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EAN : 9782020125758
192 pages
Seuil (30/11/-1)
4.05/5   52 notes
Résumé :
L'objet que se donne la peinture chinoise est de créer un microcosme, " plus vrai que la Nature elle-même " (Tsung Ping) : ceci ne s'obtient qu'en restituant les souffles vitaux qui animent l'Univers ; aussi le peintre cherche-t-il à capter les lignes internes des choses et à fixer les relations qu'elles entretiennent entre elles, d'où l'importance du trait. Mais ces lignes de force ne peuvent s'incarner que sur un fond qui est le Vide. Il faut donc réaliser le Vide... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
François Cheng nous fait entendre le langage de la peinture chinoise et tente de nous faire comprendre la syntaxe de ses signes.
Qu'est ce qu'un langage sinon la communication de l'expression d'une pensée au moyen de signes ?

La peinture chinoise est donc une « pensée en action », et plus encore un art de vivre, une philosophie, « la somme de leur conceptions de la vie », « En Chine, de tous les arts, la peinture occupe la place suprême ». Suprême parce que sacrée, parce que révélatrice, parce que re-création.
« En chine, l'art et l'art de la vie sont indissociables ». Dans ce « lieu médiumnique », le peintre se transporte, rejoint, atteint.

La tradition picturale chinoise remonte au début du premier millénaire. Successions de dynasties, unifications, divisions, invasions n'eurent de cesse de se succéder. À travers les siècles la peinture n'a cessé de se développer. Depuis la grande dynastie des Chin (3e-5e siècles) jusqu'à celle des Ts'ing (17e–19e siècles), les noms de ces grands peintres ont tracé chaque épisode de son illustre histoire.

Cheng s'attache ici à l'exploration du langage picturale profane, délaissant le courant religieux. Profane mais empli de spiritualité.

L'art du trait, voilà la base de cet art. le trait. Immanquablement il nous revient en mémoire l'étude du point et ligne sur plan de Kandinsky. Ce point qui commençant à vivre, en devenant ligne, évoluant en « nécessité intérieure ». « Voilà le monde de la peinture » disait Kandinsky. Il y a là extraordinaire résonance. « Une ligne unit autant qu'elle divise » écrit Brusatin dans Histoire de la ligne. Et il ajoute « Un point génère le monde, deux points génèrent une vie qui est une ligne... ». le « Peindre » est donc acte universel. « Poser un point, c'est semer un grain ; celui-ci doit pousser et devenir... » Huang Pin-Hung.
Le Trait donc. Ce trait de l'Esprit qui prononce l'état de l'âme. « Un et Multiple ». le Trait d'Union entre l'homme et le surnaturel. Surnaturel puisqu'il devient « aussi vrai que la Nature elle-même ».
Voyages vers des espaces intérieurs infinis, le paysage n'est jamais figuratif. Pour entrer dans ce lieu, il faut comprendre l'aspiration du peintre. « Le regard du peintre est tourné vers le dedans ».
S'il est une particularité propre à ces peintures, c'est la place qu'elles offrent au Vide.
Tout ne se remplit pas. Tout ne se recouvre pas. Rien n'est lié. Tout est relié. Pleins, déliés, vagues, nuages, brumes, tendent par leur multiplicité à l'unité.
Et c'est par ce Vide, ces souffles vitaux que l'unicité de l'oeuvre peut apparaître. « tout est là dans le coeur ».
Le Vide est agissant, dynamique, l'espace nécessaire aux transformations, le lieu où le Plein peut se réaliser, le vide, ce non-avoir, ce Rien, cet élément central de l'école taoïste, l'école de la Voie. La Vallée qui mène à la Plénitude.
« La Grande Vallée est le lieu où l'on verse sans jamais remplir et où l'on puise sans jamais épuiser » - Chuang - Tzu.
L'Eau devient Montagne, la Montagne peut être Eau.
Voici leur Devenir réciproque, « cet universel écoulement, cet universel embrassement ».

Le Vide est le lieu du passage, le lieu des Mutations. Car les choses se reflètent les unes dans les autres. Il n'y a pas de dissociations, il y a basculement, embrassement. Tout n'existe qu'à la condition du Rien. « Toute chose réalise son même et son autre et par là atteint sa totalité ». La peinture chinoise est « une philosophie de vie en action ».

