre mais la fin – ah et quelle fin, magiques dernières lignes - n'en sera que plus belle, et le plaisir plus intense …
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Voici un très beau roman qui nous plonge dans un village du Bengale au milieu des bois de bambous et des vergers de mangues. L'auteur s'est inspiré de son enfance. Aussi le ton est-il parfois un brin nostalgique surtout à l'heure du départ, des ruptures qui façonneront une vie. Il entend aussi célébrer la nature malgré l'omniprésence de la mort et de la pauvreté, car, dans cette Inde encore perdue et sauvage, la vie reste rude et fragile. Apou est le fils d'un brahmane désargenté et le plus souvent itinérant. Il est donc seul avec sa mère, qui se débat un peu plus chaque jour face au quotidien, et sa soeur Dourga, son ainée de quelques années. Celle-ci entraine son jeune frère dans ses vagabondages, à la lisière de la jungle, voire ses chapardages, car, pour ces deux enfants pauvres, l'essentiel est de pouvoir répondre à la faim avec quelques fruits dénichés ici ou là. Apou, cependant, s'émerveille facilement, en découvrant des livres, couverts de poussières et déjà rongés, dans une vielle malle appartenant à son père. Il rêve lors d'un voyage de voir passer le train. Il se précipite aux processions et aux fêtes, à moins que ce ne soit à un spectacle de théâtre, de chant et de danse. Les drames sont là pourtant… et on pressent à chaque page leur menace… Mais il semble aussi que Banerji ait voulu, avec beaucoup d'émotion et de poésie, rendre hommage, à cette nature et à ceux qu'il a vu partir.
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En octobre prochain, Gallimard poursuivre le couplage de romans et de leur adaptation cinématographique.
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Plus tard dans la vie il fit connaissance avec la terre baignée par l’océan azurée. Mais lorsque tout son corps frémissait du plaisir du mouvement, lorsque, du pont d’un navire de haute mer, la beauté toujours nouvelle du ciel bleu frappait son regard, qu’un plateau bleu planté de vignes tombât à l’horizon perdu de la mer ou qu’une plage aperçue vaguement au loin lui parût empreinte d’un charme doux et magique comme le don d’un créateur génial, c’est alors qu’il se rappelait, une nuit pluvieuse, les paroles d’une petite villageoise pauvre clouée au lit par la maladie, dans une chambre obscure d’une vieille maison : « Dis, Apou, quand je serai guérie tu m’emmèneras une fois voir le train ? »
La raison de la si grande douceur de cette vie est qu’elle est pétrie de bien des rêves et des illusions. Qu’importe que le rêve soit trompeur, l’imagination vide de réalités ! Sans eux l’homme serait sans cesse harcelé par la nécessité. Ce sont les plus grandes richesses de la vie. Qu’ils viennent donc, que leur place dans l’existence soit éternelle ! Vile nécessité ! Vil profit !
Qu’importe que le poète Kalidas, lui-même, eût pu une nuit de clair lune, il y a des siècles, dans le silence de sa chambre solitaire qu’éclairait une lampe à huile, s’inspirer pour décrire un nuage mouvant d’un rêve de forêt lointaine où résonnaient les cris des paons qui ressemblait à un nuage bleu décrit par un ancien poète ? Depuis plus de mille ans les hommes ont sans le savoir glorifié cette nuit heureuse tombée dans l’oubli. C’est avec du feu qu’on allume le feu ; qui enflamme une torche en l’enfouissant dans un tas de cendres ?
Lorsqu'il marchait il se sentait inondé de joie. Il ne pouvait faire comprendre à personne comme il aimait cette odeur de terre fraîchement brûlée, ces hautes herbes pleines d'ombre, cette plaine pétrie de soleil, ce sentier, ces arbres, ces oiseaux, ces fourrés, ces bouquets ondulants de fleurs et de fruits, ces pois à gratter, ces liserons sauvages et ces clitorias bleues. Il n'avait nulle envie de rester à la maison. Comme ce serait amusant si son papa lui disait : "Enfant, va donc te promener sur les routes." Alors il marcherait, ne ferait que marcher sur le chemin de campagne en gardant les yeux fixés sur les bois au loin emplis du roucoulement des tourterelles, sous les buissons ombragés où pendaient des fruits sauvages. Parfois il entendrait le bruissement des branches de bambous, le soleil de l'après-midi répandrait l'or et la pourpre et des oiseaux multicolores chanteraient.
"Un jour, à cette heure-là, Apou s'était enfermé secrètement dans la pièce en l'absence de son père et avait ouvert subitement le coffre de livres. Avec une extrême avidité il s'était mis à feuilleter un livre après l'autre pour regarder les images et voir dans quel ouvrage il trouverait une belle histoire. Sur la page de garde de l'un il lut un titre Le Résumé de toutes les Connaissances. Il n'avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire ni de quoi il pouvait être question. Quand il ouvrit le livre, une quantité d'insectes, mangeurs de papier, s'envolèrent sans bruit des pages. Apou approcha le livre de son nez et le sentit. Quelle odeur de vieux ! Il adorait cette senteur des feuilles épaisses et couleur de terre qui lui rappelait son père.
La reliure de ce vieux livre était abîmé en bien des endroits. C'était ces anciens volumes-là qu'il préférait. Aussi, il le cacha sous son oreiller, rangea les autres dans la malle qu'il referma. Un jour, il tomba en lisant ce livre sur cette chose extraordinaire. Si on l'entendait dire on en serait stupéfait mais c'était écrit en toute lettre dans le livre ! Il le lisait de ses yeux." (Gallimard - p.154)