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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Qu'il soit entendu ici : j'aime Emma Bovary. Voilà, c'est dit. Et puisqu'il s'agit d'amour, je ne serai pas objectif dans le propos qui va suivre.
Tout d'abord, je vais vous rappeler les principaux faits qui jalonnent ce très beau roman, Madame Bovary, ou plutôt ceux que j'ai retenus, la mémoire en amour est toujours un peu sélective.
Il y a tout d'abord la première scène très forte qui ouvre le roman et plante le décor ainsi que la manière de la narration qui repose beaucoup sur la moquerie. Nous prenons ainsi connaissance du personnage de Charles Bovary alors qu'il est collégien, nouveau venu dans une classe et dont l'entrée crée la risée des autres élèves par sa gaucherie. Il faut dire que si la description des couleurs de son accoutrement est à la hauteur de la description, nous pouvons imaginer plutôt l'entrée d'un clown que celle d'un futur médecin. Dès lors, Flaubert installe ainsi la médiocrité et le ridicule d'un personnage qui sera l'époux d'une des femmes les plus célèbres de la littérature française.
Ensuite, il y a la rencontre d'Emma Bovary et de son futur mari, donc Charles Bovary, dont je viens de vous présenter ce portrait si flatteur.
Puis s'ensuivent la scène du mariage et l'installation du couple dans un village de Normandie. Ces différentes scènes sont marquées par la rapide désillusion d'Emma Bovary quant au sort d'épouse provinciale qui lui est réservée et qui efface ses attentes romantiques d'une vie plus sublime. S'installe alors un temps d'ennui et de mélancolie dans lequel celle-ci plonge tout doucement.
La scène du bal où est convié un soir le couple Bovary est un moment important car il ravive les idéaux romantiques d'Emma Bovary.
Puis le couple déménage et s'installe dans un autre village normand. C'est l'occasion de rencontrer deux personnages importants du roman : le pharmacien Homais, un genre de monsieur-je-sais-tout, qui tient une position centrale au sein du village et Léon, un jeune clerc de notaire dont Emma Bovary tombera amoureuse dans la seconde partie du roman. Cependant, ce qui la rapproche déjà de ce jeune homme, c'est leur point commun à savoir l'ennui qu'ils éprouvent tous deux dans cette campagne provinciale monotone.
Lors d'une fête des comices agricoles, Emma Bovary rencontre un riche propriétaire terrien, Rodolphe, qui la trouve belle et la séduit. Oui, j'ai oublié de vous le dire : Emma Bovary est belle. En tous cas, c'est ce que je pense. Elle en tombe tout de suite amoureuse. On sent rapidement que la réciproque n'est pas tout à fait vraie et comme à ce stade du roman, nous commençons déjà à connaître les petites fragilités de notre héroïne, nous nous disons qu'elle est en train de s'engager dans une voie où elle va ramasser de nouvelles désillusions. Et c'est ce qui arrive alors que Rodolphe s'était engagé à lui proposer de s'enfuir avec elle vers une nouvelle vie. Il lui pose un lapin au dernier moment. S'ensuit chez Emma Bovary une sorte de dépression, proche du suicide, dans laquelle elle se laisse couler.
Durant cette période du roman, je me souviens d'une scène très forte car elle est terriblement cruelle à plus d'un titre. C'est celle où le pharmacien Homais et Charles Bovary ont l'idée saugrenue de proposer à Hippolyte, le garçon d'écurie de l'auberge du village, de soigner son pied-bot. Cette scène est dure car on voit ici Emma Bovary tenter de s'accrocher dans un élan désespéré à une dernière illusion qui pourrait sauver son couple et avoir de l'admiration pour son mari. Cette scène est également cruelle car l'opération rate et le pauvre homme sera en définitive amputé du pied, à cause de la stupidité des deux apprentis sorciers.
Ensuite, Emma Bovary et Léon qui avait, entre temps, déménagé sur Rouen, se retrouvent par hasard. Ils deviennent amants. En filigrane de leur relation adultère, se développe la situation d'endettement voire de surendettement du couple Bovary, provoquée par le train de vie d'Emma Bovary. La relation amoureuse et clandestine d'Emma Bovary avec Léon, permet d'offrir, selon moi une scène à la fois cocasse, coquine et finalement d'une portée profondément érotique par la mise en situation : c'est celle du fiacre qui n'en finit pas de sillonner les rues de Rouen avec le couple adultère à son bord. Nous pouvons imaginer aisément ce qui se passe et pourtant aucun mot direct n'y fait allusion à proprement parler. Ici le procédé du style permet au contenant de révéler le contenu. Cette scène m'a fait penser à la scène finale d'un film d'Hitchcock (il me semble qu'il s'agit de la Mort aux Trousses), qui pour contourner la censure du Maccartisme de l'époque, suggère la scène érotique qui s'apprête à se dérouler dans un compartiment du train entre les deux héros du film, par la vision des pistons de la motrice lancée à vive allure et de la locomotive pénétrant alors dans un tunnel. Je vous laisse imaginer la métaphore…
Emma Bovary tente désespérément par tous les moyens, de faire face à la situation de surendettement dont elle est victime et de résoudre la situation à l'insu de son époux. Mais elle n'y parvient pas. Elle se suicide alors. Selon moi, je ne suis pas sûr que ce soit le désespoir amoureux qui l'amène à ce geste désespéré, ni même la situation de surendettement. Selon moi elle se suicide, par désespoir en le genre humain, en le genre masculin plus précisément, à cause de la médiocrité humaine qui triomphe finalement, contre elle. Elle parvient à la conscience de son échec face à sa quête désespérée qui tient le livre.
