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sur 17275 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Qui ne connaît pas « Madame Bovary » ? Sans l'avoir lu, sans avoir vu ses adaptations cinématographiques, on a au moins entendu une fois parler de ce roman de Flaubert, le plus célèbre de l'auteur assurément. Posséder quelques bribes de l'histoire, celle d'une jeune vierge nourrit aux lectures romantiques qui se retrouve mariée à un homme terne, aimant certes mais sans envergure et sans passion, qui s'ennuie dans sa province normande et qui croit trouver dans ses amants l'accès à ce bonheur idéal qu'elle n'atteindra jamais, est une chose. Lire cette oeuvre monumentale de la littérature française en est une autre.

La lecture d'un roman dit classique me procure, généralement, toujours le même effet : je suis estomaquée par la beauté du style, que cela soit dans des descriptions à la fois réalistes et poétiques qui nous donnent à voir un tableau ou bien dans les dialogues qui nous révèlent une peinture sociale sans filtre et sans complaisance, et par la teneur du thème qui chahute les bonnes moeurs de l'époque, qui bouleverse les esprits hypocrites bien pensants avec un personnage absolument hors norme.
« Madame Bovary » est de ces classiques. Et Emma Bovary est hors norme.
Si son histoire est a priori banale - une femme qui s'ennuie dans son ménage et trompe son mari –, c'est son insatisfaction permanente, son désir absolu d'atteindre un bonheur qui se conjugue avec passion et ivresse, idéalisé par ses lectures romantiques de preux chevaliers, qui révèle un personnage prêt à tout pour atteindre ses rêves. Emma désire, Emma franchit les interdits, Emma aime passionnément, Emma pleure. Emma se meurt. Et Emma recommence.
Car même dans les rares instants où elle n'est plus dupe de ses illusions romantiques, elle tente une nouvelle fois de reconquérir une certaine valeur d'idéal, encore et toujours. Jusqu'au jour où la réalité la rattrape pour de bon.

« Madame Bovary, c'est moi ». Cette citation de Flaubert, sujette à controverse, déclarée même comme fausse, n'en résume pas moins le sentiment qui imprègne le lecteur à la fin de sa lecture. Celui d'avoir assisté à l'incroyable incarnation d'un personnage par son auteur. Incroyable car le personnage est une femme adultère pleine de passion et de contradictions et que l'auteur est un homme. Incroyable car nous sommes à la moitié du XIXe siècle dans une société étriquée où on ne plaisante pas avec la morale. Incroyable car l'on pourrait dire « Madame Bovary, c'est nous », lecteurs. Les émois d'Emma, nous les partageons : sa folie passionnelle, son abandon, ses peurs face aux créances, ses faiblesses, ses rapides tendresses vis à vis de sa fille et de son mari, ses divagations. Emma transpire en nous.

