Etoiles Notabénistes : *****
Editions : Flammarion - 1926
Date d'impression de l'exemplaire présenté : 1967
ISBN : non utilisé à l'époque
On ne peut pas dire que ce soit l'un des "grands" romans de Delly. N'empêche, l'analyse psychologique est fine, très fine, même, et permet de passer sur le côté parfois un peu trop "religieux" de l'ouvrage.
En gros, nous avons un aristocrate italien et veuf, le marquis Silvio Orcella, qui, bien que toujours amoureux de sa défunte épouse - il lui a fait construire un mausolée superbe dans le parc de sa demeure - se voit contraint de se remarier pour donner un héritier à son nom.
Dans ce but, poussé fortement par son père, un homme par ailleurs très plaisant, très bon et aidé par les relations d'une vieille amie de sa famille, donna Francesca, il se met en quête et fixe son choix sur une jeune fille de bonne famille, Ginevra Campestri, aussi brune et sérieuse que sa précédente épouse, Hélène Duvivier, était blonde et superficielle. Ginevra, vous l'aurez deviné, ne possède qu'une très modeste dot - si encore elle en a une, détail qui ne s'est pas fixé dans ma mémoire, je l'avoue. En outre, dès le départ, avant même d'avoir fait sa demande, le marquis insiste pour que la jeune fille soit mise au courant des raisons qui le poussent au mariage et aussi du fait qu'il conservera un amour éternel à sa première épouse.
Chez les Campestri, Ginevra fait face avec courage et accepte ces étranges fiançailles. C'est que la pauvre petite se doute bien que, si elle refuse, son père, historien dont les livres rapportent très peu, et sa belle-mère, donna Maria, froide, qui l'estime certes mais ne l'aime pas, risquent de tout perdre. Et ce serait d'autant plus terrible que Ginevra a une demi-soeur plus ou moins tuberculeuse, la petite Cecca, qu'elle adore et qui le lui rend bien.
Bref, voilà notre étrange couple marié. Si Silvio est, en public, froid et réservé avec sa femme, il ne la prive de rien hormis trop souvent de sa présence. Il accomplit également son devoir envers les Campestri qu'il a pris plus ou moins en charge et s'attache peu à peu à Cecca. Dans le vaste manoir Orcella, ne reste le plus souvent, pour égayer les longues journées de Ginevra, que son beau-père, lequel, nous croyons l'avoir déjà dit, se montre par contre très bon pour elle et ne se gêne pas pour blâmer son fils lorsqu'il se retrouve seul avec lui.
Par l'opération du Saint-Esprit - on en a du moins l'impression - Ginevra devient enceinte des oeuvres de son époux dont le visage fin, long et mélancolique s'éclaire alors de plaisir. le bébé vient au monde, fort beau mais est hélas ! victime de ce que nous nommerions aujourd'hui "la mort subite du nourrisson." le désespoir de Ginevra est tel que même son époux en est touché et fait tout ce qu'il peut pour l'arracher à la dépression qui la menace.
Peu à peu, parce qu'il le faut bien, la jeune femme se remet mais elle ne cesse de ressasser que Silvio ne l'aime toujours pas et, malgré tous ses efforts, son entourage s'aperçoit de sa tristesse, surtout la petite Cecca ...
Celle-ci a alors l'une de ces idées qui ne peuvent naître que dans un roman de Delly et qui contribuent à donner à ce roman, déjà emprunt par son essence d'une forte mélancolie, une fin édifiante mais assez triste - sauf pour le couple, enfin uni.
Bref, un Delly mineur, qu'on aime pourtant à lire. Pourquoi ? Bien malin qui pourra le dire ... L'atmosphère, l'analyse des caractères - cela est indiscutable - et aussi une touche d'ineffable ... Enfin, à nos yeux, en tous cas. Certains parleront de "gnangnantisme", d'autres ne sentiront rien et trouveront la chose bien banale en se rappelant ce véritable roman d'aventures qu'est "La Lune d'Or" par exemple.