La scène de l'agonie d'Emma Bovary qui se suicide à l'arsenic puis celle de sa mort dans d'horribles souffrances ainsi que la veillée funèbre qui s'ensuit, sont également des moments clés et très rudes du roman. Ce sont des scènes d'un réalisme très fort au sens physique et visuel. Nous noterons au passage, que la scène de l'extrême-onction est d'une très grande sensualité. J'ai trouvé cette scène insupportable, puisque j'aime Emma Bovary.
Mais la scène la plus touchante du roman est sans doute la fin, lorsque Charles Bovary découvre par hasard l'adultère de sa femme. Il n'en éprouve aucun sentiment de jalousie ni de vengeance. A peine de la souffrance, non pas par cette vérité qu'il découvre mais par l'absence d'Emma qui continue de peser sur lui. Il en arrive même à entrer à reprendre contact avec Rodolphe pour d'une certaine manière retrouver à travers cette rencontre, le fil invisible qui continue de le relier à son épouse défunte. On pourrait se dire « Mais quel sot ! ». Mais non, je pense qu'à cet instant-là la prouesse de Flaubert nous amène à entrer en empathie avec Charles Bovary et à compatir à sa peine.
Que faut-il penser de ce personnage d'Emma Bovary. Si je peux émettre une suggestion : n'est-elle pas un des plus beaux personnages féminins de la littérature mondiale, rejoignant ainsi par l'adultère Anna Karenine ou Lady Chatterley au panthéon des femmes libres ou souhaitant le devenir, dans l'amour… ? Allez, je me lâche : Flaubert n'est-il pas un des premiers grands féministes, se faisant l'apôtre de la condition des femmes du XIXème siècle. Car au fond, que dit-il d'autre ? Qu'une femme de la condition d'Emma Bovary à son époque n'a que deux espaces pour se sentir libre : l'adultère ou la mort. Nous savons ce que sera la destinée d'Emma Bovary face à ces deux choix. D'ailleurs Anna Karenine n'est guère éloignée de cette trajectoire.
La censure de ce roman fut impitoyable, le roman étant présenté comme une menace pour la société bien-pensante de l'époque, non pas pour la scène de la calèche, mais tout simplement parce que Emma Bovary pourrait donner de mauvaises idées à de nombreuses autres femmes comme elle. Flaubert fut poursuivi en justice et son accusateur au procès dresse un réquisitoire impitoyable, le procureur de la république, un certain Ernest Pinard, ce nom ne s'invente pas, réquisitoire qui ferait se plier de rire aujourd'hui. Flaubert est bien défendu. Il s'en sort, mieux que Baudelaire attaqué sur les Fleurs du Mal, qui rencontre le même Pinard, le spécialiste de la justice des meurs de l'époque. C'est pour cela que je dis que Flaubert est féministe. Il a payé de sa personne pour défendre son héroïne et le désir de celle-ci d'aimer en femme libre.
Imaginons notre ami Flaubert plongé dans la société française de 2018, plus moderne que celle du XIXème siècle, mais quoique… Imaginons Eric Dupont Moretti défendant Flaubert, clamant son innocence et son intégrité sur les plateaux télés, dénonçant le procès à charge dressé à l'encontre de son client, s'énervant, mais nom de Dieu ! contre la moquerie des journalistes… Vous y avez pensé ? Ah ! comme le spectacle serait beau…
J'aime Emma Bovary et je voudrais tant à présent que vous l'aimiez comme je l'aime.
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Que dire qui n'ait déjà été dit sur Madame Bovary ?...
Sinon qu'il fait partie de ces très rares livres qui jamais n'ont vieilli, ne vieillissent ou ne vieilliront.
Flaubert, dans l'effort et la souffrance a produit un intemporel chef d' oeuvre littéraire. L'une de ces sommes qui se suffisent à elles-même.
J' ai le souvenir de cette lecture d'il y a longtemps, si passionnante pour l'adolescent que j'étais et dont je relis souvent des passages, au hasard d'une visite dans ma bibliothèque numérique. J'y retrouve Homais le pharmacien, ce pauvre Charles, et cet éphémère papillon nommée Emma.
Je reprend un morceau de cette vie de province normande, une part de cette fulgurance d' Emma, cet appétit d'existence, cette lumière qui s'enfonce dans un tunnel et disparaît.
Alors oui, Madame Bovary ne cessera jamais de me nourrir, comme un très bel arbre dont les fruits reviennent chaque année.
Et cette inéluctable fin de l'histoire qui me hante et me revient.
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Autant l'avouer tout de suite : Emma Bovary fait partie de ces personnages qu'on adore haïr. Elle donne l'impression de passer son temps à se plaindre, souhaite un plus beau service de table, de plus belles robes,… C'est une femme qui n'est jamais satisfaite de ce qu'elle a et, même lorsque ses possessions paraissent plus que suffisantes aux yeux des humbles mortels qui lisent ce roman, elle parvient encore à se trouver malheureuse et à s'apitoyer sur elle-même.
Mais une fois que l'on est rentré dans le roman, même les défauts du personnage principal semblent fascinants. Et ces défauts donnent en fait l'impression d'être le reflet de quelque chose de plus profond que Flaubert aurait souhaité illustrer.