Outre ce personnage inoubliable, le tableau dressé par Flaubert de cette société provinciale du XIXe siècle est virulent dans la démonstration d'un monde pétri de fausse morale et petit d'esprit, de la lâcheté des hommes et de la convoitise du moindre petit pouvoir. Toutes les pseudo valeurs de l'époque sont attaquées par l'écrivain à travers les différents personnages du roman : le mariage, la maternité, le commerce, la banque, l'Église, la science, l'État, le théâtre, et même le roman… Quelle satire sociale incroyable !
Voilà, tout a déjà été écrit sur cette oeuvre. Tout reste encore à dire.
J'en ressors éblouie par le talent d'un artiste – et non d'un simple écrivain - car à ce stade, nous sommes effectivement face à une oeuvre artistique . le temps passant, lire des oeuvres comme « Madame Bovary », comme lire les romans de Zola ou Maupassant m'apparaît comme parcourir un musée et être émerveillée par la beauté et la puissance évocatrice des oeuvres qui s'offrent à nos yeux.
C'est à chaque fois une bulle enchanteresse, pleine d'émotion.
Un instant où on touche l'Art du doigt.
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Tatatata tatatata...(ouverture de la Vème symphonie de Beethoven, pour ceux qui n'auraient pas reconnu) Oyez, amis Babéliotes, étant à une place du classement argent de la critique, j'ai décidé de frapper un grand coup pour fêter ça : le morceau de bravoure de tout babéliote, la critique de Madame Bovary ! (Il y a aussi Orgueil et Préjugé, on verra plus tard...)
Bon, que dire sur Emma, qui a usé à elle seule toute l'encre disponible depuis sa publication ?
Je vous passe l'histoire.
Je l'ai lu au moins cinq fois. C'est une oeuvre de génie : elle change de sens à chaque fois qu'on la relit, elle s'enrichit , car elle dévoile peu à peu des secrets de l'existence qui ne sont accessibles qu'en vieillissant. Elle devient insoutenable, en tout cas pour moi, et c'est une vraie douleur à lire, la mort d'Emma, plus jamais, plus jamais ! Tous les thrillers sanglants à côté, c'est de la bouillie pour chaton. La mort d'Emma, elle fait mal physiquement et elle broie le coeur. Rien que d'y penser, j'ai mal. Ca , c'est de l'écriture, messieurs-dames.
On la fait lire aux lycéens. C'est idiot, mais c'est le programme : le réalisme...Mieux vaut faire lire du Zola et du Maupassant, à mon avis. Parce que Flaubert ne parle pas à tout le monde, il parle aux adultes. Il parle de la désillusion et de la mort de tous les rêves de la jeunesse : à quoi bon le révéler à nos enfants ? de toutes façons, ils ne nous écoutent pas, et ils n'écoutent pas Flaubert non plus, ils ne peuvent pas comprendre.
Flaubert nous met en garde contre les dangers de la lecture des romans...C'est très ironique. Emma, ivre de livre et de romantisme échevelé, attend son prince charmant. Elle tombe sur Charles Bovary. Adieu Roméo et Juliette. Non, elle s'obstine : Rodolphe, un brun ténébreux musclé au cou de taureau. C'est Heathcliff, c'est Rochester ! Emma se fait des films...Mais non, c'est juste un mec de tous les jours qui l'aime bien mais sans plus. Alors Léon, c'est Julien Sorel et elle, madame de Rênal...Non, non, juste un garçon de son siècle, très moyen. Donc lire, amis Babéliotes, nuit gravement à la santé ! On s'imagine des choses qui n'existent pas, du genre passion éternelle, courage, loyauté, mort glorieuse dans le poison, remords et rédemption, gouvernante moche aimée par un beau brun trapu, vent sur la lande et fantômes à la fenêtre...Heureusement, Gustave est là pour nous calmer avec un très grand seau d'eau glacée !!
Avec Emma, Flaubert réussit à construire un personnage en trois dimensions : ce qu'elle est ne correspond pas à ce qu'elle croit être. Elle tente de se conformer à ce que l'on attend d'elle : épouse, mère, mais elle n'y arrive pas. Flaubert annonce Foucauld : l'esprit humain est la construction d'un discours social, d'un dictat social. Mais elle ose dévier, écouter autre chose, et en cela elle est forte, il me semble, même si ce discours n'est toujours pas le sien, mais celui des romans. Elle ne se trouve pas, elle n'existe pas...Parce qu'on ne lui permet pas d'exister, on ne lui en n'a pas donné les moyens. La société patriarcale nie les femmes.
Alors elle se transforme en porte-manteaux, en pure apparence de femme, et entraîne dans sa chute autant de monde qu'elle peut. C'est son côté Erinye, Furie vengeresse.
On pourrait aussi beaucoup parler de Charles, de Homais etc...Mais ça deviendrait long...
Alors je vais finir par le cri de son père à sa mort :
" – Ma fille ! Emma ! mon enfant ! expliquez-moi... ?"
Ma fille, Emma, mon enfant...Non, c'est impossible, c'est trop dur, je ne le relirai plus.
