AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782234085909
150 pages
Stock (29/08/2018)
3.3/5   68 notes
Résumé :
« Il ne se regarde pas dans la glace. Il sourit rarement, ne rit pas, ne pleure pas. Il n’affirme jamais : ceci est à moi, mais seulement parfois demande : est-ce que c’est pour moi ? Il dit rarement je et ignore le tu. Il ne prononce pas mon prénom.
Pourtant, la surprise, lorsque je me vois par hasard dans un miroir, de découvrir ses yeux dans mes yeux m’oblige à présumer une parenté de nos vies secrètes, à conjecturer chez lui une histoire qui aura continué... >Voir plus
Que lire après Gaspard de la nuitVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
3,3

sur 68 notes
5
4 avis
4
6 avis
3
1 avis
2
2 avis
1
1 avis
Le bandeau ajouté par l'éditeur qui proclame "Autobiographie de mon frère" est un peu trompeur. Elisabeth de Fontenay parle ici de son frère, handicapé mental, dont elle a aujourd'hui la charge après le décès de leur parents, mais elle ne cherche aucunement à se substituer à lui. Celui qu'elle nomme Gaspard et qu'elle connait depuis sa plus tendre enfance, reste un mystère pour elle : « Ce pouvoir prodigieux du rameau d'or, je le nomme, indifféremment, don de l'écoute et don de la traduction. Si la grâce en est accordée à quelques-uns, elle m'aura été refusée, car je me sens rarement en mesure d'affronter cette longue catastrophe silencieuse qu'est mon frère. ».

En dépit de cet aveu, Elisabeth de Fontenay me semble bel et bien à l'écoute de ce que son frère a à lui dire, au delà de son « ignorance radicale de la causalité et du temps ». Et ce livre est en grande partie le récit de l'influence que ce frère a eue sur son parcours philosophique et tout particulièrement sur l'attention qu'elle a portée à ces êtres dénués de parole que sont les animaux. le lien qu'elle évoque est complexe et je ne saurais ici résumer ce que l'auteur met plusieurs pages à expliciter. D'autant que la beauté de ces pages est proprement stupéfiante. On y voit une pensée se repliant sur elle-même pour tenter de comprendre comment elle a pu naître et se développer. Et découvrant la part, au départ insoupçonnée, que ce frère inaccessible a eue sur cette pensée et, en définitive, sur toute sa vie.

Ecrivant comme sur un fil tendu au-dessus d'un abîme, avec une écriture précise et sans détour, Elisabeth de Fontenay réussit un tour de force avec ce court essai dont la lecture me laisse ébloui.
Commenter  J’apprécie          256
« Gaspard de la nuit (Autobiographie de mon frère)». Elisabeth de Fontenay (133 pages, Stock).
Un très beau titre, pour un livre très émouvant bien sûr, mais qui invite aussi à réfléchir. Il passionnera non seulement les lecteurs ayant un proche touché par un handicap grave, mais aussi tous ceux qui s'intéressent à l'humain, car c'est bien de l'humain dont il s'agit ici, de l'humain et de ses limites. Elisabeth de Fontenay, philosophe, (par ailleurs engagée depuis longtemps dans la défense raisonnée de la cause animale, mais bien loin des folies de l'anti-spécisme à la mode), évoque dans ce récit poignant et dense son frère Gaspard, (prénom d'emprunt choisi par l'auteur). Celui-ci souffre depuis toujours d'un handicap mental profond qui le coupe de toute possibilité de lien articulé, sensé et/ou sensible avec l'entourage. le handicap n'est pas nommé réellement, (même si elle évoque un Trouble Envahissant du Développement, proche d'un syndrome autistique). Elisabeth de Fontenay veut ainsi que reste une trace, au moins dans un livre, du passage de Gaspard sur cette terre.
Ce livre fera penser au documentaire « Elle s'appelle Sabine », que Sandrine Bonnaire réalisa pour évoquer sa soeur autiste. Mais d'abord le film de l'actrice est plus autocentré, il évoque plus la question -certes lancinante- de la posture de la soeur d'une personne handicapée que celle de Sabine elle-même. Ensuite le film en reste essentiellement au registre affectif, parfois de la révolte ; on y trouve d'ailleurs la même dénonciation que chez la philosophe des effets dévastateurs des traitements neuroleptiques qui, dans le but d'encadrer les comportements dans des limites sociales réputées acceptables, assomment les malades et étouffent petit à petit leurs possibilités de développement.