J'ai eu l'impression, en lisant le contraste entre les personnalités de Charles et Emma Bovary, que l'auteur tentait de nous faire comprendre à quel point la réalité diffère pour chacun d'entre nous. Charles semble heureux de sa vie et de sa situation ; il m'a paru plutôt optimiste. Emma, par contre, semble vivre son mariage et la vie quotidienne qui en découle comme un enfer : rien ne se déroule comme elle le souhaite et cela la rend profondément malheureuse. Pour Charles, la vie est belle (ou du moins sans surprise et donc, sans déception) ; pour Emma, vivre est un enfer. Comment expliquer cette vision contrastée d'une même vie commune ? C'est un peu ce que fait Flaubert.
Emma Bovary a l'esprit obnubilé par les personnages et les histoires qu'elle découvre dans les romans qu'elle lit. Elle semble avoir beaucoup de mal à faire la part des choses entre la réalité de sa propre existence et la vie idéalisée des héroïnes des fictions qu'elle dévore. Et c'est cela qui la rend malheureuse, c'est ce manque de réalisme qui l'empêche de profiter de son existence. Emma a passé sa vie à imaginer son existence au lieu de la vivre : elle s'est vue dans des situations idéales et ne s'est pas rendue compte un seul instant que sa vie pourrait différer du scénario qu'elle a élaboré dans son esprit.
Pour faire un peu d'humour, Emma devrait appliquer le conseil que le professeur Dumbledore donne à Harry dans Harry Potter à l'école des sorciers :
« Ca ne fait pas grand bien de s'installer dans les rêves en oubliant de vivre, souviens-toi de ça. »