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C'est un "vrai" chef d'oeuvre pour moi ! Un livre bouleversant, mais pas que.
C'est-à-dire que j'utilise " l'expression "grand oeuvre", employée pour désigner l'oeuvre de toute une vie, souvent la plus renommée, la plus marquante, d'un penseur, écrivain, artiste, ou compositeur."
Flaubert est là, à mon avis, au niveau De Balzac, Hugo ou Zola !
C'est une peinture réaliste d'une société villageoise du milieu du XIXè siècle.
Ce livre, non seulement analyse chirurgicalement nombre de personnages d'un village, Yonville, dans le pays de Bray, mais en outre, il nous engage à nous poser beaucoup de questions. Enfin, Gustave Flaubert parachève son oeuvre jusqu'au bout, jusqu'aux conséquences des actes des personnages.
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Emma Rouault est la fille d'un brave fermier normand. Celui-ci se blesse ; le docteur Charles Bovary vient le soigner. Il tombe sous le charme d'Emma ; les parents respectifs consentent au mariage.
Mais Emma veut plus que cette petite vie paisible de femme de médecin de campagne. le couple est invité au bal du marquis. Un vicomte l'invite à danser ; elle sent que c'est dans ce monde faste qu'elle veut vivre, et non cette vie de village plate, avec un mari trop falot...
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Psychologiquement, je ne dirai rien sur le caractère passionné, emporté d'Emma, ainsi que sur ses actes instinctifs : tout cela est admirablement et très finement analysé par l'auteur, qui, je pense, arrive à se mettre dans la peau et le coeur d'une femme.
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Sociologiquement, que peut-on dire, en 1857, de cette femme qui est obligée de se cacher pour aller voir ses amants, alors que Louis XIV se promenait avec ses maîtresses à la vue de tous dans les jardins de Versailles ?
Il y a d'abord cette inégalité des sexes qui fait qu'un coureur est un Dom Juan alors qu'une femme qui a le même comportement est une putain. D'où le procès de Flaubert, car la "bonne société" juge son livre immoral.
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La deuxième question que je me pose rejoint la première.
Quelle est la vie des demoiselles à l'époque ?
La vie des jeunes filles, depuis des siècles, est sans cesse régie par la tutelle, contrairement à celle des jeunes gens. Elles ne peuvent pas faire "leur vie de patachon" comme eux avant le mariage, et surtout avant de faire des enfants ... Sinon, je pense qu'Emma aurait peut être, au final, choisi un parti correspondant à son ambition, le vicomte ou Rodolphe, par exemple, ce qui ne l'aurait peut être pas empêchée de le tromper, mais au moins de ne pas entrer dans les problèmes financiers insolubles qu'elle a, avec les moyens modestes de Charles.
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Ensuite, je me pose la question éthico-philosophique du comportement du marchand Lheureux, qui porte bien son nom.
Peut-on, éthiquement, profiter de l'ignorance financière d'une cliente pour l'enfoncer dans des dettes insurmontables ?
Ethiquement non, mais plein de gens, de tous temps, ont fait, et font encore ce que j'appelle du "vol légal". Qui peut changer ça ? Personne. Car l'homme est humain, trop humain.
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Une autre observation est le parallèle entre Charles et Homais, le pharmacien du village. Au début, Homais se met "dans les petits papiers" de Charles qui est médecin, soit pour un pharmacien, un statut prestigieux dans un village ; d'autant plus qu'il a des secrets inavouables à cacher. Je ne vous dis pas la "bascule" progressive qui s'opère au profit du pharmacien ambitieux.
Cette bascule est-elle éthiquement juste ?
Non, pas pour moi.
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Sociologiquement, on peut, là encore, comparer, à l'époque, l'échec de l'ambition féminine d'Emma, et la réussite de celle d'Homais.
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Pour nous distraire, nous avons les accrochages permanents entre le pharmacien athée ou déiste et le curé : cela me rappelle Don Camillo aux prises avec le maire communiste du village.
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Personnellement, le personnage que je préfère dans ce roman est le pauvre Charles, car c'est un homme de coeur, ce qui est pour moi, la plus belle qualité : si Emma, baissant son orgueil, s'était aperçue de cela (elle l'a senti à la fin de l'histoire ), elle eut pu être heureuse, et non dans une perpétuelle quête :)
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Emma Bovary me fait penser à la Lady d'une chanson :

