Tout se détruit
Avril et le grésil si fin fulgure
Nous sommes entrés dans le printemps
Je m'appuie à la claie du vent
Je regarde les dons, les grâces
Toute présence alors s'efface
Don maudit, piège quand la trace
Du diable est seule à me narguer
L'air s'emplit d'ailes, d'appels fastes
Même l'oubli paraît un zèle
A ma mémoire coupable
Forêt, torrent, ravin, colline
Qu'ai-je fait pour hériter vos ruines
Qu'ai-je outrepassé dans l'infâme
Pour assister à votre fuite
Chemin, rocher, ruisseau, vallée
Pour vous perdre jour après jour comme Tantale
Sans cesse volé de l'eau limpide et du fruit
Volé moi-même de vos magnificences
Dans la poudre haineuse d'avril
L'air noircit
Le cerisier tombe en cendres
Je vois la lumière descendre
Et se coucher parmi les os des siècles inutiles
Que dois-je expier dans avril
A tout instant dépossédé de mes regards, pauvres songes
Le vent porte un épervier déjà mort
La neige des vergers s'éteint
La forêt flotte comme une troupe de fantômes
Dans la phosphorescence d'un plat d'étain
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L'Aveugle
J'ai vu tes filles, Dieu des armées
Et tout de suite j'ai aimé leurs yeux de brume
J'ai aimé leur chevelure de fougère nocturne
Et l'odeur de la menthe des ruisseaux à leurs tempes
J'ai respiré tes filles, ô Éternel
J'ai bu les gouttes de sueur à leur aisselle
La poussière de l'été à leur cou
J'ai bu leurs larmes à leurs paupières
J'ai mangé tes filles, Dieu jaloux
J'ai tenu la pointe de leurs seins entre mes lèvres
J'ai tenu leur pulpe entre mes dents
J'ai pressé ma bouche sur leur bouche noire et sur leur
[bouche blanche
J'ai happé le serpent charnu de leur langue avec ma
[langue
Maintenant je suis vieux et je suis aveugle, Dieu
[vainqueur
Je n'ai plus ma force d'arbre et mes mains tremblent
Que me reste-t-il de tes filles innombrables ?
Que me reste-t-il de leur rire sous mes doigt morts ?
Chant d'été
J'aime le rouge des coquelicots
Et le sang luisant des martyrs
J'aime le charbon rouge
Et le disque japonais du soleil à l'aube
J'aime la bouche bien-aimée
Et le caillot de la langue renégate
J'aime la paix des haies aux fraises rouges
Et la crête tremblante des coqs criant la fin de la nuit
J'aime tes lèvres ô Sœur
Saignant sous le soc des affamés
J'aime la poitrine du rouge-gorge
Becquetant la prairie au passage des errants
J'aime les gouttes figées en larmes rouges
Nouvelle résine du siècle au bois des chevalets
J'aime la couleur éclairante dans le lointain
Tous les colliers de perles roses des bûchers
En rêve
Cette nuit-là sans inquiétude et sans blâme
Tu me verras venir comme à l'ordinaire
Et tu me détesteras d'être mort
Tu n'auras pas la force de t'éveiller
Ni de pleurer ni de me repousser ô complice
Dans ce songe sans herbe
Tu ne pourras appeler ni fuir mon image trop éprise de toi
Ni ma bouche encore plus inutile
Qu'au temps sans épaisseur maintenant de ma vie
L'AVEUGLE
J'ai vu tes filles, Dieu des armées
Et tout de suite j'ai aimé leurs yeux de brume
J'ai aimé leur chevelure de fougère nocturne
Et l'odeur de la menthe des ruisseaux à leurs tempes
J'ai respiré tes filles, ô Éternel
J'ai bu les gouttes de sueur à leur aisselle
La poussière de l'été à leur cou
J'ai bu leurs larmes à leurs paupières
J'ai mangé tes filles, Dieu jaloux
J'ai tenu la pointe de leurs seins entre mes lèvres
J'ai tenu leur pulpe entre mes dents
J'ai pressé ma bouche sur leur bouche noire et sur leur
bouche blanche
J'ai happé le serpent charnu de leur langue avec ma
langue
Maintenant je suis vieux et je suis aveugle, Dieu vainqueur
Je n'ai plus ma force d'arbre et mes mains tremblent
Que me reste-t-il de tes filles innombrables ?
Que me reste-t-il de leur rire sous mes doigts morts?
Payot - Marque Page - Jacques Chessex - Le dernier crâne de M. de Sade