L'héroïne de Flaubert m'a également paru profondément désoeuvrée. A un moment de l'histoire, Madame Bovary mère (la mère de Charles) explique à son fils que les problèmes d'Emma découlent en partie du fait qu'elle n'a rien à faire de toute la journée. D'après elle, si Emma devait tenir sa maison et faire son ménage, comme la plupart des femmes, elle aurait moins de temps pour se complaire dans le désespoir qui l'assaille régulièrement.

Si je ne devais retenir qu'une chose de ce classique, ce serait celle-ci : il faut apprendre à se contenter de ce que l'on a et de ce que l'on est. Emma pourrait être heureuse ou, du moins, ne pas être aussi malheureuse. Mais elle décide, en quelque sorte, d'aller jusqu'au bout de son malheur, de ne pas accepter les bons côtés de l'existence car ils ne correspondent pas à ce qu'elle s'était imaginé après avoir lus ses romans et après avoir été éduquée au couvent.

C'est peut-être stupide comme comparaison, mais elle me rappelle un peu l'Antigone de Jean Anouilh : Antigone a le choix entre se sauver ou aller jusqu'au bout de ses idées et mourir pour celles-ci. Emma Bovary se retrouve confrontée au même choix : elle peut accepter de se contenter de son existence (« s'en faire une raison ») ou continuer à désespérer et essayer par tous les moyens d'atteindre l'idéal inaccessible qu'elle s'est fixé.

Ce roman est un véritable coup de coeur, même si l'héroïne est franchement agaçante. J'ai apprécié la qualité de la plume de Flaubert et ses descriptions longues et détaillées mais jamais ennuyeuses. le récit a un ton « très XIXe siècle » et est donc extrêmement agréable à lire après plusieurs romans contemporains.
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Flaubert, c'est nous...
C'est drôle comme on peut côtoyer un certain livre, le frôler, l'apercevoir à droite ou à gauche, en posséder un bel exemplaire (en pléiade s'il vous plaît ! ) et ne pas le connaître !
Salambô, coché.
Trois contes, coché.
Et Madame Bovary ? même pas en film parce qu'au fond, je savais qu'un jour...
Il aura fallu, comme souvent, la concordance de deux temps.
a) L'anniversaire de la mort de G. Flaubert et la lecture publique et musicale d'un texte intitulé :
"MES SOUVENIRS SUR GUSTAVE FLAUBERT" paru dans
"Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, samedi 11 décembre 1880" par l'immense Émile ZOLA, qui décrit l'enterrement, chez moi, de l'écrivain Normand. Texte admirable que je conseille à qui peut se le procurer (l'écouter fût encore mieux, tellement les interprètes faisaient vivre le moment).
b) le cadeau m'étant fait, de retour de Porto et de sa célèbre librairie Lello, d'une version locale ("The collection") de madame Bovary.
Comme un clin d'oeil du destin, plus d'hésitation, je décidais de m'y mettre...
Avec appréhension car les classiques, à mon âge...
Et là, boum ! énorme révélation ! Ce livre est simplement magnifique. Les états d'âme d'Emma Bovary, ses rêves et ses illusions sont tellement réels...
Les personnages gravitant autour, médecins, apothicaire, vendeurs filous et clercs de notaire, leurs motivations, jamais expliquées mais si compréhensibles...
Je passe sur la description de la vie au siècle de Flaubert, de Rouen, ses rues et ses auberges à l'entrée de la ville, de la campagne avoisinante : Yonville qui serait Ry en réalité, des moyens de transport de l'époque...
C'est saisissant.
Et surtout, cela se lit comme le meilleur roman d'aujourd'hui, pas une longueur de trop dans la langueur de l'héroïne. C'est un roman d'amour mené à un rythme de polar.
Pour résumer, si vous voulez vous frotter à un classique de la littérature française (certains prétendent AU classique) sans vous ennuyer une seconde, procurez vous Madame Bovary, vous ne serez pas déçus du voyage sur les chemins cabossés de Normandie.