There's a lady who's sure all that glitters is gold,
And she's buying a stairway to heaven.
When she gets there she knows, if the stores are all closed ;
With a word she can get what she came for...
Ooh ooh and she's buying a stairway to heaven.
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Ce morceau, avec la force de John Bonham, la puissance de Robert Plant, la finesse de Jimmy Page, me donne les poils !
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Avant de lire ce roman, et même encore, en début de lecture, pendant des dizaines de pages, impossible pour moi de déterminer si je l'avais déjà lu. Et pour cause, j'en avais lu quantité d'extraits : l'enfance de Charles, celle d'Emma, quelques descriptions de paysages, l'épisode du pied bot, celui du comice agricole, un passage avec Homais, un autre avec Lheureux, … sans compter que j'avais vu l'adaptation cinématographique avec Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma. Mais c'était bel et bien une première lecture ! Avec le regret de ne pas pouvoir avoir le plaisir d'une vraie découverte ! A défaut d'avoir un regard neuf sur l'histoire, j'ai découvert l'écriture, à la fois simple, fluide et incroyablement précise. Chaque détail sert le propos de l'auteur : les personnages secondaires sont inoubliables et leur psychologie a été traitée par Flaubert avec autant de soin que s'ils étaient au premier plan. A eux tous ils entourent Emma d'une médiocrité pleine de suffisance, ils paraissent aussi petits et mesquins qu'elle est ridicule avec ses rêves de romantisme échevelé. Tous, autour d'elle, à leur manière, rêvent de notoriété, d'une gloire de pacotille, sauf peut-être le père d'Emma. Ils cherchent tous à faire illusion alors qu'elle, elle ose se voir autre que ce à quoi on la destine à être, se sentir supérieure à tous ceux qui l'entourent. Je déteste le personnage d'Emma mais en même temps elle est à plaindre pour la solitude effroyable dans laquelle elle se retrouve.
Ce roman est facile à lire, mais en même temps sa lecture est complexe parce qu'il dénonce la toxicité des rêves de passions, de luxe et de bonheur parfait, et qu'en même temps il affiche la nécessité de vivre ses rêves. C'est ce qui est remarquable, il y a critique de l'éducation d'Emma, totalement inadaptée, mais, en même temps, toute la société en prend pour son grade. Les belles manières de l'aristocratie ne sont qu'un vernis ; la religion n'est qu'un cache-misère (c'est encore plus visible à la lecture du Procès : les pages plus marquantes qui ridiculisent la religion ne sont pas citées, c'est dire si ce qu'écrivait Flaubert devait correspondre au réel !) ; le mythe du progrès ne vaut rien (scène du comice agricole, état des connaissances médicales) ; et bien sûr quelle remise en cause de l'institution du mariage (le divorce était alors interdit), mais aussi de la vie conjugale et de la maternité. Bref, une sacrée critique d'une société étriquée, corsetée et qui plus est hypocrite et aveugle !
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Madame Bovary, c'est ma petite madeleine à moi !
Là, je suis sûre que vous vous dites que j'ai bu et/ou fumé, que je mélange tout... je vous rassure tout de suite : oui, je sais que Madame Bovary n'est pas de Proust, mais bien de Flaubert.
Alors, pourquoi ce terme de "madeleine" ?
Parce que pour moi, Madame Bovary, c'est bien plus qu'un roman, c'est une année de ma vie.
Je l'ai étudié en classe de première avec un professeur passionnant. Des années plus tard, j'en garde encore un souvenir très fort et très précis.
J'en connais quelques phrases, qui m'avaient frappée à l'époque, par coeur.
La simple évocation du titre ou d'un personnage fait remonter en moi une kyrielle de souvenirs.
Tout récemment, j'ai voulu le relire. J'ai longtemps hésité, parce que je savais que l'exercice était périlleux et que je risquais une immense déception si ma relecture me décevais.
Mais l'envie a été plus forte et je me suis lancée.
Comme j'ai eu raison ! Ce fut un pur plaisir de bout en bout.
Ce qui m'a frappée dès le début, c'est le style : quelle écriture ! Chaque phrase est belle. Chaque passage se lit merveilleusement bien, c'est du grand art. Quel talent, et quel travail ! Chapeau bas, monsieur Flaubert !
Car une prose de cette qualité ne s'écrit pas toute seule. Et je pense, vu la fluidité de la lecture, à cette magnifique phrase de Chopin, qui s'applique merveilleusement bien ici : "Dans un dernier effort, j'efface jusqu'à la trace de l'effort." du grand art !
