AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,98

sur 98 notes
5
5 avis
4
5 avis
3
3 avis
2
2 avis
1
0 avis
Pourquoi je m'intéresse à tout ça, ma foi parce que je suis curieux, curieux mais limité dans ma réflexion de par (et je me répète) une éducation intellectuelle chaotique...

Appelez-moi « Cosette »

Sept ans d'apprentissage en ébénisterie et menuiserie c'est très enrichissant professionnellement, intellectuellement et culturellement dans certains domaines... mais très peu métaphysiquement au sens existentiel du terme... (merci bvb)

- Choupette : ça c'est clair… Tu parles d'un menuisier philosophe …
- Moi : la branlette intellectuelle sur les bancs de la fac, ça ne paie pas les croquettes des chats tchitchounette…
- Choupette : Bah c'est pour ça que je t'aime, toi et ma Mauboussin…

Aujourd'hui me voilà donc sur la longue route de la culture et du savoir, prêt à suivre mon petit bonhomme de chemin tranquillou sans pression, pour essayer de combler quelques lacunes indispensables à la compréhension de la nature humaine, de notre société et de notre histoire…

A défaut de comprendre le gratin philosophique des lumières, je préfère rester modeste dans ma démarche en commençant par des auteurs contemporains, sans pour autant être capable des les commenter, ni d'émettre une critique objective. Pour l'instant Je me contente d'apprendre mais j'espère d'ici quelques années pouvoir remédier à tout ça…

Donc j'aime bien André Comte-Sponville, il est clair, agréable à lire, et humble dans ses opinions… Mickbu m'avait conseillé cet auteur pour m'initier à la philosophie contemporaine et Gure a persisté me conseillant à son tour cet auteur, alors pourquoi hésiter…

L'auteur dans cet ouvrage explique suivant des ordres établis par lui même, à la fois distincts mais indissociables, pourquoi le capitalisme n'est ni moral, ni immoral mais amoral… Il évoque le socialisme, le communisme, le libéralisme, Marx, le commerce, l'angélisme, la tyrannie, la barbarie, l'individualisme, l'égoïsme, l'éthique, la religion, l'utopie, la générosité, la solidarité…

Finalement et vulgairement parlant ce n'est point le capitalisme qui immoral mais les individus de nature égoïstes et individuels qui le sont, ce système à défaut d'un autre plus performant reste aujourd'hui incontournable avec ses défauts, ses qualités et bien sur ses dérives…

Dire que c'est mieux ailleurs c'est faire preuve d'angélisme finalement…

Je ne rentrerai pas dans les détails, car j'en suis sincèrement incapable, mais j'ai pigé, hormis la postface complètement hors de ma portée

A plus les copains
Commenter  J’apprécie          438
Bon livre vulgarisateur de l'économie.

Comte-Sponville répond à la question « le capitalisme est-il moral? » par un schéma sociétal composé de 4 ordres: le techno-scientifique, le politico-juridique, le moral et l'ethique. Pour l'auteur, il est primordial de comprendre la spécificité de chacun de ces ordres régissant l'humanité, eux-mêmes définis et comparés grâce à l'aide bienvenue de Pascal, Spinoza, Alain, Freud, Kant, Hobbes et Rousseau… (les boss, évidemment)

Au reste une bonne démonstration logique, imagée par des exemples concrets, des contre-exemples, des définitions et redéfinitions mêlant philosophie, géopolitique et économie. de plus, on retrouve de belles citations, voire un ton humoristique par endroits. Dans un ouvrage d'économie!