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Flaubert est un orfèvre des mots. Il n'y a qu'à regarder la génétique de Madame Bovary.
Rares sont les écrivains qui travaillaient tant sur une seule phrase. Chacun de ses mots est un condensé de sens, tous ont leur place, ont une signification.
Rares sont les écrivains qui ont tant travaillé pour un seul roman. Cinq ans de travail pour cinq cents pages. C'est une litote que de dire que la minutie fut de mise durant la rédaction de l'ouvrage.
Mais à l'issue de ce dur labeur, Gustave Flaubert nous donna à lire une sorte de beauté froide devant laquelle, lorsque l'on sait, on ne peut s'empêcher de s'extasier.
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Au départ, il y eut la lecture d'un livre bien éloigné des romans : “L'homme augmenté”.
L'essai d'un psychiatre qui aboutit de manière surprenante à l'apologie de la lecture.
Il note accessoirement que Flaubert racontait que le plus sincèrement du monde il avait passé six semaines à chercher un mot, c'était le verbe “secouer”.
Il cite également l'analyse que fait Proust à propos de son style : “ Les adverbes, locutions adverbiales, etc., sont toujours placés dans Flaubert de la façon la plus laide, la plus inattendue, la plus lourde, comme pour maçonner ces phrases compactes, boucher les moindres trous…”, tout en complétant son propos : “mais nous les aimons ces lourds matériaux que la phrase de Flaubert soulève et laisse tomber avec le bruit intermittent d'un excavateur. Car si, comme on l'a écrit, la lampe nocturne de Flaubert faisait aux mariniers l'effet d'un phare, on peut dire aussi que les phrases lancées par son “gueuloir” avaient le rythme régulier de ces machines qui servent à faire les déblais.”
Flaubert criait son texte car “les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve.”.

Alors, j'ai eu envie - et ce fut un enchantement - de lire ce ”Madame Bovary” dont il considéra l'écriture comme un pensum de cinq ans : “Depuis qu'on fait du style, je crois que personne ne s'est donné autant de mal que moi.”
Flaubert avait la volonté de bâtir une oeuvre qui devait tenir debout par son style : “ce qui me semble beau, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style…”

Madame Bovary est une femme qui rêvait d'un destin comme on en voit dans les livres.
A aucun moment je n'ai imaginé que ce que je lisais était répréhensible et condamnable à un an de prison pour outrage à la morale publique et la morale religieuse, rien que ça !
Mais faire d'une femme le personnage principal, qui plus est revendique ses désirs, ses fantasmes, était réellement outrageux !

Heureusement que la censure de son éditeur a amputé l'édition incriminée de 71 passages (restaurés dans nos éditions contemporaines).
Heureusement que l'auto-censure a opéré car dans ses notes Flaubert a écrit à propos d'Emma que : “l'habitude de baiser la rend sensuelle.”
Le texte du procès de “Madame Bovary” suit le roman proprement dit dans mon édition Folio.
Le réquisitoire de l'avocat impérial Ernest Pinard s'interroge sur le rôle du ministère public et choisit de raconter “tout le roman sans en lire, sans en incriminer aucun passage” (et il fait un résumé tout ce qu'il y a d'objectif qui pourra vous remettre en selle si vous avez décroché !) .
Puis il relève et incrimine certains passages en les lisant.
Je vous ai mis des extraits en citation, qui selon Pinard font “la poésie de l'adultère”.
Le juge attira l'attention de l'auteur sur les “limites que la littérature, même la plus légère, ne doit pas dépasser.” Il prononça un blâme sévère, premier niveau de peine “car la mission de la littérature doit être d'orner et de recréer l'esprit en élevant l'intelligence et en épurant les moeurs…” Il argua pour expliquer l'acquittement : “Mais attendu que l'ouvrage dont Flaubert est l'auteur est une oeuvre qui paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée, au point de vue littéraire et de l'étude des caractères ; que les passages relevés par l'ordonnance de renvoi, quelque répréhensibles qu'ils soient, sont peu nombreux si on les compare à l'étendue de l'ouvrage…”

Il n'en sera pas de même quelques mois plus tard avec “Les fleurs du mal “ de Baudelaire que Pinard fera censurer de six poèmes à cause d'expressions obscènes et immorales !

Il a fallu que je progresse dans la lecture pour m'apercevoir que j'avais déjà lu ce roman quand j'étais adolescent ! Arrivé à l'opération du pied-bot, me sont revenues quelques réminiscences, montrant en quoi la mémoire cinquantenaire est singulière ; car il ne me restait que vaguement le souvenir de la séduction de Rodolphe associé à ma masculinité en construction, mais de Mme Bovary, qui est pourtant l'essentiel, peu de choses.