Mais Elisabeth de Fontenay, elle, va bien plus loin. Elle évoque certaines figures tutélaires de ce qu'on appelle « l'éducation spécialisée » : de l'abbé de L'Epée à Bruno Bettelheim, de Itard à Maud Mannoni, en passant par Pinel et d'autres. Elle convoque philosophes, écrivains et grands penseurs (Diderot, Primo Lévi, Nietzsche, Descartes, Dostoïevski, Duras…). Elle interpelle l'histoire récente (le nazisme en Allemagne et l'extermination par la famine des malades mentaux en France sous Vichy, De Gaulle et sa fille trisomique…)
Tout ici est centré sur la question de l'humanité profonde, radicale, irréductible de Gaspard et de ses semblables, apparemment si dissemblables du commun des mortels. Question qui relève d'un choix, donc d'un parti-pris revendiqué comme tel ; « j'ai dû m'en tenir fermement à une DÉCISION PHILOSOPHIQUE (souligné par moi) de rupture avec la tendre et dangereuse confusion des êtres », nous dit-elle ; une confusion entre l'homme et l'animal qu'entretiennent les animalistes et les utilitaristes qui, comme Peter Singer et Paola Cavalieri, « ne craignent pas de se demander qui, d'un chien fidèle ou d'un handicapé profond doit être jeté à la mer lorsque le bateau risque de couler ». « On comprendra, souligne-telle encore, que j'aie eu à coeur de souligner l'articulation criminelle qu'elle (la position de Singer) pourrait établir entre l'impérative préservation de certaines vies animales et les pratiques eugénistes éliminationnistes que le programme T4 (programme nazi d'élimination des personnes handicapées) aura menées à bien. »
Elle interroge aussi la question du langage, et également de tout ce qui, au fil des siècles, servit de critère pour faire frontière entre l'espèce humaine et les espèces animales. Elisabeth de Fontenay montre comment ses choix de s'élever dans ses ouvrages contre les souffrances imposées aux animaux dans notre société de consommation s'articulent avec sa compréhension de la nature profondément humaine, donc irréductiblement non-animale, de Gaspard et de ses semblables.
La densité du texte, la diversité des références et des champs disciplinaires sollicités n'en font pas un ouvrage simple à lire. Mais c'est un livre passionnant, qui invite à approfondir bien des aspects soulevés ici trop brièvement, qui aurait juste mérité le double ou le triple de pages.
Commenter  J’apprécie          80
Je connaissais Elisabeth de Fontenay pour son oeuvre de philosophe sur la question juive et la cause animale ; je me suis demandé comment elle allait aborder ce sujet si intime, et si l'émotion l'emporterait sur la raison. La réponse, je vous invite à la découvrir par vous-même.
Parce qu'octogénaires et que le temps passe, il faut, comme une nécessité, lorsqu'il n'y aura plus de témoin, que la « mémoire se forge de papier » comme le suggérait Montaigne.
Quoi de plus vrai dans cette réflexion-hommage écrite par Elisabeth de Fontenay, pour son frère, dont le prénom restera de nous inconnu, mais qui cheminera dans notre mémoire de lecteurs comme étant Gaspard.
« le moment est venu, je ne sais pas trop pourquoi, car il est vivant, d'écrire sur lui, de démêler ce que, d'ouï-dire en secrets toujours à demi dévoilés et du fait simplement de notre enfance partagée, j'ai pu saisir de son désespérant silence, de sa persévération dans une irrésistible absence à soi-même. »
Une famille qui a vu se désintégrer les siens pendant la shoah, se retrouve avec deux enfants, l'aînée Elisabeth et le cadet « Gaspard » absent à lui-même. Frère toujours présent pour sa soeur. A l'heure où elle lui donne des mots, ils ne sont plus qu'eux deux et après eux...
Une chappe de plomb s'est refermée sur cette famille concernant l'extermination des siens mais aussi sur le fait d'avoir un enfant différent.
Différent par rapport à qui, à quoi, le monde n'est-il pas assez vaste pour contenir toutes les distinctions de la création.
En effet l'auteur ne sait pas le nom de ce qui distingue son frère des autres, même en cherchant dans les papiers de la famille elle n'a rien trouvé, elle avance sur un lac gelé dont la glace est fragile et peut les faire disparaître.