Il s'y passe quelque chose, quelque ici se réalise, aussi bien pour le peintre que pour le spectateur.
Le peintre prend vie dans son acte. La peinture chinoise ne copie pas, ne reproduit pas, ne mime pas, n'interprète pas, ne filtre pas, elle vit l'intériorité de l'être.

Le Vide, lieu d'émanation de l'Un, le Souffle primordial qui donne naissance au deux souffles vitaux : la force active le Yang et la douceur réceptive le Yin. Par leurs continuelles interactions ils animent les dix mille êtres du Monde.
Et pour que ces interactions se réalisent il faut l'action du vide médian qui entraîne les souffles vitaux dans un devenir réciproque.
Il est en somme le maître du ballet harmonique de l'équilibre du monde.
Et c'est ce vide médian résidant en toute chose qui permet à celle-ci d'être en relation avec le Vide suprême.
Deux axes régissent la cosmologie de cet univers. « un axe vertical qui représente le va-et-vient entre le Vide et le Plein, le Plein provenant du Vide et le Vide continuant à agir sur le Plein ; un axe horizontal qui représente l'interaction, au sein du Plein, des deux pôles complémentaires Yin et Yang dont procèdent les Dix mille êtres, y compris l'Homme, microcosme par excellence ». « Le Vide est la vêture du Yang et le Plein coeur du Yin ». Ting Kao.
Le devenir de l'Homme, troisième génie de l'Univers, avec le Ciel et la Terre, réunit en lui leurs vertus et il doit les mener à l'harmonie.
Voilà son voyage initiatique. « c'est ce qu'on appelle la nature innée. Qui perfectionne sa nature fait retour à sa vertu originelle. Qui atteint à sa vertu originelle s'identifie avec l'Origine de l'univers et par elle avec le Vide. »
Dans le coeur de l'Homme doit ainsi devenir le miroir du monde et voir apparaître en lui images et formes et maîtrisant l'Espace et le temps, il maîtrise la loi de la Transformation.
Ainsi est il possible, en suivant la Voie du Tao, de devenir miroir du monde et de soi-même, là s'inscrit la possibilité de vivre.
Rapport, harmonie, équilibre, rythme, mouvement, réciprocité, sont les points majuscules de la pensée et donc de la peinture chinoise, illustrant le Cycle infini du Tao.
Infini et non éternité, voici la grande spécificité de cet espace.
Dérouler une peinture c'est Dénouer le Temps. C'est rejoindre l'Esprit du Monde. Atteindre le Retour, cette « reprise en charge de toute la vie remémorée ou rêvée, sans cesse jaillissante », c'est entrer dans le mouvement circulaire de la Création. Par la « conscience du blanc et a contenance du Noir » accéder au Mystère, à la vision Suprême.
Le Trait, par l'encre et le pinceau, par l'esprit et la main, par le Souffle, par le coeur, par la structure de l'esprit, par l'harmonie de tout équilibre, par le rythme de l'écoulement de chaque chose en toute chose, est devenu un Art.
Pour citer Brusatin, il faut comprendre « comment se construit celui qui construit », ceci afin de parfaitement saisir la vérité de ce qui se construit.
C'est ce que François Cheng par « le Vide et le Plein, le langage pictural chinois », a parfaitement réalisé.
Astrid Shriqui Garain
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Tout jeune, c'est avec cet ouvrage que j'ai découvert François Cheng et la pensée sous-jacente à la peinture chinoise. Cet essai m'avait profondément marqué et c'est avec lui que je m'étais exercé pour la première fois au Shan shui, littéralement « montagne et eau », un style de peinture traditionnelle chinoise alliant expression littéraire et picturale au travers de la représentation d'un paysage naturel.

