Ce qui demeure en refermant «
Mr. Norris change de train », le sentiment d'avoir lu un roman divertissant avec des personnages énigmatiques, extravagants dont les raffinements désuets et les affectations alimentent l'intrigue. Car il s'agit d'abord d'un jeu de rôles avec un Mr Norris qui a la roublardise comme moteur, le type qui serait prêt à vendre un frigo à un esquimau tout en cultivant une esthétique de dandy.
Il n'en faut pas plus pour séduire William Bradshaw, jeune homme élégant et lucide, amusé par un personnage aussi fantasque que ce beau parleur sans cesse animé par une agitation tantôt joyeuse tantôt anxieuse.
Cette attraction mystérieuse est véritablement la mamelle nourricière de ce roman dans lequel on s'interroge sans cesse sur l'opiniâtreté de Bradshaw à entretenir cette amitié improbable avec un homme harcelé par ses créanciers qui se révèle au fil des pages vulgaire, pataud, excessif en s'affichant ostensiblement avec des préciosités absurdes.
On peut considérer que c'est peut être par goût des rencontres inattendues dans un Berlin en proie à l'agitation de toute nature et dans lequel Norris lui fait découvrir aussi bien la ferveur du milieu communiste que la luxure de la haute aristocratie qu'il suit presque aveuglément cet homme d'affaires douteux.
Avec des personnages aussi troubles, et c'est là une des forces de cette fiction, l'auteur joue habilement avec les apparences, entretient savamment l'ambiguïté quant à l'identité et la moralité de ces mêmes personnages. le lecteur se surprend à chercher des indices. Cela permet aussi à l'auteur de poser de manière lointaine un regard oblique sur l'Allemagne du début des années trente. Avec un regard neuf, nullement trahi par la survenue des évènements postérieurs (ce roman ayant été publié en 1934), il laisse résonner au fil des pages la montée de toutes les colères et frustrations, ainsi que de tous les cynismes, et avec elle, celle de la menace nazie.
Avec une intrigue reposant sur des personnages excentriques et une écriture distanciée, «
Mr. Norris change de train » ressemble à une comédie de moeurs qui emprunte au flegme britannique un ton léger à rebours des évènements. Au point de nuire malheureusement au rythme de la narration et rendre l'intrigue un peu trop superficielle.