Si comme moi, et peut-être en lecture imposée au lycée, vous avez lu ce premier roman moderne de la déception de l'amour, vous pourrez peut-être considérer que “le style c'est la vie, le sang même de la pensée.”
Ce style dont Théophile Gautier dira qu'il était “rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des renflements de violoncelle, des aigrettes de feu…”

Laissons le dernier mot simple à Victor Hugo.
Il est extrait d'une lettre qu'il a adressée à Flaubert depuis son exil : “Madame Bovary est une oeuvre…”


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Quel roman, mais quel roman!
Et quelle révélation, avec cette relecture bien loin après sa découverte à l'adolescence, que de reconsidérer cette coloration assez méprisante qu'avaient laissé dans mon esprit ces analyses et convocations régulières du "bovarysme" comme elles-mêmes méprisables, en tout cas tant que s'appliquant à cette femme-là, Emma Bovary!

Eternelle insatisfaite et "phantasmatrice" d'elle-même, Emma? Peut-être, mais quelle étroitesse de vue de résumer à cela une femme qui rêve large dans une société minuscule, dont l'âme et le coeur déborde d'un univers bridé, une femme qui veut vivre, bon dieu! Qui ne brûlerait pas de danser de nouveau quand elle aura une fois valsé sous les lustres? Qui ne succomberait pas à la flamme du premier oeil mâle croisé après avoir végété durant des heures dans une maison terne à contempler son bon gros Charles de mari laper sa soupe? #Je suis Emma! #Emma MeToo!
Bien sûr cette femme a d'épouvantables défauts, égoïste, capricieuse, incapable de se tenir sa place, mais, magnifié par la plume extraordinaire de Flaubert, son personnage est d'une grandeur qui emporte ses défauts.
Et d'ailleurs, qui encore, doté d'un minimum de sève vitale, saurait se contenter de la place qui est la sienne dans une société provinciale triste à pleurer et immobile à mourir, mesquine et sans ambition? C'est là bien sûr l'autre sommet de ce roman monumental que l'évocation grinçante de ce monde étriqué à la face duquel Flaubert jette la crudité d'une Emma pour en ébranler les bases, du curé au notable.

Et pourtant de ce roman sulfureux me reste aussi le ressenti d'une véritable tendresse pour "Charbovari", le mari si aimant mais si benoitement en dessous de tout.
Quel roman!
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Mme Bovary
Epoustouflant chef d'oeuvre. L'épouse malheureuse qui aime un autre et qui est condamnée à un dénouement funeste me fait penser à deux autres grands romans du XIXe : le Lys dans la vallée - Balzac, 1836, et Anna Karénine - Tolstoï, 1877.
Un lecteur voyait dans le roman de Flaubert une attaque en règle de la vie conjugale et de l'institution du mariage. A mon sens l'auteur ne critique pas, il montre ; c'est le propre de toute oeuvre d'inviter le lecteur à se construire sa propre interprétation. A contrario, dès qu'un texte présente un message trop appuyé ou un manichéisme trop évident, je me détourne.

Une autre vision que je désapprouve est celle du cinéaste Chabrol. Caster Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma, quelle erreur ! Huppert irradie une intelligence froide, elle est une femme de tête. Dans ma représentation, Emma est tout le contraire, elle est rêveuse, sensible, fragile … et sotte.
L'écriture est d'une richesse époustouflante. Parfois Flaubert dit trop à mon goût. Un exemple, l'épisode de l'opération du pied bot – les détails anatomiques. Par réaction, un certain nombre de romanciers du 20è siècle ont cultivé l'art de l'ellipse.

Au début et à la fin de roman, c'est le coup de projecteur sur Charles. Il n'est pas si borné que l'on croit : il est dit qu'aucun officier de santé n'a pas réussi à s'établir au village après lui à cause de l'apothicaire. Oui, mais Charles l'a fait.
Je me demande pourquoi, à la fin, l'auteur s'attarde sur le désespoir du veuf. Mon hypothèse : l'auteur s'identifie à Charles, il est inconsolé lui aussi de voir mourir Emma, ou plutôt de la faire mourir, après l'avoir fait vivre sur quatre cent pages ; autrement dit, après avoir passé en sa compagnie cinq ans … Lui aussi est endeuillé.

