Regardez la neige qui tombe.
Impressions de
Tchékhov.(1992)
Roger Grenier (1919-2017)
Qui se souvient de la mort de
Roger Grenier en 2017 dans une France tendue vers l'Election marquée par un hold-up sur Fillon.. moi pas en tout cas. A moins que cela m'ait échappé, mais je pense que cela s'est fait à bas bruit au milieu de ce tohu bohu étourdissant, abêtissant même, qui secouait la France d'alors et que la mémoire de cet homme de lettres délicieux, compagnon fidèle de Camus, fut plutôt passée à la trappe ..
J'ai parlé abusivement ici de traversée du désert littéraire de Sartre-Camus-Malraux à
Houellebecq, il est vrai que ma précipitation m'a un peu emporté et que j'aurais pu citer quelques auteurs qui n'ont pas démérité. Preuve en est avec
Roger Grenier qui signe précisément en 1992 ce très bel exercice ici évoqué. Peut-être voulais-je rester sur la crête des monstres sacrés français et forcer le trait pour signaler le marasme cuisant qui tétanisa le monde littéraire sur plus d'une génération, si ce n'est pas deux ?
J'aime quand un grand auteur se penche sur un autre avec délectation, déférence et raffinement, un raffinement qui vient sur un autre raffinement, celui de l'auteur ciblé. J'aime aussi sa manière de faire quand elle n'est ni chronologique, ni thématique, mais comme ça lui vient, intuitivement, chapitre par chapitre, comportant un titre presque comme dans un récit d'enfant qui cherche à mettre un nom sur chaque chose, des Impressions de
Tchékhov comme nous dit
Roger Grenier, dans son livre sublimement intitulé : "Regardez la neige qui tombe".
Et pourtant, il paraît que
Tchékhov écrivait par habitude, en fonctionnaire ? Et pourtant, c'est celui qui disait : "Ecrivez ce que vous voulez ; si vous manquez de faits concrets, remplacez-les par des tirades lyriques". On a l'impression qu'il fait tout à l'envers notre
Tchékhov !
Nous ne sommes pas loin en fait ici du recueil d'anecdotes, mais propres à un écrivain, qui n'empêche pas un regard sur son monde contemporain, en précisant peut-être que Grenier est né à peine 15 ans après la mort de
Tchékhov, même si on a le sentiment qu'un siècle les sépare. Grenier a étoffé sa démarche en publiant ensuite ses
Instantanés..Et voilà, c'est ça que j'aime bien qui rend complètement digeste l'idée d'écrire sur un autre, un pair en l'occurence.
Deux prix sont venus couronner cette oeuvre de Grenier qui ne pouvait pas m'échapper. Si on a dit un jour à Grenier qu'il fallait lire
Tchekhov, c'est une littérature pour lui ; ben Grenier écrivant sur
Tchékhov est une littérature pour moi.
On dirait que l'un procède de l'autre et réciproquement en fait, tant la subtilité suinte à chaque page de part et d'autre.
Comme j'aime les grands auteurs du pays des frimas, qui n'ont pas leur pareil pour évoquer la neige, je suis allé spontanément vers les chapitres où les paysages chantent, mais pas seulement, je suis allé aussi butiner ces fleurs de chapitre, indifféremment. "A Venise, ce ne sont pas les palais qu'il remarque, mais une marchande de violettes et la calvitie d'un guide"
"Si la vie n'a pas de sens, elle n'est qu'une farce de collégiens (...) le sens ?.. Tenez, regardez la neige qui tombe, quel sens ça a-t-il ? (
Les Trois soeurs)"
"Si je pouvais enlever de mon âme, de mes épaules la lourde pierre, si je pouvais oublier mon passé" (
La Cerisaie)
Il n'y a pas de tragédie ici, mais combien de rêveries vivantes teintées de pessimisme !..La confrontation de ces deux écrivains dans un temps sans frontières est impérieuse, supérieure ..
Regardez la neige qui tombe est un joyau de littérature que l'on retrouve chez Folio Gallimard, 1992 à huit euros si je ne m'abuse. 12 09 2022 PG