Pourrais-je critiquer la conclusion un peu rapide et naïve sur la question de la responsabilité individuelle et de la solidarité. À vous de juger par votre lecture de cet ouvrage qui est une bonne base pour les débutants en éco, et une révision nécessaire pour les plus savants.
Commenter  J’apprécie          102
Bon, bof, bof... Evidemment Comte-Sponville traite ici d'un sujet sur lequel j'ai beaucoup lu et c'est un peu moins "béni-oui-oui" que "Le petit traité des grandes vertus" mais...
Pour le positif on dira que le discours est clair et c'est d'ailleurs une constante chez CS et je comprends qu'on puisse le lire pour s'initier à la philosophie...
Mais pour le reste et sur le sujet précis le livre se contente de dire que le capitalisme est amoral (ni moral ni immoral mais totalement étranger à l'ordre des valeurs) et sous-entendu qu'il revient aux institutions tierces (notamment les Etats) et aux individus d'ériger les contrepoids pour faire que ce "moins pire des systèmes" fonctionne de manière acceptable.
Sauf qu'ainsi présenté l'auteur fait du capitalisme une forme d'entité, de super entité même, totalement extérieure et donc par nature rétive aux autres "ordres". Vu que ce système règne aujourd'hui sans partage dans le cadre de l'actuelle mondialisation, le capitalisme apparaît ainsi comme une sorte d'ordre inéluctable qui in fine dominerait tous les autres, une sorte de "fin de l'histoire", en quelque sorte. Il s'agit ici de mettre les choses au point: CS apparaît comme un penseur modéré mais en contribuant à créer l'impression que le capitalisme actuel constituerait une sorte de fin de l'histoire, CS contribue à corroborer les affirmations des grands prêtres les plus zélés de cet actuel ordre mondial hypercapitaliste mondialisé (Ecole de Chicago en tête).
Or les choses ne sont pas si simples. Le capitalisme et son "Dieu" Marché ne sont pas des entités tutélaires dont on doit nécessairement accepter avec résignation qu'elles gouvernent nos vies pour les siècles des siècles mais des créations bel et bien humaines et donc perfectibles, probablement à l'infini. Et le rappel que jusqu'à présent on n'a pas trouvé mieux ne devrait pas nous détourner de la question essentielle, à savoir celle qui consiste non seulement à réguler de l'extérieur mais aussi à construire de l'intérieur une forme de capitalisme qui intégrerait enfin la dimension de complexité plutôt que de se réduire aux constructions simplistes des économistes néo-classiques. En son temps Keynes proposa des solutions mais le monde a changé. Néanmoins pour ceux qui veulent comprendre la complexité des choses en la matière, je conseillerais plutôt - et par exemple - le petit livre de Daniel Cohen ("Homo Economicus: prophète (égaré) des temps nouveaux"), très simple et bourré d'exemples concrets et issus du quotidien, qui montre bien que l'acteur économique humain "réel", s'il est effectivement mu par des considérations axées sur le prix auquel il pourra obtenir les choses, intègre néanmoins fréquemment et pas toujours consciemment une dimension altruiste dans ses comportements économiques et que, par conséquent, une bonne "politique" économique (au sens large) consisterait à développer ces comportements à la fois vertueux et obéissant néanmoins à la logique du capitalisme.
Commenter  J’apprécie          60
 
Le capitalisme est-il immoral ? Pour répondre à cette question, l'auteur propose un mécano de 4 ordres qui dépendent des uns des autres comme dans un jeu de dominos :
 
Ordre n°1 :
Les sciences et les techniques, dont l'économie, sont amorales.
Efficacité, performance, rentabilité, sont leurs enjeux.
Innovation, prise de risque, investissement, rationalité, preuve, la compétence, en sont les moyens.
Ces activités relèvent plus de la nature que de la culture et restent donc incertains, variables et imprévisibles.
On ne commande au marché qu'en lui obéissant avec pertinence et en manifestant sa crédibilité.
 
Ordre n°2 :
Le corpus politico-juridique s'impose de l'extérieur à l'ordre n°1 pour le limiter ou le libérer.
La communauté, le peuple, le groupe y expriment leurs intérêts et leur volonté dans un jeu de rapports de force.
L'outil de la loi formule et finalise les compromis, consensus et conciliation adéquates et nécessaires.
L'ordre n°2 peut ainsi intervenir sur un système qui permet la faute ou révèle une dérive : pourquoi cette erreur d'appréciation sur la sécurité ? Comment corriger ? Ou bien concernant la spéculation outrancière, quel garde-fou envisager ?  (On retrouve ici l'orientation de l'agence de notation VIGEO de Nicole Notat).
 
Démontrant d'une façon toute churchillienne que, comme la démocratie, le capitalisme est le pire des systèmes créateurs de richesse à l'exception de tous les autres, mais considérant que tout n'est pas marchandise, le but de l'action de cet ordre n°2 est de mettre en place une économie de marché, et non pas une société de marché.
Aussi faut-il distinguer par exemple la libre concurrence des groupes pharmaceutiques sans que le droit à la santé soit remis en cause.
C'est cet ordre n°2 qui est aujourd'hui le plus sollicité : la mondialisation et les technologies de l'information notamment font sortir le juridique et le politique des limites nationales et hiérarchiques qui les fondèrent.
 