« Je cherche seulement à le faire exister tel qu'il s'est dérobé aux siens et n'y parviens qu'en usant de la première personne du singulier dans laquelle la soeur, la narratrice et la philosophe cohabitent de manière intranquille. »
Elisabeth de Fontenay ne soigne rien en écrivant sur son frère, elle n'en a pas besoin, il a toujours fait partie de sa vie.
Elle analyse comment, emmuré dans son silence, il a influé sur ses choix et son travail de philosophe.
Elle désire juste qu'on lui reconnaisse une conscience, une sensibilité humaine, occultée par un comportement fait de répétitions, de rituels qui l'enferment, alors elle estime qu'il est inutile qu'au nom d'une « normalité » il lui soit rajouté des chaines.
Stigmatisé, drogué peut-on espérer un jour, qu'un travail thérapeutique soit possible, plus en profondeur et en humanité ?
« L'institution où Gaspard vieilli comprend depuis plusieurs années une maison de retraite—ce qui atteste de la part de ses profondeurs une prévoyance exceptionnelle—mais elle s'appelle toujours Les Jeunes Handicapés. Enfants fous, enfants arriérés... Sans doute par insuffisance de prise en charge, mais surtout parce que la vieillesse des insensés porte à son comble la terreur du non-sens, nous préférons les dire toujours jeunes. Ainsi nommée, la réalité se déréalise et fait moins peur, car la maladie et l'invalidité psychiques vont d'aggravant avec l'âge. »
Elisabeth de Fontenay a su nous bouleverser avec des mots aussi précieux que puissants, alliant intellect et sensibilité et je ne peux que partager son constat et espérer que cela change, nous avons tous un rôle à jouer.
« Dans cette solitude particulière, j'aurai fait l'expérience de l'allergie à l'être différent que tant de gens dénués de méchanceté mais nantis d'un terrifiant sens commun s'empressent de percevoir comme une déplaisante étrangeté et qu'ils veulent effacer de leur champ de vision. Ils se scandalisent d'abord de ce que de tels êtres aient pu venir au monde et surtout de ce qu'on ne les cache pas. »
Et si nous éduquions tous nos enfants « normaux » pour que la différence soit une richesse et non une répulsion ?
Différent ne signifie pas a-humain ...
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 16 novembre 2018.
Commenter  J’apprécie          70
"Gaspard de la nuit" est un récit bouleversant et pour le lecteur un éblouissement. Ce terme, qui peut paraître étrange à l'égard d'un livre qui chemine dans l'obscurité, procède en effet d'une mise en lumière de ce qui est cruellement inconnaissable. Sur le terrain philosophique où elle se place, Élisabeth de Fontenay explore, au plus près de l'intime, sa difficile relation avec son frère handicapé mental, et enquête sur les connexions obscures que celui-ci aurait avec leur monde commun. C'est un livre d'amour sans réponse et de questions vertigineuses, le frère malade cristallisant en sa personne la grande énigme que représente l'être humain quand il est dépourvu d'expression, privé de "je", inaccessible au "principe de réalité".
La question de l'animalité à laquelle la philosophe a consacré la part la plus grande de son oeuvre, y est sans cesse examinée, en vue de ne jamais renoncer à l'humanité de ce frère mutique, et, au contraire, de la réaffirmer. C'est par la grâce de l'écriture, qui est proprement une pensée en chemin, que l'auteur convoque tour à tour les lumières d'autrui, à seule fin de percer, si peu que ce soit, l'immense nuit errante de Gaspard.
Commenter  J’apprécie          160
Elisabeth de Fontenay emprunte le titre de son petit essai philosophique au tout premier recueil de poèmes en prose paru au XIX°s, "Gaspard de la Nuit" d'Aloysius Bertrand. Pourtant, rien de plus étranger à l'esthétique baroque, fantaisiste et moyenâgeuse du poète que ce livre bref, écrit sobrement, et d'une élévation de pensée constante. Il est consacré à la vie, au "cas", du frère d'Elisabeth de Fontenay, atteint d'une incurable maladie mentale et à la charge de la famille, puis, maintenant, de la soeur. Elle ne se soucie pas d'émouvoir les lecteurs ni de se prêter au tourisme sentimental. Son but est d'évoquer ce frère, la vie qu'on mène avec lui, et surtout, le rôle fondamental qu'il a joué dans les études et la pensée de sa soeur philosophe. C'est pour cela que ce livre parfois exigeant est un véritable essai : on y trouve retracées les origines des lectures et des positions philosophiques de son auteur, dans la biographie et l'intimité de celle qui les a formées. A ce titre, Elisabeth de Fontenay cite Nietzsche, pour qui une pensée philosophique est le reflet, l'expression, la mise en forme d'une personne dans sa vie affective, physique et personnelle, et pas seulement intellectuelle. Enfin, Elisabeth de Fontenay éclaire pour nous le lien entre le souci de son frère et ses questions sur l'humanité dans ses rapports avec les animaux, et son intérêt pour les grands débats sur le "propre de l'homme", auxquels les médias donnent aujourd'hui un grand écho.
