Au départ, il y eut la lecture d'un livre bien éloigné des romans : “L'homme augmenté”.
L'essai d'un psychiatre qui aboutit de manière surprenante à l'apologie de la lecture.
Il note accessoirement que
Flaubert racontait que le plus sincèrement du monde il avait passé six semaines à chercher un mot, c'était le verbe “secouer”.
Il cite également l'analyse que fait
Proust à propos de son style : “ Les adverbes, locutions adverbiales, etc., sont toujours placés dans
Flaubert de la façon la plus laide, la plus inattendue, la plus lourde, comme pour maçonner ces phrases compactes, boucher les moindres trous…”, tout en complétant son propos : “mais nous les aimons ces lourds matériaux que la phrase de
Flaubert soulève et laisse tomber avec le bruit intermittent d'un excavateur. Car si, comme on l'a écrit, la lampe nocturne de
Flaubert faisait aux mariniers l'effet d'un phare, on peut dire aussi que les phrases lancées par son “gueuloir” avaient le rythme régulier de ces machines qui servent à faire les déblais.”
Flaubert criait son texte car “les phrases mal écrites ne résistent pas à cette épreuve.”.
Alors, j'ai eu envie - et ce fut un enchantement - de lire ce ”
Madame Bovary” dont il considéra l'écriture comme un pensum de cinq ans : “Depuis qu'on fait du style, je crois que personne ne s'est donné autant de mal que moi.”
Flaubert avait la volonté de bâtir une oeuvre qui devait tenir debout par son style : “ce qui me semble beau, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style…”
Madame Bovary est une femme qui rêvait d'un destin comme on en voit dans les livres.
A aucun moment je n'ai imaginé que ce que je lisais était répréhensible et condamnable à un an de prison pour outrage à la morale publique et la morale religieuse, rien que ça !
Mais faire d'une femme le personnage principal, qui plus est revendique ses désirs, ses fantasmes, était réellement outrageux !
Heureusement que la censure de son éditeur a amputé l'édition incriminée de 71 passages (restaurés dans nos éditions contemporaines).
Heureusement que l'auto-censure a opéré car dans ses notes
Flaubert a écrit à propos d'Emma que : “l'habitude de baiser la rend sensuelle.”
Le texte du procès de “
Madame Bovary” suit le roman proprement dit dans mon édition Folio.
Le réquisitoire de l'avocat impérial Ernest Pinard s'interroge sur le rôle du ministère public et choisit de raconter “tout le roman sans en lire, sans en incriminer aucun passage” (et il fait un résumé tout ce qu'il y a d'objectif qui pourra vous remettre en selle si vous avez décroché !) .
Puis il relève et incrimine certains passages en les lisant.
Je vous ai mis des extraits en citation, qui selon Pinard font “la poésie de l'adultère”.
Le juge attira l'attention de l'auteur sur les “limites que la littérature, même la plus légère, ne doit pas dépasser.” Il prononça un blâme sévère, premier niveau de peine “car la mission de la littérature doit être d'orner et de recréer l'esprit en élevant l'intelligence et en épurant les moeurs…” Il argua pour expliquer l'acquittement : “Mais attendu que l'ouvrage dont
Flaubert est l'auteur est une oeuvre qui paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée, au point de vue littéraire et de l'étude des caractères ; que les passages relevés par l'ordonnance de renvoi, quelque répréhensibles qu'ils soient, sont peu nombreux si on les compare à l'étendue de l'ouvrage…”
Il n'en sera pas de même quelques mois plus tard avec “
Les fleurs du mal “ de
Baudelaire que Pinard fera censurer de six poèmes à cause d'expressions obscènes et immorales !
Il a fallu que je progresse dans la lecture pour m'apercevoir que j'avais déjà lu ce roman quand j'étais adolescent ! Arrivé à l'opération du pied-bot, me sont revenues quelques réminiscences, montrant en quoi la mémoire cinquantenaire est singulière ; car il ne me restait que vaguement le souvenir de la séduction de Rodolphe associé à ma masculinité en construction, mais de Mme Bovary, qui est pourtant l'essentiel, peu de choses.
Si comme moi, et peut-être en lecture imposée au lycée, vous avez lu ce premier roman moderne de la déception de l'amour, vous pourrez peut-être considérer que “le style c'est la vie, le sang même de la pensée.”
Ce style dont
Théophile Gautier dira qu'il était “rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des renflements de violoncelle, des aigrettes de feu…”
Laissons le dernier mot simple à
Victor Hugo.
Il est extrait d'une lettre qu'il a adressée à
Flaubert depuis son exil : “
Madame Bovary est une oeuvre…”