Ordre n°3 :
La morale relève de la responsabilité strictement individuelle, de ses choix de conscience, du sens donné à sa mission.
Elle s'incarne dans la personne qui, seule, relève les défis du bien et pose la question du mal, et ce dans le contexte des ordres n°1 et n°2 auxquels elle se trouve confrontée.
Ainsi, idéalement, un cadre courageux  fera-t-il preuve de discipline et exercera sa liberté d'esprit.

La corruption est le fait d'individus corruptibles, et non pas la décision du système.
Un chef d'entreprise malveillant est d'abord un homme personnellement malveillant. 
Pas d'en-soi moral des fonctions.
 
Ordre n° 4 :
L'amour, finalité qui ne se commande pas et n'obéit pas. On n'aime pas par devoir.
Un comportement éthique est dicté par un désir.  On peut faire une charte éthique.
Mais sans adhésion intime, c'est au mieux un système de contraintes, au pire une supercherie.
Le travail pour gagner sa vie –bien sûr- mais aussi comme source de convivialité, projet collectif, utilité sociale, épanouissement.
Pas d'amour : pas de joie, pas d'enthousiasme, pas de carburant ?
 
Ordre n°5 : la religion dont on peut dire la même chose que pour l'amour.
 
è è Problématique de la substitution d'un ordre de réalité par un autre :
Angélisme : un client qui préfère un vendeur bon qu'un bon vendeur risque de ne jamais faire un bon achat. Faire descendre la primauté de l'ordre de l'amour n°4 jusqu'au primat de l'ordre économique du marchand n°1 est ridicule et inefficace. Pas de satisfaction client, pas de profit, et vice versa.
De même, les initiatives humanitaires non rentables ne font pas un humanisme fiable. On ne sauve pas de la misère avec les « restos du coeur ». La création étatique de petits boulots ne résout pas le chômage endémique.
è La solidarité bien comprise des intérêts des acteurs économiques (actionnaires, clients, salariés, producteurs) est le moteur du capitalisme. Pas la générosité. Pas la gratuité.
 
Barbarie : le communisme  a eu tort de mélanger le politique, l'économique et la morale, en prônant la vertu de l'adage « à chacun selon ses capacités et ses besoins ». Faire ainsi monter le primat de la création de richesse n°1  à la primauté des ordres n°2  et n°3 est vain et dangereux : l'entreprise qui ne crée pas de plus-value ne saurait non plus garantir à terme de la valeur humaine. le régime soviétique a dramatiquement illustré cette confusion.
è C'est l'humanité qui fait la dignité, pas le travail. Mais sans travail, pas de richesse.
 
Le pharisien est celui qui formate la foi à la loi, l'ordre n°5 de la religion à l'ordre n°3 de la morale sans passer par l'ordre n°4 de l'amour. Manque de flexibilité, de résilience, de négociation.
è Même en entreprise, pas de lettre, sans esprit et/ou sans coeur.
 
Le Tartuffe , le pur concupiscent, est celui que formate la foi, l'ordre n°5 de la religion, à l'ordre n°1 économique : chute des ordres de l'esprit (n°5) , du coeur (n° 4), de la morale (n°3), et même de la loi (n°2) qui représente toujours l'intérêt collectif. 
è Notre temps est-il victime de la tyrannie des bons sentiments  et de leurs « tartuffes » médiatiques ?
 
Conclusions
Du déficit économique à la déficience humaniste, il n'y a qu'un pas vite franchi dès lors que la logique intrinsèque de chacun des 4 ordres et son articulation avec l'ordre descendant du possible et l'ordre ascendant du sens ne sont pas respectées. 
 
Chaque ordre requiert un template et mobilise une essence : les distinguer est une méthode de lecture des situations, une aide à l'interprétation des conflits, un éclairage des impasses.
èLa subtilité de leur examen et de leur convergence ouvre la voie à des applications et des solutions sur le terrain.

Patricia JARNIER 27 avril 2013
Commenter  J’apprécie          60
La philosophie a quelque chose de fort pratique: on peut l'utiliser pour défendre à peu près n'importe quelle opinion. Il suffit de sélectionner ses sources. Tiens, par exemple, Aristote avait bien justifié l'esclavage!

Comte-Sponville en appelle à Kant, à Rousseau, et surtout à Pascal, pour défendre le capitalisme. Lequel n'en avait pas vraiment besoin, d'ailleurs: il me semble qu'il se porte plutôt bien.