Mais enfin, si vous avez un coup de blues un de ces soirs, sur la plage, si vous avez envie d'avoir la larme à l'oeil en savourant votre volupté masochiste, allez-y de bon coeur. Et puis, quand même, c'est du Delly ... ;o)
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[...] ... Après cela, elle s'assit à côté de sa sœur et toutes deux travaillèrent en causant d'autres sujets. Mais Ginevra avait été péniblement impressionnée. Silvio s'en aperçut, quand il vint un peu plus tard chercher sa femme à l'heure du thé. Il lui demanda, tandis qu'ils revenaient à la villa :
- "Êtes-vous souffrante ? ... ou plus fatiguée ?"
Elle répondit négativement et lui raconta ce qui motivait son émotion. Il l'écoutait pensivement, en regardant Cecca qui s'avançait à quelque devant eux, en compagnie du chien de Ginevra ...
- "Cette enfant réfléchit trop, beaucoup trop. L'esprit use l'enveloppe."
Ginevra demanda avec angoisse :
- "Silvio, croyez-vous qu'on ne puisse la sauver ?
- Mais j'espère que si, au contraire, ma chère amie ! Nous ferons tout pour cela, d'ailleurs. Allons, ne vous inquiétez pas ainsi, je vous en prie ! C'est une idée surgie dans cette petite tête d'enfant, et dont elle ne se souviendra plus tout à l'heure.
- Cecca a toujours des idées sérieuses, et longuement mûries. Elle doit penser très souvent à la mort depuis qu'elle se sent plus malade. Mais elle ne paraît pas la craindre."
Elle se tut un instant et ajouta :
- "Elle a raison ... Je voudrais être comme elle. Mais moi, j'en ai peur." ... [...]
[...] ... Ginevra sut trouver des mots justes et charmants pour exprimer à son futur beau-père l'admiration que lui inspiraient les jardins d'où elle venait. Don Paolo la considérait avec une visible sympathie. Il la fit asseoir près de lui, pendant la collation servie peu après, et s'entretint plus particulièrement avec elle, tandis que son fils réussissait à rendre le chevalier [Campestri] presque loquace en lui parlant de ses chères études.
L'automobile ramena les Campestri à leur logis. Silvio les y accompagna. Au retour, il alla rejoindre son père sur la terrasse.
Don Paolo dit vivement :
- "Ton choix est parfait, mon enfant. Cette jeune fille me plaît beaucoup.
- Eh bien, tant mieux, mon cher père !
- Et à toi, Silvio ? ... à toi ? ..."
Silvio dit froidement :
- "Elle est ce que je désirais : distinguée, suffisamment intelligente, et bonne, je le crois.
- Jolie aussi, très jolie, vraiment.
- C'est incontestable. Enfin, je suis heureux qu'elle vous soit sympathique, mon père.
- Je te le répète, elle me plaît infiniment. Je crois qu'elle sera pour toi une compagne charmante, Silvio."
Le jeune homme ne releva pas cette parole. ... [...]
Après tout, il devait être possible de vivre ensemble sans amour. Il suffisait d’avoir l’un pour l’autre beaucoup d’estime, de la sympathie, même un peu d’affection, que fortifierait l’habitude. Ils pourraient avec cela se trouver très heureux, en comparaison de tant d’autres ménages où l’amour avait si vite fait place à la désunion, et quelquefois à la haine.
Quand on aime, on s’aveugle volontairement, pendant un temps plus ou moins long. Et puis on voit plus clair un jour. Les illusions tombent. On remarque moins les qualités de l’être cher, et beaucoup plus ses défauts. Il arrive aussi qu’avec l’âge mûr, on aimerait un peu de calme, on souhaiterait jouir de son foyer.
C’est une femme charmante, comme relation mondaine. Mais comme épouse, comme mère, il lui manque l’aptitude au dévouement, le goût de répandre la joie autour d’elle, et toutes les petites vertus qui nous attachent, qui nous retiennent, nous autres hommes, après que se sont évanouies les illusions de l’amour.