Flaubert nous offre donc un roman écrit dans une langue somptueuse, qui se lit avec une grande facilité... et un immense plaisir.
Les phrases, les paragraphes, les chapitres s'enchaînent avec bonheur, et c'est bercé par cette si belle langue que le lecteur peut avancer dans l'intrigue.
Quel bonheur de retrouver cette histoire et ces personnages qui m'avaient tant plu. La maturité aidant, je les ai encore mieux cernés. Je me suis davantage rendu compte de leur justesse, de la précision avec laquelle leurs qualités et leurs défauts étaient mis en valeur.
Rodolphe, le séducteur, le beau parleur, qui se joue de la naïveté d'Emma.
Lheureux, au patronyme si bien trouvé, qui vous soulève le coeur de dégoût à chaque apparition.
Homais, prétentieux et pédant, exaspérant dans tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit.
Charles, bien sûr, ce pauvre Charles, refusant obstinément jusqu'au bout d'ouvrir les yeux et d'accepter la vérité.
Sans oublier Emma Bovary et ses rêves de grandeur qui finiront par la perdre, quel magnifique portrait !
Et tous ceux que je n'ai pas cités, plus justes les uns que les autres. Flaubert a peint une superbe galerie de personnages !
En ce qui concerne l'histoire, ne comptez pas sur moi pour vous raconter quoi que ce soit : ce n'est pas l'objet d'une critique, et je laisse le plaisir de la découverte à ceux qui n'ont pas encore lu Madame Bovary.
Je voudrais simplement dire que si j'ai tout aimé dans ce roman, la dernière partie m'a profondément émue. La déchéance d'Emma, ses mensonges et ses dettes qui finissent par avoir raison d'elle, ses tentatives désespérées pour obtenir de l'aide, sa fin tragique : Flaubert a écrit là des pages bouleversantes.
Quel livre !
Pour ceux qui croient que les "classiques" sont de vieux ouvrages poussiéreux et rébarbatifs, plongez-vous dans ce roman, je fais le pari que vous changerez d'avis.
Les "classiques" sont justement classiques parce que leur qualité leur permet de traverser le temps et de nous toucher, nous, lecteurs d'aujourd'hui.
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de recopier le début du roman.
Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, pour le plaisir. J'adore cette entrée en matière. J'adore cette écriture. Quand je lis ces phrases, je suis accrochée, ferrée comme un pauvre poisson accroché à l'hameçon. Sauf que je ne suis pas à plaindre, bien au contraire, et c'est avec plaisir que je me laisse emporter.
Pour le souvenir (ça y est, je vais reparler de madeleine...) : le début de ce texte m'a été donné en dictée par mon professeur de français de sixième. Oui, vous avez bien lu : sixième ! J'avais adoré. Quand je pense à ce qu'on fait faire maintenant en cours de français à nos pauvres collégiens (je le vois à travers mes enfants), c'est à pleurer. Et, en ne leur ouvrant pas les portes, on les prive de l'accès à tout un pan de notre culture, on les prive de la découverte du plaisir de la lecture de grands textes... Bon, je m'égare, revenons à nos moutons...
Pour faire plaisir à ceux qui le connaissent déjà, et qui seront, j'en suis certaine, ravis de le relire.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, et à qui ces quelques lignes donneront peut-être envie d'en lire plus.
Un dernier mot avant de céder définitivement la parole à Gustave Flaubert : Madame Bovary est, comme toutes les oeuvres d'auteurs décédés il y a plus de cent ans, dans le domaine public. Une petite recherche simple et rapide sur internet vous permet d'accéder gratuitement au texte, dans le format de lecture que vous voulez. Sans oublier le livre papier, bien sûr, qui se trouve dans toute bonne bibliothèque, ou que vous pouvez acheter pour bien moins cher qu'un paquet de cigarettes.
Vous voyez, il n'y a aucune excuse pour ne pas lire Madame Bovary, et avec lui, bien d'autres classiques à relire ou à découvrir.
Bonne lecture !
Et maintenant, place à Flaubert :
"Nous étions à l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d'études : - Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l'appelle son âge. Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir, pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c'était là le genre. Mais, soit qu'il n'eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. - Levez-vous, dit le professeur. Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois. - Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d'esprit. Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux."
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Emma fois trois.

