Un mystère "bouffe" est un spectacle bouffon, une version parodique, ou plutôt carnavalesque, des représentations théâtrales de scènes religieuses appelées « mystères », faite par des jongleurs sur les places publiques, à l'occasion des foires et des jours de fête. Dans son prélude,
Dario Fo raconte ce moment symbolique du carnaval où le peuple pénètre l'Église et où le jongleur apparaît dans le choeur habillé des vêtements du prêtre (le défroqué se refroque…), imitant sa voix et son langage, et organisant une cérémonie comique… Dans les Noces de Cana, cette substitution est rendue par l'archange parlant des écritures avec sévérité, chassé de la scène à coups de pieds dans le derrière par l'ivrogne - alter-égo du jongleur - qui veut raconter sa cuite et qu'on veut faire taire… S'agit-il seulement d'une grosse blague ? de ridiculiser le prêtre et de parodier le message du Christ ? Ou bien au contraire de faire entendre un autre message du Christ, oublié, effacé par une institution épiscopale qui s'est fort éloignée des valeurs du prophète ? La fameuse cuite racontée par l'ivrogne est celle rendue possible par Jésus qui transforma l'eau en vin, favorisant la fête populaire, ce qui fait de lui le protecteur du Carnaval et de la bonne vie du peuple, non la figure austère donnée par l'Église. C'est pourquoi le fou - autre alter-égo - dans les Textes de la Passion, appelle Jésus « roi des fous », en jouant sur la célèbre accusation de « roi des Juifs » (appelant à l'indépendance du royaume juif, ce qui lui aurait valu sa condamnation par Ponce Pilate), le reconnaissant ainsi comme saint patron des jongleurs et du peuple fou : les éclopés, les ivrognes, les malades, les malheureux, les pauvres, les naïfs et les non-instruits, qu'il n'a eu de cesse de défendre et de soigner. le Jésus des Évangiles est en effet plein de pardon pour le pêché des simples et s'en prend bien davantage aux pêchés des grands, des prêtres, des riches…
Ces jongleries carnavalesques du répertoire du Moyen-Âge ne sont pas de simples farces grossières, blasphématoires et gratuites. Il s'agit de donner au peuple une autre interprétation des écritures que celles du pouvoir ecclésiastique, une vision renouvelée ou renversée du monde.........
Inhabituelles dans le répertoire théâtral (rien ne correspond aux structures classiques), il faut à la lecture de ces pièces faire l'effort d'imaginer la mise en scène, avec un acteur déchaîné - peut-être plus comme un acteur de one man show qui interprète plusieurs rôles juste en changeant de posture et de ton, multiplie les clins d'oeil et l'emphase - pour en comprendre tout le potentiel dramatique et subversif.
[Suite de la chronique et détails des pièces sur mon site...]
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