Il fait bon parfois flâner entre les tables des libraires, c'est ainsi que j'ai découvert cette pièce de
Beckett éditée avec une nouvelle couverture par les
Editions de Minuit. Intriguée, j'ai lu le résumé, et il a été tout de suite évident que cette pièce était une réécriture de [
En attendant Godot]. Encore une devrais-je dire, puisque je me souviens avoir déjà eu ce sentiment en lisant [
Fin de partie] il y a plus d'une dizaine d'années maintenant.
Dans chacune de ces trois pièces, on est face à un couple de personnages : Vladimir et Estragon dans
En attendant Godot (1952), Hamm et Clov dans
Fin de partie (1957), enfin Winnie et Willie dans cette pièce,
Oh les beaux jours (1960). La particularité dans cette pièce est que les rôles sont très inégaux. Inégaux dans leurs rapports, certes, mais cela est vrai dans les autres pièces, mais aussi inégaux dans leur occupation de la scène, puisqu'ici, la pièce se résume presque à un monologue, voir un seul en scène, avec Winnie qui occupe toute la place et Willie qui est toujours présent mais ne prend part à la pièce que très sporadiquement. Intéressant de noter aussi que Winnie est une femme, ce qui est rare dans l'oeuvre théâtrale de
Beckett, où les personnages semblent masculins, ou plus probablement asexués.
Si l'on reprend les choses dans l'ordre chronologique,
En attendant Godot est une pièce qui interroge,
Fin de partie est plus sombre et plus définitive. Mais
Oh les beaux jours, c'est tout autre chose… C'est une pièce désespérée, dans laquelle Winnie est d'abord enterrée jusqu'à la taille dans le sable, puis, dans l'acte suivant, jusqu'au cou. C'est l'ensevelissement progressif, c'est le rétrécissement inexorable de la vie. On voit Winnie qui se contente chaque fois de moins, qui voit la sphère de son existence se réduire à chaque réplique un peu plus ? Et pourtant elle continue à s'écrier à intervalles presque réguliers «
Oh les beaux jours ». Et ce hiatus entre la situation dans laquelle est Winnie et ce qu'elle dit est tout le coeur de cette pièce, toute la détresse qui en émane.
J'ai du mal à imaginer comment cette pièce est jouée. Il n'y a aucun mouvement. Tout est dans la voix, les intonations et les silences, dans les regards et les inclinations de tête.
Samuel Beckett a d'ailleurs été précis dans ses didascalies, ce qui rend la lecture du texte un peu compliquée, mais qui doit rendre la mise en scène réglée au millimètre près.
J'ai du mal à l'imaginer, mais j'aimerais beaucoup la voir. Je comprends mieux, maintenant la photo de la couverture de la nouvelle édition, avec
Samuel Beckett, debout, les mains dans les poches, et
Madeleine Renaud, qui créa le rôle en France et que l'on voit ici prisonnière jusqu'au cou.
Un texte sombre, qui dit beaucoup en creux sur la condition humaine et la façon désespérée dont la voit
Samuel Beckett. Une pièce de théâtre qui ne remonte pas le moral, c'est sûr, mais met des mots sur ce qu'il est si difficile de dire et de vivre.