« N'importe, bien ou mal, c'est une délicieuse chose que d'écrire, que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd'hui par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d'automne, sous des feuilles jaunes, et j'étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu'ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s'entrefermer leurs paupières noyées d'amour. » Extrait d'une lettre de Flaubert à Louise Colet, écrite pendant le travail à son grand roman.
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In vino veritas ! « Ce que l'auteur vous montre, c'est la poésie de l'adultère » déclara, lors du procès intenté à Flaubert pour « offenses à la morale publique et à la religion », le bien nommé Ernest Pinard en sa qualité de représentant du Ministère Public. Achevant ma lecture par son réquisitoire, trouvant à encenser ce qu'il condamne, je ne peux cependant que partager son analyse.
On a dit que Madame Bovary était un roman sur l'ennui. Bien sûr. A-t-on écrit quelque chose de plus fort sur la mélancolie, la solitude et l'insatisfaction d'une femme mariée? Je ne crois pas.
Une remise en cause assez radicale de la société patriarcale du XIXème siècle ? Certainement. Les hommes de cette histoire sont médiocres, aveugles, cyniques, lâches et vulgaires. Emma est une mauvaise mère, une mauvaise épouse. La faute à qui ? Et si c'était à la littérature : « Elle lut Balzac et George Sand, y cherchant des assouvissements imaginaires pour ses convoitises personnelles. »
Une attaque sournoise contre l'Eglise ? Assurément. Emma espère y trouver soutien et réconfort, c'est peine perdue ; elle s'en va trouver l'abbé : « Je souffre, lui dit-elle et l'imbécile de répondre « c'est la digestion, sans doute. »
On peut voir, dans le personnage de Lheureux, contribuant si bien au malheur d'Emma, les prémices de notre société de consommation, financée à crédit, dans laquelle la « ménagère de moins de cinquante ans », assommée de publicité est perpétuellement sommée de communier aux grandes fêtes organisées dans l'intention de vider son porte-monnaie. Des soldes de janvier jusqu'à la fièvre de Noël, en passant par le Black Friday de ces jours, certaines se sur-endettent quand d'autres s'épanouissent au rythme de leurs « bonnes affaires ». On en frémit en songeant aux Emma d'aujourd'hui négligeant leurs amants pour courir les soldes.
Il y a des scènes d'anthologie : la demande en mariage, la visite d'adieu de Léon, le comice agricole, la lettre de rupture, la promenade en fiacre, l'agonie. Il y a surtout une écriture magnifique, qui vous fait comprendre dès les premières lignes que vous allez adorer cette histoire. Phrases courtes et musicales, rythmées de points virgules, comme une mélodie qu'on se surprend parfois à déclamer à voix haute.
Mais, il nous faut revenir à notre savoureux M. Pinard et à sa « poésie de l'adultère ». Pour étayer sa thèse, commençons au début de l'aventure, avant que Léon ne parte à Paris. Qu'a-t-on écrit de plus vrai et d'aussi bien dit sur cet état douloureux et délicieux où, à l'aube d'une relation adultérine, avant une déclaration, avant même l'idée d'une liaison qui bouleverserait tout, une complicité se noue, qui se voudrait honnête et ne l'est déjà plus, qui ne se déclare pas mais se laisse deviner et se confine en regards, sourires et paroles anodines car publiques. « C'est ainsi, l'un près de l'autre, pendant que Charles et le pharmacien devisaient, qu'ils entrèrent dans une de ces vagues conversations où le hasard des phrases vous ramène toujours au centre fixe d'une sympathie commune. » « N'avaient-ils rien d'autre chose à se dire ? Leurs yeux pourtant étaient pleins d'une causerie plus sérieuse ; et, tandis qu'ils s'efforçaient à trouver des phrases banales, ils sentaient une même langueur les envahir tous les deux ; c'était comme un murmure de l'âme, profond, continu, qui dominait celui des voix. Surpris d'étonnement à cette suavité nouvelle, ils ne songeaient pas à s'en raconter la sensation ou en découvrir la cause. Les bonheurs futurs, comme les rivages des tropiques, projettent sur l'immensité qui les précède leurs mollesses natales, une brise parfumée, et l'on s'assoupit dans cet enivrement, sans même s'inquiéter de l'horizon que l'on n'aperçoit pas. »