Sa théorie repose habilement sur l'utilisation du mot "ordre", terme popularisé par Pascal pour exprimer le fait que le corps, la raison, et le coeur sont régis par des lois différentes. Comte-Sponville le transpose à sa guise, et décide que l'économie et la morale sont de deux "ordres" différents, que chacune est régie par ses propres lois, et que par conséquent l'économie ne peut être morale. Il nous affirme que l'économie, comme par exemple les maths ou la physique, est une science; il est vrai que si la pomme chute de l'arbre, la morale n'a rien à voir là-dedans.

Mais, à part la classique loi de l'offre et de la demande, quelles seraient ces fameuses "lois" incontournables de l'économie? L'auteur ne s'engage pas dans ce débat, dont on sait qu'il est controversé, les économistes se disputant beaucoup sur ces sujets. Il se borne à nous seriner que les êtres humains seraient "naturellement" habités par le désir de posséder, de s'enrichir. Il semble donc être passé à côté de nombre de travaux d'anthropologues et d'historiens du travail... Marshall Salins, Philippe Descola, David Graeber, ou encore, Dominique Méda. La prédominance de l'argent, de la propriété, on peut la dater du 17ème siècle. Les grecs et les romains méprisaient le travail; l'Eglise catholique prônait la pauvreté. C'est le développement du protestantisme qui a chamboulé le paysage: tout à coup, le fait de s'enrichir n'était plus négatif. Au contraire, cela marquait la reconnaissance par Dieu de la valeur d'un individu.

Compte-Sponville, disais-je, a soigneusement sélectionné ses sources. Il en appelle beaucoup au Rousseau du Contrat social, mais on ne trouvera aucune référence au Discours sur les inégalités. Rousseau, en avance sur l'anthropologie, y avançait déjà que la source des inégalités est dans le développement de la propriété privée. Et que celle-ci n'avait rien de naturel: nombre de sociétés dites "primitives" l'ignoraient totalement.

Et si la morale et le capitalisme n'ont vraiment rien à voir, peut-être Comte-Sponville pourrait-il nous montrer en quoi il favorise (ou pas) le développement de ces grandes vertus, dont il s'était fait le chantre? La justice, par exemple? Il ne peut ignorer l'emprise de l'économie sur la politique, que l'on voit tous les jours (*). Il a certainement lu Milton Friedman, connu pour avoir déclaré que trop de démocratie mettait l'entreprise en danger.

Si à la place du mot "ordre", il avait utilisé les mots de domaine, ou de système, sa théorie montrerait ses faiblesses. L'ordre, cela s'impose, cela fait indiscutable, incontournable: qui serait pour le désordre? Mais dans la réalité, tout est imbriqué... Comme le défend Edgar Morin dans sa Méthode, l'organisation influence le système, et réciproquement, dans une boucle continue. Depuis l'invention de l'agriculture, jusqu'à la révolution industrielle, puis à l'émergence du secteur tertiaire, l'histoire ne cesse de montrer que l'organisation de la production influe sur le système social.

Très logiquement, Comte-Sponville sépare l'économie, les sciences, et la politique, de l'éthique, où il confine les valeurs des individus. Même s'il admet du bout des lèvres que les frontières ne sont pas closes, on lit en filigrane dans son bouquin le récit habituel des adeptes de l'individualisme et du développement personnel: certes, la société marchande capitaliste n'est pas parfaite, mais c'est comme ça, c'est la moins pire de toutes, et ceux qui en souffrent peuvent toujours se réfugier dans leur sphère de valeurs privée: l'amour, la compassion, la politesse...