Comme le rappelle l'auteur, « en Chine, de tous les arts, la peinture occupe la place suprême. » C'est sans doute parce que nulle autre expression artistique ne possède une telle dimension syncrétique. Au travers de cet essai, François Cheng nous présente les éléments essentiels de la pensée philosophique et esthétique chinoise, mettant l'emphase sur une notion centrale, celle du Vide, avant de l'illustrer à partir de l'oeuvre du célèbre Shitao, plus connu en France sous le nom de Moine Citrouille Amère, artiste peintre, poète et calligraphe de la dynastie Qing. Cette seconde partie m'avait parue à l'époque un peu plus cryptique, et ce n'est que bien plus tard, grâce à l'influence de Fabienne Verdier, que j'ai redécouvert Citrouille-Amère avec la traduction de ses propos et les commentaires de Pierre Ryckmans.

Après des préliminaires brossant rapidement l'évolution de l'art pictural au travers des dynasties chinoises, c'est donc au Vide que François Cheng consacre l'essentiel de son essai. le Vide est un pivot autour duquel s'articulent toutes les formes artistiques (peinture, poésie, musique, théâtre) et même notre quotidien. Que serait la musique sans les silences entre les notes ? A quoi servirait une cruche sans le vide qui caractérise son usage ? de même, le vide structure la peinture et permet aussi de comprendre la philosophie et la cosmogonie chinoises. Cheng décortique les dualités (Pinceau-Encre, Yin-Yang, Montagne-Eau, Homme-Ciel), cite Lao-Tzu et Confucius, mais aussi Matisse et Ryckmans, nous emmène en voyage guidé dans les paysages peints et les poèmes qui les accompagnent, ne manquant pas d'offrir de nombreuses images pour accompagner ses propos.

Un essai érudit et lumineux, relu avec grand plaisir.
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Pour qui s'intéresse non seulement à la peinture chinoise, mais surtout à la pensée chinoise, cet essai est une assez bonne vulgarisation qui permet au travers de l'exemple de la peinture de comprendre la notion de vide (et de plein) comme élément dynamique de l'univers, de la cosmogonie. A l'aide de nombreuses citations, nous appréhendons ce qui se cache derrière ces paysages peints certes beaux mais pas toujours accessibles. On voit alors s'ouvrir le cheminement, l'art par la contemplation. Pour la contemplation, les symboles, la philosophie (montagne et eau, le paysage dans l'homme et l'homme dans le paysage).

L'introduction qui résume l'histoire de la peinture chinoise, citant de nombreux noms manque d'illustrations et je conseille de chercher sur le net.

Ensuite, on se concentre beaucoup sur Shi Tao (le moine citrouille amère auteur des propos sur la peinture). A ce niveau, c'est intéressant mais redondant et si la synthèse permet une compréhension rapide avec une bonne contextualisation, lire le moine citrouille amère devient un impératif pour mieux comprendre.