D'abord, il y eut la lecture lycéenne. Comme tout le monde. Enfin lecture… Plutôt escroquerie en bande « profil d'une oeuvre » organisée, seule réponse acceptable à ce repoussoir pour jeune bachoteur boutonneux.

Puis plus tard - bien plus tard - la lecture retrouvailles, portée par le retour en terres normandes et ces racines partagées avec le maître, ces lieux aux résonnances particulières qui touchent direct le coeur de tout Rouennais, même 150 ans plus tard.

Et puis débarquent le bicentenaire de la mort de Flaubert, cette édition souvenir de Gallimard augmentée des dessins de jeunesse d'Yves Saint-Laurent et cet appel du pied du café du classique : trois bonnes raisons de retrouver Emma. Une troisième fois : la plus jolie fois.

J'ai donc relu Madame Bovary et retrouvé Emma, une troisième fois. Loin de moi l'intention de chroniquer ce monument. Mais juste livrer trois impressions.

D'abord dire qu'il faut bien trois lectures pour tirer toute la richesse et la diversité de ce livre. Si Emma est prête à s'offrir, ça ne sera pas dès la première rencontre. Mais à la troisième, elle se dévoile davantage. Détaché de l'histoire désormais connue, le lecteur peut ainsi pleinement goûter le style, s'attacher aux détails, tenter de comprendre ce qui se joue dans la tête d'Emma. Ou de Charles, c'est selon.

Ensuite dire combien Madame Bovary m'est apparu incroyablement moderne dans son approche féministe et émancipatrice. D'aucuns trouveront Emma nunuche, agaçante, dépensière, indécise ou sottement idéaliste. D'autres la verront libre, volontaire, fière, et superbement insatisfaite. Belle d'avoir simplement voulu être Emma plutôt que Madame Bovary, femme de Charles.

Enfin, ressortir de cette lecture frappé par la capacité d'un homme - Flaubert en l'occurrence - à écrire aussi finement sur les femmes et à aborder à 360 degré la complexité d'Emma. À l'heure où la littérature contemporaine permet enfin une expression féministe abondante, libérée et diversifiée, force est de constater qu'elle reste encore majoritairement féminine. Flaubert fut-il un précurseur d'une certaine idée du féminisme, lui dont la misogynie s'exprimait souvent par ailleurs ?

J'aime la langue de Flaubert, un des rares auteurs à pouvoir étirer ses phrases descriptives à n'en plus finir sans me faire sauter une seule ligne, envoûté par la musicalité du rythme et la puissance du style. Et après cette relecture de Bovary et celle de salammbô cet été, l'année Flaubert ne se finira pas sans une troisième lecture.