(*) la liste en serait infinie, du renversement du gouvernement Allende au Chili par les multinationales américaines, au développement de ce que l'on appelle les banlieues moches, en passant par l'affaire Orpea, la mainmise sur les groupes de presse par des milliardaires, les crédits d'impôts accordés aux mécènes qui leur permettent de valoriser leur collections d'art,....
Commenter  J’apprécie          41
Comte Sponville n'est pas un grand philosophe, mais il a au moins un mérite : il ne se paie pas de mots et rive son clou à tout un discours qui voudrait nous faire croire que l'entreprise peut-être morale ou citoyenne . On passe d'ailleurs quelques bons moments à lire les échanges, en fin d'ouvrage, avec des patrons ou fervents partisans du libéralisme économique qui voudraient, bien entendu, en plus de s'approprier les profits tirés du travail de tous, se voir reconnaître le beau rôle en matière morale et qui sont visiblement exaspérés que l'on puisse remettre en cause la vertu qui les anime(rait) quand ils dirigent leurs entreprises ou quand ils se comportent en parfait représentants de l'espèce colonisatrice et opportunistes – comme dirait Paul Jorion. Comte-Sponville les mouche sans les ménager et ça fait un bien fou, même si je désespère qu'ils y entendent quoi que ce soit puisqu'il faut en l'espère, déconstruire des représentations et une langue vide de sens.
Comte-Sponville a un autre mérite, il reste à sa place de philosophe (presque tout le temps) et dans un discours accessible. Il interroge, en philosophe me semble-t-il, son objet ; et y répond en philosophe. Sans épuiser le sujet donc, et parfois en donnant l'impression désagréable de répondre à des questions fondamentales sur l'homme (et en prétendant, ce faisant, qu'il y a une nature humaine et qu'elle est discernable et "résumable" en deux adjectifs), il nous donne des éléments de pensée. Si je ne partage pas tous ses arguments, notamment l'usage qu'il fait de certaines pages d'histoire, pour le coup emprunt de ces représentations du discours dominant que, pourtant, il dénonce dans sa démonstration contre le capitalisme, je suis plutôt convaincu par la démonstration philosophique dans son ensemble, et plus encore par ces quelques lignes : « s'il fallait absolument attribuer au capitalisme un des deux qualificatifs « moral » ou « immoral », le second serait beaucoup plus approprié ! »
Commenter  J’apprécie          40
Petit livre intéressant et facile à lire.

Après avoir d'abord justifié sa question-titre, André Comte-Sponville explicite les 4 (5) ordres qui permettent de définir les limites, dans une démarche très pascalienne. Phrase un peu obscure, mais vous allez comprendre. Très clair, vous-dis-je. Je cite ou résume tout du long.



1 : l'ordre techno-scientifique dit ce qui est vrai ou faux, ce qui est possible ou impossible.

2 : l'ordre juridico-politique dit ce qui est légal ou illégal

3 : l'ordre de la morale dit ce qui est bien ou mal (ce qu'on fait par devoir)

4 : l'ordre de l'éthique, par pure distinction sémantique (ce qu'on fait par amour).

5 : l'ordre divin, pour ceux qui se sentent concernés



Chaque chose appartient à un ordre et a les limites qui vont avec.

Exemples :

- La biologie dit si on peut techniquement cloner des êtres humains ou pas, elle ne saurait dire si c'est bien ou mal. Elle est limitée de l'extérieur par l'ordre n°3.

- La loi ne saurait décréter que le Soleil tourne autour de la Terre, elle est limitée de l'extérieur par l'ordre n°1.

- Elle est également limitée par l'ordre n°3 : "on ne vote pas sur le bien et le mal", seulement sur le légal ou l'illégal, par exemple l'avortement est légal, chaque femme a donc le droit de faire le choix moral qu'elle souhaite. Autre exemple : une loi raciste (Vichy, Afrique du Sud, …) ne rend pas la chose morale pour autant.



Lorsque, partie suivante, on enfreint ces limites, on est ridicule au sens de Pascal. Chez Pascal les trois ordres sont : la Chair, l'Esprit (la raison), le Coeur (la charité).

« On ne prouve pas qu'on doit être aimé en exposant d'ordre les causes de l'amour ; cela serait ridicule ». C'est ce que dit aussi le célèbre : « le coeur a ses raisons que la raison ignore ».

le ridicule est donc la confusion des ordres. Si cela a un lien avec le pouvoir, on appelle ça la tyrannie : « désir de domination, universel et hors de son ordre ».

Le tyran est celui, comme dit Pascal, qui « veut avoir par une voie ce que l'on ne peut avoir que par une autre ».

Est ridicule et/ou tyrannique celui qui veut être aimé parce qu'il est fort, ou obéi parce qu'il est savant, ou craint parce qu'il est beau ...



le roi/patron qui veut être aimé (paternalisme) ou cru (je suis le chef donc j'ai raison) est tyrannique (et ridicule, en passant).

Ce qui n'empêche pas évidemment d'aimer son patron ou de le croire, si est respectivement aimable ou savant. Mais ça n'est pas la force qui est aimable ni crédible.



On dira donc la même chose avec les ordres présents (n°1 à 4/5).