Après lecture de ce petit ouvrage, j'ai regardé le paysage de montagne autour de lac Léman différemment, avec un autre ressenti.
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Pour explorer, se plonger dans un shanshui, un paysage d'eau et de montagne, découvrir la rigueur de l'équilibre et le bonheur de la fuite du pinceau, saisir le sens de la pose de l'encre sans repentir, faire sens avec la perception du beau niché dans la nature...
Un livre essentiel pour amateur éclairé ou spécialiste.
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Pour qui s'intéresse à l'esthétique de la peinture chinoise et à l'influence de la pensée chinoise sur l'art pictural, l'essai de François Cheng constitue à la fois une référence incontournable et une introduction idéale.
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critiques presse (1)
Bibliobs
31 janvier 2022
Ils détruisent ce qui n’est quasiment rien, sinon l’éternité de la nature, et par-là, la « réalité intérieure » de ces peintres… Voilà le message sublime que nous livre aujourd’hui, François Cheng, François comme François d’Assise, Cheng comme fils de la Chine, aujourd’hui plus menaçante que jamais.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
PU YEN-T'U : Toutes les choses sous le Ciel ont leur visible-invisible. Le visible, c'est son aspect extérieur, c'est son Yang ; l'invisible, c'est son image intérieure, c'est son Yin. Un Yin, un Yang, c'est le Tao. Tel un dragon évoluant en plein ciel. S'il se montre à nu tout entier, sans aura ni prolongement, de quel mystère peut-il s'être enveloppé ? C'est pourquoi un dragon se dissimule toujours derrière les nuages. Charriant vents et pluies, il s'élance, fulgurant ; et virevolte, superbe. Tantôt, il fait briller ses écailles, tantôt il laisse deviner sa queue. Le spectateur, les yeux écarquillés, n'en pourra jamais faire le tour. C'est par son double aspect visible-invisible que le dragon exerce son infini pouvoir de fascination… Le paysage qui fascine un peintre doit donc comporter à la fois le visible et l'invisible. Tous les éléments de la nature qui paraissent finis sont en réalité reliés à l'infini. Pour intégrer l'infini dans le fini, pour combiner visible et invisible, il faut que le peintre sache exploiter tout le jeu de Plein-Vide dont est capable le pinceau, et de concentrée-diluée dont est capable l'encre. Il peut commencer par le Vide et le faire déboucher sur le Plein, ou inversement. Le pinceau doit être mobile et vigoureux : éviter avant tout la banalité. L'encre doit être nuancée et variée : se garder de tomber dans l'évidence. Ne pas oublier que le charme de mille montagnes et de dix mille vallées résident dans les tournants dissimulés et les jointures secrètes. Là où les collines s'embrassent les unes les autres, où des rochers s'ouvrent les uns aux autres, où s'entremêlent les arbres, se blottissent les maisons, se perd au loin le chemin, se mire dans l'eau le pont, il faut ménager des blancs pour que le halo des brumes et le reflet des nuages y composent une atmosphère chargée de grandeur et de mystère. Présence sans forme mais douée d'une structure interne infaillible. Il n'est pas trop de tout l'art du visible-invisible pour la restituer !
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CHANG YEN-YUAN : En peinture, on doit éviter le souci d'accomplir un travail trop appliqué et trop fini dans le dessin des formes et la notation des couleurs, comme de trop étaler sa technique, la privant ainsi de secret et d'aura. C'est pourquoi il ne faut pas craindre l'inachevé, mais bien plutôt déplorer le trop-achevé. Du moment que l'on sait qu'une chose est achevée, quel besoin y a-t-il de l'achever ? Car l'inachevé ne signifie pas forcément l'inaccompli ; le défaut de l'inaccompli réside justement dans le fait de ne pas reconnaître une chose suffisamment achevée. Lorsqu'on dessine une chute (ou une source) il convient que les traits soient interrompus sans que le soit le Souffle ; que les formes soient discontinues, sans que le soit l'Esprit. Tel un dragon divin au milieu des nuages : sa tête et sa queue ne semblent pas reliées, mais son être est animé d'un seul souffle.
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Par son plein et son délié, son concentré et son dilué, sa poussée et son arrêt, le Trait est à la fois forme et teinte, volume et rythme.
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LI JI-HUA : En peinture, il importe de savoir retenir, mais également de savoir laisser. Savoir retenir consiste à cerner le contour et le volume des choses au moyen de traits de pinceau. Mais, si le peintre use de traits continus ou rigides, le tableau sera privé de vie. Dans le tracé des formes, bien que le but soit d'arriver à un résultat plénier, tout l'art de l'exécution réside dans les intervalles et les suggestions fragmentaires. D'où la nécessité de savoir laisser. Cela implique que les coups de pinceau du peintre s'interrompent (sans que le souffle qui les anime le fasse) pour mieux se charger de sous-entendus. Ainsi une montagne peut-elle comporter des pans non peints, et un arbre être dispensé d'une partie de ses ramures, en sorte que ceux-ci demeurent dans cet état en devenir, entre être et non-être.
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Par le Vide, le cœur de l'Homme peut devenir la règle ou le miroir de soi-même et du monde, car possédant le Vide et s'identifiant au vide originel, l'Homme se trouve à la source des images et des formes. Il saisit le rythme de l'Espace et du Temps ; il maîtrise la loi de la transformation.

(p.62-63)
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Vidéo de François Cheng
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Question philosophique : notre obstination à nous détourner de l'essentiel peut-elle être la véritable cause de tous nos problèmes ? Réponse poétique : Allez, osons parler de l'essentiel, c'est-à-dire de la mort, mais qui n'est jamais que l'autre nom de la vie. C'est un poète qui le dit.
« Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie » de François Cheng c'est à lire chez Albin Michel.
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