La belle tentative poétique et acérée de reconstruction d'une vie à partir du journal absent de six années d'internement psychiatrique.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/22/note-de-lecture-portrait-dune-fille-qui-ne-se-ressemble-plus-laurent-georjin/
Une jeune femme. Internée pendant six ans dans un hôpital psychiatrique. Son suicide final, à la préparation annoncée dès les toutes premières pages. Son journal intime, racontant ces années, le quotidien de l'hôpital, les patients et les infirmiers, comme, par bribes à reconstruire, le cheminement qui l'a conduite ici.
Mais ce journal, nous ne le lirons pas. C'est le narrateur qui nous en transmet sa propre lecture, sa propre envie, son propre constat. Sa propre compréhension : formidable narration lacunaire au filtre indéterminé, à la fiabilité douteuse mais assurément empathique. Palimpseste devenant de plus en plus poétique au fil des pages, lorsque les suppositions apparentes doivent tenter de combler les oublis du journal, de raccorder les fils dénoués, de trouver un sens le plus complet possible aux fragments pourtant pré-agencés que nous découvrons – en essayant d'effacer, si seulement cela était réellement envisageable, les propres idiosyncrasies du narrateur – puis les nôtres.
Publié en février 2022 aux éditions du Canoë, «
Portrait d'une fille qui ne se ressemble plus » est le deuxième roman de
Laurent Georjin, après «
Portraits en forme de nuage qui passe » (2009). Il a entretemps composé bon nombre de fictions et d'instants poétiques radiophoniques pour France Culture et pour RTBF (je vous encourage vivement à prendre le temps d'écouter son impressionnant « Dans l'odeur acide des fougères », porté par la voix de l'actrice Anne-Claire, par exemple). J'ai été largement bouleversé, dans ce « Portrait », par la manière spécifique qu'il a inventée pour rendre compte avec sensibilité, poésie inattendue et absence totale de naïveté de l'internement psychiatrique d'une jeune femme pendant six longues années. Autour d'un exercice potentiellement difficile, ou pouvant aisément verser soit dans le cliché (on se souviendra par exemple des réflexions d'
Arno Bertina à propos du risque du pathos, ici) soit dans l'imagination trop désincarnée, il me semble qu'il a su trouver un équilibre presque parfait, à l'intersection du poignant et du cruel, du paradoxalement beau et du cinglant de la réalité. Comme le dit fort joliment Dominique Panchèvre (ici), la méthode rusée choisie par
Laurent Georjin pour ce travail de mémoire insolite « laisse au lecteur un immense espace d'imagination pour se fabriquer son propre livre ».
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