La question : « le Capitalisme est-il moral ? » mélange les ordres. Elle est ridicule. le Capitalisme est un système économique, il appartient à l'ordre n°1 (l'économie est une science), il n'est donc ni moral ni immoral, mais amoral. Ce n'est pas la morale qui détermine les prix, c'est l'offre et la demande. Ce n'est pas la vertu qui crée de la valeur, c'est le travail. Ce n'est pas le devoir qui régit l'économie, c'est le marché.

Si l'on veut qu'il y ait de la morale dans le capitalisme, il faut lui imposer de l'extérieur.



Marx a voulu faire cela. Mais c'était utopique car il comptait sur la moralité des individus, qui auraient préféré l'intérêt général à leur intérêt particulier. Comme ce n'était pas le cas, il a fallu leur imposer par la loi puis par la force, d'où la dérive totalitaire que l'on sait.



le génie du capitalisme est d'être conforme à la nature humaine au lieu d'essayer de la changer : « soyez égoïstes, occupez-vous de votre intérêt, et tout ira à peu près correctement dans le plus efficace des mondes économiques réels : le marché ».



Angélisme et barbarie :

La barbarie est la tyrannie d'un ordre inférieur sur un ordre supérieur.

L'angélisme est la tyrannie d'un ordre supérieur sur un ordre inférieur.



Exemples :

Barbarie techno-scientifique : technocratie (tyrannie des experts) ou libéralisme (tyrannie du marché). De Gaulle dénonçait cela en disant : « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (à la Bourse) ».

Barbarie politique : la morale soumise à la politique : barbarie totalitaire (la fin justifie les moyens, un assassinat peut devenir moral puisqu'il est justifié politiquement. Lénine, Trotski), et barbarie démocratique (règne du "salaud légaliste" si la loi remplace la morale).

Barbarie moralisatrice, ou ordre moral : tyrannie des puritains (soumission de l'amour à la morale)



Angélisme politique : croire qu'on peut vaincre le chômage (qui dépend de données économiques, ordre n°1) en votant une loi (ordre n°2).

Angélisme moral : les Restos du Coeur, les ONG, SOS Racisme, … font du travail formidable, mais elles ne peuvent tenir lieu respectivement de politique de lutte contre la misère, étrangère, ni d'intégration des immigrés. C'est transformer les problèmes politiques en problèmes moraux.

Angélisme médiatique : tyrannie de l'image, on vote pour le gars qui a l'air sympa sans comprendre son programme.

Angélisme éthique : les baba-cool des 70s : « pas besoin de politique, pas besoin de morale, pas besoin de technique, l'amour suffit … »

Angélisme religieux = intégrisme. Prétendre que la religion (ordre n°5) peut dire le bien et le mal (3/4), le légal et l'illégal (2) ou le vrai et le faux (1). On pense bien sûr aux régimes islamistes (si Dieu est souverain, comment le peuple pourrait-il l'être ?), mais n'oublions pas les chrétiens, notamment aux USA, qui veulent par exemple interdire l'enseignement de l'Evolution (ordre n°1) au nom de la Bible (n°5).



L'angélisme n'est pas moins dangereux que la barbarie, il l'est souvent même plus. C'est au nom du Bien qu'on s'autorise le pire.



Responsabilité :

Nous sommes tous toujours dans tous ces ordres à la fois, et rien ne les oblige à nous pousser dans la même direction. On aura donc des dilemmes.

Dans un espace théorique homogène (la physique, par exemple), un problème donné a une solution que toute personne compétente trouvera même si plusieurs méthodes peuvent y parvenir. Lorsque plusieurs ordres sont en jeu, la compétence ne suffit plus, il faut de la responsabilité.

C'est donc le contraire de la tyrannie : c'est assumer tout le pouvoir qui est le sien, dans chacun des quatre (cinq) ordres, sans les confondre, sans les réduire tous à un seul, et choisir au cas par cas, lorsqu'ils entrent en contradiction, auquel de ces ordres vous décidez de vous soumettre en priorité.



La responsabilité est toujours personnelle, on ne peut la déléguer, on ne peut la diluer dans l'équipe qui a pris une décision.

Une entreprise, ça n'a pas d'éthique ni de morale, ça a des clients, des actionnaires, des objectifs, un bilan. Mais c'est justement parce qu'il n'y a pas de morale de l'entreprise qu'il doit y avoir de la morale dans l'entreprise. Les seuls éléments qui peuvent l'apporter sont les hommes et les femmes qui y travaillent ou la dirigent.



On ne peut pas établir de règle générale, comme par exemple : en cas de conflit, je privilégie toujours l'ordre le plus élevé, l'amour, ni au contraire la compétence, l'efficacité (ordre n°1).