Commenter  J’apprécie          130


critiques presse (2)
LaCroix
26 octobre 2018
L’essayiste et philosophe Elisabeth de Fontenay livre un texte intime consacré à son frère cadet handicapé.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Bibliobs
11 septembre 2018
La philosophe a un frère cadet, qui est atteint d'un profond handicap mental. Elle l'évoque dans un livre remarquable.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Dans cette « autobiographie » de son frère, Élisabeth de Fontenay travaille à lui redonner une place de sujet. Est-il autiste, ou souffre-t-il d’une déficience mentale jamais clairement diagnostiquée ? Quoi qu’il en soit, Gaspard n’a pas conscience de lui-même ; il dit rarement « je » et ne se regarde pas dans la glace. On a l’impression d’un enfant (aujourd’hui âgé de 80 ans) qui n’a jamais atteint le « stade du miroir » et la distinction entre moi et autrui. C’est donc à sa soeur de prendre en charge sa conscience de lui-même.
Elle le fait avec précaution, avec respect, car écrire sur quelqu’un peut être une violence quand l’autre n’a pas la possibilité de répondre. Et comme elle est philosophe, elle s’aide de ses lectures pour mener ses observations et ses réflexions. C’est à la fois un atout, et, de mon point de vue, un frein. Avec ses nombreuses références elle met une distance entre elle et son sujet, et je trouve son style peu fluide à force de chercher constamment le mot juste. Cela dit, ces citations philosophiques ou culturelles sont souvent très pertinentes. La plus troublante, peut-être, concerne ses propres écrits sur la cause animale, quand elle fait le lien entre « le silence des bêtes » et celui de son frère.
On retrouve dans cette notion ce proverbe souvent cité : le degré de civilisation d’une société se mesure à la façon dont elle traite… et là, chacun complète la phrase selon ses priorités. Pour ma part je dirais : selon la façon dont elle traite les fous. D’autres diront : les pauvres, les vieux, les chômeurs, les malades, les prisonniers. Élisabeth de Fontenay répond : les animaux et les humains privés de parole. Sur cette absence de parole, elle fonde son humanisme.
Commenter  J’apprécie          30
"Ou il n'y a personne ou l'on ne veut pas répondre", dit un personnage de Diderot, le Neveu de Rameau, en se frappant le front. Cette exaspération, parfois, de ma mère m'aura fait comprendre que les deux branches de l'alternative, absence ou refus d'entendre, étaient l'une et l'autre, et ensemble, recevables. Ainsi n'ai-je jamais cessé de tenir Gaspard pour une personne et de me dire, aujourd'hui comme hier, qu'il en rajoutait.
Commenter  J’apprécie          50
Et si je tiens finalement à laisser une trace de ton prénom, c'est qu'après que nous aurons l'un et l'autre disparu, sans descendance, notre nom et nos prénoms, imprimés, sauvegardés, survivront un temps dans le clair-obscur des bibliothèques qui sont les seuls tombeaux d'où il arrive parfois qu'un lecteur vous fasse revenir.
Commenter  J’apprécie          60
La nuit de Gaspard évoque un soi qui n’a pas accédé à la condition de sujet, à la possibilité ordinaire et prodigieuse de dire je. Elle est une énigme humaine supplémentaire, inattendue, impénétrable.
Commenter  J’apprécie          90
Tes parents t'ont appelé Gilbert-Jean. Et si je tiens finalement à laisser une trace de ton prénom, c'est qu'après que nous aurons l'un et l'autre disparu, sans descendance, notre nom et nos prénoms, imprimés, sauvegardés, survivront un temps dans le clair-obscur des bibliothèques qui sont les seuls tombeaux où il arrive parfois qu'un lecteur vous fasse revenir.
Commenter  J’apprécie          40

Videos de Élisabeth de Fontenay (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Élisabeth de Fontenay
La Grande librairie - Inrégrale
autres livres classés : autismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (163) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
439 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..