« Souvent, il se mettait en marche, dans le projet de tout oser ; mais cette résolution l'abandonnait bien vite en la présence d'Emma, et quand Charles, survenant, l'invitait à monter dans son boc, pour aller voir ensemble quelque malade aux environs, il acceptait aussitôt, saluait madame et s'en allait. Son mari, n'était-ce pas quelque chose d'elle ? »
« Léon ne savait pas, lorsqu'il sortait de chez elle, désespéré, qu'elle se levait derrière lui, afin de le voir dans la rue. Elle s'inquiétait de ses démarches ; elle épiait son visage… »
Subtile description de l'attrait souvent irrésistible de l'adultère, où, s'il ne s'est encore rien dit ni rien fait, deux désirs muets et puissants convergent.
Arrive Rodolphe, le cynique séducteur, auquel « se cachant la figure, elle s'abandonna.» Beaucoup se sont moqué d'Emma quand « elle se répétait : « J'ai un amant ! un amant ! » Elle allait donc posséder enfin ces joies de l'amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré… alors elle se rappela les héroïnes des livres qu'elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de soeurs qui la charmaient. »
Mais derrière ces moqueries, ne sent-on pas le parfum de la jalousie et les regrets de rubicons jamais franchis?... Léon resurgit : « Ce furent trois jours pleins, exquis, splendides, une vraie lune de miel… ils s'embrassaient à l'écart sous les peupliers… ce n'était pas la première fois qu'ils apercevaient des arbres, du ciel bleu, du gazon, qu'ils entendaient l'eau couler et la brise soufflant dans le feuillage ; mais ils n'avaient sans doute jamais admiré tout cela, comme si la nature n'existait pas auparavant, ou qu'elle n'eût commencé à être belle que depuis l'assouvissance de leurs désirs. »
Oui, on a bien là, remarquablement évocatrice, une « poésie de l'adultère », cette-fois assumé et consommé, où le plaisir se trouve renforcé par les obstacles franchis, les précautions prises, les craintes surmontées et l'incrédulité joyeuse d'être parvenu là où on ne pensait jamais devoir ni pouvoir aller. Ca ne durera pas ? Qu'importe, l'instant est délicieux, le temps s'arrête, on verra bien.
« Il montait, il ouvrait la porte, il entrait… Quelle étreinte ! » « Et elle riait d'un rire sonore et libertin quand la mousse du vin de Champagne débordait du verre léger sur les bagues de ses doigts. Ils étaient si complètement perdus en la possession d'eux-mêmes, qu'ils se croyaient là dans leur maison particulière, et devant y vivre jusqu'à la mort, comme deux éternels jeunes époux. »
Dans ces instants, le lendemain n'existe plus, les catastrophes à venir ne comptent pas, l'entourage, futur dommage collatéral, est effacé. La vie s'accélère, plus belle, plus forte. Lorsque tout est fini, que ça s'est mal terminé, que le silence succède à la fureur, on se demande si cela en valait bien la peine, si Madame Homais ne valait pas mieux que Madame Bovary. Et les regrets ont beau faire, les dégâts s'étaler, les plaies encore suppurer, s'il reste une once de lucidité, on se dit, même longtemps après, qu'on serait prêt à recommencer demain, parce qu'on n'a rien connu de plus fort.
Que celles et ceux qui n'ont jamais péché ou rêvé de pécher jettent la première pierre car comme l'écrit Flaubert :« tout bourgeois, dans l'échauffement de sa jeunesse, ne fût-ce qu'un jour, une minute, s'est cru capable d'immenses passions, de hautes entreprises. le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes ; chaque notaire porte en soi les débris d'un poète. »
Je ne suis pas notaire, mais des débris, j'en ai encore un joli tas à déposer aux pieds d'Emma Bovary.
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Je ne vais pas épiloguer sur ce roman qui a flanqué des maux de tête à Flaubert pour notre plus grand bonheur. En revanche, je vais brièvement vous faire part de mes impressions et de leur évolution de la première lecture à la troisième.
À 16 ans : Aaaargh! C'est chiant mais je veux avoir lu ce classique!!!!
À 20 ans : Bon, on reprend tout depuis le début parce que j'ai dû passer à côté d'un truc! Mais c'est l'histoire d'une femme qui se fait chier? Rodolphe est un con!
À 25 ans: Quel chef-d'oeuvre !
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