On peut hiérarchiser ces ordres (d'où l'ordre de leur définition) de deux manières, de 1 à 5 (hiérarchie ascendante des primautés) ou de 5 à 1 (enchaînement descendant des primats).

En résumé, pour l'individu, on privilégie l'ordre le plus élevé, mais pour le groupe, l'ordre inférieur est plus contraignant.

L'intérêt général et l'intérêt particulier se contredisent généralement.



Dans ce sens, la vie est tragique (non pas malheureuse, mais elle nous soumet à des dilemmes en permanence). « La Pesanteur et la Grâce », pour reprendre le titre de Simone Weil. Plus le groupe est grand, plus il est soumis à la pesanteur.
Commenter  J’apprécie          40
Excellent livre, très didactique. Il est issu d'une série de conferences qu'avait donné André Compte-Sponville. Son contenu est bien plus large que ce que le titre laisse présager: il tente de clarifier nos rapports ambigus et confus à l'économie et au politique.

Et fait inhabituel, il inclut même en annexe le point de vue de contradicteurs ! A lire absolument.
Commenter  J’apprécie          30
Le capitalisme est-il moral, André Comte-Sponville
C'est à une analyse lucide, sans complaisance ni langue de bois que se livre Sponville dans cet excellent opuscule qui décortique avec finesse les rouages de notre économie. En notre époque moderne difficile de mondialisation et globalisation, il est bon d'y voir clair pour faire face aux défis qui s'imposent à notre civilisation. L'auteur regroupe là tous les thèmes qu'il a abordés au cours de différentes conférences à travers la France.
La question posée par le titre peut paraître saugrenue, comme si la morale pouvait interférer avec la politique ou l'économie. En philosophe, l'auteur va exposer son point de vue sur ce qu'est la morale et ses limites dans le contexte étudié.
Il faut bien voir que dans un certain nombre de domaines, la morale n'a pas à mettre son nez. Comment l'économie serait-elle morale, puisqu'elle est sans volonté ni conscience ? Un comportement rationnel et non- raisonnable- nécessaire en économie, n'est pas obligatoirement vertueux ! Sans être immoral, le capitalisme ne peut pas se targuer d'être moral ; il est amoral. Mais cette amoralité est-elle véritablement condamnable comme le voulait Marx ? Sponville, dans ce chapitre explique qu'il était inévitable que le communisme devînt totalitaire et échouât.
« Les hommes sont généralement égoïstes et mettent toujours leur intérêt particulier plus haut que l'intérêt général. Il était à peu près inévitable que le communisme devînt totalitaire puisqu'il fallut bien imposer par la contrainte ce que la morale s'avéra incapable d'obtenir. » Et de poursuivre : « le coup de génie du capitalisme, sa logique propre, son essence actuelle et active, sa puissance intrinsèque, c'est de ne rien demander d'autre aux individus que d'être exactement ce qu'ils sont : « Soyez égoïstes, occupez-vous de votre intérêt et tout ira pour le mieux… » le présent nous montre les limites de cette attitude.
J'ai bien aimé ce livre de 250 pages, très facile à lire, qui fourmille de réflexions pertinentes et conduit à se poser de nombreuses questions, ce qui est somme toute le but d'un opus de philosophie. Pourtant je n'y ai appris que peu de choses ; disons qu'il a mis de l'ordre dans mes idées et structuré ma pensée, donné des arguments pour étayer une conversation ; la technique de distinction des ordres pour décortiquer le sujet est intéressant et permet une approche plus claire des vrais problèmes ; grâce à cette grille, les mots prennent leur sens, comme le mot tyrannie par exemple.
. Sponville est parfois dur dans ses propos, cynique même, mais c'est pour faire éclater une vérité, une réalité, une évidence même si on y réfléchit bien ; je pense à l'angélisme par exemple. Il ne faut pas perdre de vue que Sponville est athée et surtout matérialiste ; point d'idéalisme dans sa démarche et sa vision du monde. Et lui d'insister, sur le fait que l'économie est extérieure à toute préoccupation morale ; on le savait, mais lui martèle...D'où son appel à la responsabilité individuelle pour apporter de la morale et non pas compter sur le marché ou sur la politique. La responsabilité de l'individu est engagée au cas par cas, et cela nous sauve un peu ; car comme disait St Exupéry : "Etre homme, c'est être responsable...."
Donc, cet ouvrage est très intéressant par la technique d'analyse qui pose des jalons, des structures qui permettent d'aborder la question ; les ordres je veux dire. La question en fait est une fausse question puisque le capitalisme n'est ni moral ni immoral mais seulement tout à fait amoral, cqfd.
Finalement, la réponse à la question reste anecdotique, mais les références à Pascal, Marx et Spinoza qu'il est bon d'avoir lu dans le texte (!), sont très intéressantes et aussi culturelles, pourquoi pas.
Le récit reste fluide et aisé à comprendre à tout moment et les thèmes abordés permettent d'avoir un oeil critique sur ce que l'on veut nous faire croire dans les médias. On comprend mieux le monde moderne, le monde actuel avec son libéralisme ; je vois ce texte comme un moyen de mieux comprendre notre société et de mieux la juger en bien ou en mal, plutôt qu'une réponse importante à la question initiale. C'est parfois un peu un vade mecum, un manuel de bonne conduite.
Citations remarquables :
« Nous avons besoin d'une morale qui ne se réduise pas à une politique, mais nous avons besoin aussi d'une politique qui ne se réduise pas à une morale.
« La morale n'est jamais pour le voisin.
« Mettre le chômage hors la loi, cela ne suffira pas à créer un seul emploi.
« Une entreprise, ça n'a pas de morale : ça n'a qu'une comptabilité et des clients.
« Une entreprise, ça n'a pas de devoirs : ça n'a que des intérêts et des contraintes.
« Une entreprise, ça n'a pas de sentiments, pas d'éthique, pas d'amour : ça n'a que des objectifs et un bilan.
« Dans une démocratie, les citoyens ont les hommes politiques qu'ils méritent.
« La gauche est à l'aise dans l'opposition, car il y a toujours des inégalités à combattre ; elle est mal à l'aise au pouvoir où il faut bien essayer d'être efficace.
« Celui qui n'est pas communiste à 20 ans manque de coeur ; celui qui l'est encore à 40 manque de tête.
Et pour finir :

