"En amour les adverbes sont en trop, qu'on le veuille ou non, on aime ou on n'aime pas".
Aucun sentiment en trop ni d'adverbe larmoyant, et qu'on se le dise,
Rafael Chirbes on le goûte ou on ne le goûte pas.
Moi, je me suis repue de sa plume introspective qui ne s'alourdit pas de faux semblants, qui n'efface pas la déchéance face à la maladie et la mort, qui ne cherche pas à excuser le désamour et le dégoût, qui ne couvre pas les turpitudes humaines d'un voile déculpabilisant, mais qui dépose tripes et autres entrailles sur des pages blanches teintées de la complexité d'un amour emporté par le sida.
Brut.
Brut et cru.
Paris-Austerlitz à la sauvageté d'un fauve blessé, la résistance d'une bête féroce qui se dresse tant dans les souvenirs de notre narrateur qu'au coeur même de la maladie.
Des souvenirs passionnés ou brutaux se dresse cette lucidité sombre, de l'insouciance nait la précaution qui ferme une parenthèse caressante devenue urticante.
Unis pour le meilleur et pour le pire n'est là pas l'histoire d'un mariage mais de l'enterrement de la crédulité ; et de la candeur aux mirages la frontière est parfois mince.
De portraits de vie en totale opposition ressort, au delà des classes sociales radicalement opposées, la violence, qu'elle soit physique ou psychologique.
Rafael Chirbes évoque la difficulté d'être homosexuel dans les années 80, les ravages d'un virus qui a décimé des amours ou des amoureux entravés jouissant de leur pseudo liberté dans une société imbibée d'un parfum aux effluves d'homophobie irriguant tous les milieux sociaux.
Puis la passion, aussi trompeuse que les pochettes surprises ou que l'apparence d'un bonbon acidulé gâté. Gratter la surface d'un ressenti pour en extraire ce qui reste de pulsion en substance . Souffrir de cette petite particule du plaisir qui nous tiraille ballottée dans le fleuve Amour entre débat et désir d'en finir.
Ingurgiter le présent pour se dégager du passé.
Si on ne s'attache pas aux personnages, on subit la réalité enfouie des déconvenues , et pourtant, que la lecture est belle, la beauté jaillit de l'abrupt et du funeste nous emportant dans un récit littéraire convaincant et bouleversant.
Il a fallu 20 ans à
Rafael Chirbes pour finir ce roman et ce, quelques mois seulement avant sa mort, est ce à dire que lors de ses derniers souffles, l'acuité d'esprit, la dureté de la vie mais aussi son éclat lui sont alors apparus dans leur plus stricte authenticité ?
Une chose est sûre, je vais, de mon côté, renouer au plus vite avec la virtuosité de Chirbes que j'ai littéralement dévorée.
Paris-Austerlitz, un livre électrisant et poignant.