Flaubert trois fois.
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« Madame Bovary » dont le titre est suivi de « Moeurs de province » lors de sa première parution en 1857 est immédiatement attaqué en justice par les procureurs du second empire pour « immoralité et obscénité ». Gustave Flaubert sera bien évidemment acquitté et son ouvrage bénéficiera, de facto, d'une grande publicité qui propulsera son roman parmi les best-seller de ce XIXe siècle.
Il raconte l'histoire d'Emma Rouault, fille d'un riche agriculteur qui épouse Charles Bovary, officier de santé, qu'elle a rencontré alors que celui-ci a guéri son père d'une mauvaise fracture de la jambe. Bien vite la routine de la vie de province gagne le couple. Elle qui a gardé ses rêves de jeunes filles dont elle puise tout le romantisme et les aventures dans ses nombreuses lectures, n'aspire qu'à une vie mondaine faite de soirées prestigieuses et de bals. L'invitation au bal du marquis d'Andervilliers lui laisse entrevoir ce monde auquel elle n'appartiendra jamais et la jette dans un état dépressif. Charles ne sachant plus que faire pour qu'elle alla mieux, accepte de quitter sa clientèle et le bourg où ils habitent pour la petite ville d'Yonville. Emma y fait la connaissance d'un notoire libertin, Rodolphe Boulanger, propriétaire du château de la Huchette, duquel elle s'amourache. Mais quand il comprend qu'elle attend de leur relation beaucoup plus qu'il ne lui donnera jamais, il l'éconduit et disparaît. Elle accouche d'une fille, Berthe, qu'elle place immédiatement en nourrice et qu'elle n'aimera jamais. Elle mène grand train et ruine les maigres économies du foyer. Elle fait la connaissance du clerc de notaire Léon Dupuis. Lorsqu'elle est ruinée, couverte de dettes et que son créancier, monsieur Lheureux lui réclame l'argent et que ses amants refusent de lui prêter les sommes dues, de désespoir, elle s'empoisonne à l'arsenic.
Flaubert multiplie les clichés en décrivant l'histoire de cette femme légère, insouciante, inconséquente, immature. Il moque les aspirations de grandeur d'une femme de la petite bourgeoisie de province et par une accumulation de faits communs de la vie courantes, ridiculise les ambitions idéalistes qui plongeront la Bovary vers une fin tragique. Sans cette fin, on pourrait penser que le roman de Flaubert est une comédie de boulevard car tous les éléments y sont réunis, une épouse légère, son amant et le mari cocu, à la différence qu'ici le caractère grotesque de Madame Bovary fait grincer des dents et son suicide offre une morale à cet effroyable fait divers.
Editions Gallimard, Folio, 446 pages.
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Comme a dit Ode dans sa chronique du 22/10/2012 :
" Un sacré pavé lancé dans la mare bien-pensante de l'Epoque".

Emma en se mariant avec Charles , croyait vivre la passion dont elle rêvait ; mais, Charles, brave bougre au demeurant était d'une franche inconsistance.
* La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue ... (p. 106)

Insatisfaite, elle se perd dans des illusions romantiques et des liaisons, espérant y trouver le bonheur.
Mais, chacun sait bien, que le bonheur est une bête sauvage qui ne se laisse pas attraper facilement ...

Flaubert fait miroiter l'adultère, mais ce n'est qu'un miroir aux alouettes !

Emma s'y brûlera les ailes et s'intoxiquera de trop de rêves qui la mineront, la ruineront, la détruiront.

Dans ce livre, l'auteur décrit un univers ordinaire avec la puissance de la vie et toute ses complexités.

Flaubert, dit d'ailleurs ceci :
Toute la valeur de mon livre, s'il en a une, sera d'avoir su marcher droit sur un cheveu, suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire ... (p.17)
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La quintessence des affres de l'amour où le couple passé au vitriol par la plume de Flaubert dissèque les sentiments , distille sur le chemin de la mélancolie la vie de cette femme passionnée et tourmentée par l'existentialisme, Emma se morfond à la campagne, se délite dans sa morne vie… sublime peinture des turpitudes du coeur et de la raison.
Chef d'oeuvre absolu !
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Je fais partie de cette génération où Madame Bovary était une lecture incontournable des élèves de 1ere pour figurer sur la liste de l'oral du Bac de français.... dans ma classe de filles ( et oui à l'époque les classes littéraires semblaient réservées aux filles...) il était de bon ton de clamer que ce livre était chiant et cette Bovary insupportable et que le prof était debile de nous faire étudier ce vieux navet ...donc, comme les autres, je me foutais et me moquais d'Emma, sous les volutes de patchouli dont la classe empestait !
Et pourtant , déjà, j'avais adoré ce livre, cette histoire me parlait et déjà je comprenais cette pauvre Emma et en voyais son triste côté universel de la déprime, de la jalousie et du surendettement.
Je l'ai relu et je l'ai dévoré alors que je me souviens du labeur lors de sa 1ere lecture ....
Quel merveille ! Quel chef d'oeuvre . L'écriture est sublime . L'histoire me parle encore plus aujourd'hui, les années m'ayant ouvert les yeux .
Ce roman est vraiment un chef d'oeuvre.
Et une fois de plus je vérifie qu'une deuxième lecture est une vraie source de bonheur, quand celle ci intervient plus de quarante ans après la 1ere et que le temps nous a façonné tranquillement....et donner enfin la possibilité d'encore mieux comprendre les personnages, les situations, le talent de l'écrivain .
Sacré Flaubert .
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