« Il n'est pas nécessaire que le prince soit vertueux, il suffit qu'il passe pour l'être. » (Machiavel)
Commenter  J’apprécie          10
Même si le livre date de 2004 (15 ans déjà), cette réflexion est toujours présente dans l'actualité. le mouvement des gilets jaunes fin 2018 nous a rappelé que la lutte des classes n'est pas un combat du siècle passé, mais qu'il est toujours présent et que le capitalisme nécessite des remises en cause régulières pour maintenir un équilibre entre libéralisme et solidarité. le capitalisme était clairement la cible de ce mouvement des gilets jaunes et nous pouvons légitimement nous poser cette question, à nouveau, de la moralité de notre société capitaliste.

Moi-même qui suit, à travers ma profession, dans ce qu'on pourrait appeler le « business » je me pose régulièrement ces questions : est-ce que la manière dont fonctionne la société est éthique ? Est-ce moral de vendre (des produits, des services, etc) en faisant des marges plus ou moins grandes ? Même si le client est satisfait, n'aurait-on pas pu produire ce service pour moins cher ? Quelle est la morale de tout ça, dans tout ça ?

J'ai bien aimé l'approche de l'auteur. Il nous expose sa vision de la société reposant sur 4 ordres, dont la morale est le 4ème (ordre techno-scientifique / ordre juridico-politique / ordre moral / ordre éthique). Il met en évidence les différences entre l'éthique et la morale, qu'on confond parfois, et ça aide à mieux percevoir les signaux faibles remettant en cause, parfois, ces 4 ordres.
On mélange effectivement souvent, dans nos choix et nos actions, les ordres dans lesquels nous agissons ; ce qui serait « ridicule » (pour reprendre Alain et Comte-Sponville). En l'occurrence, on ne peut pas mélanger le capitalisme et la morale qui sont dans 2 ordres bien distincts, le capitalisme et tout ce qui a trait à l'économie serait donc amoral (ne pouvant être ni moral ni immoral).

J'adhère ! C'est clair, c'est argumenté et illustré. Je partage cette vision et je me rends compte que j'essayais déjà de l'appliquer au quotidien, sans l'avoir théorisé jusque-là… Qu'on partage cette vision, ou pas, ce type de livre permet d'ouvrir nos horizons, nous aide à penser notre société et à se projeter soi-même dans le monde. Merci !
Commenter  J’apprécie          10




Lecteurs (302) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
438 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}