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Jeanne Collin-Lemercier (Traducteur)
EAN : 9782070364794
704 pages
Gallimard (08/11/1973)
3.87/5   79 notes
Résumé :
Je ne connais pas homme qui s'intéresse honnêtement au fond de son cœur à la cause que nous voulons faire triompher. Les hommes haïssent cette cause, ils n'ont que du mépris pour elle ; ils essayent de l'anéantir partout où ils la rencontrent...

Le monde regorge de beaux messieurs qui seraient bien contents de vous fermer la bouche avec des baisers ! Le jour où vous deviendrez une menace pour leur égoïsme, leurs intérêts, ou leur immoralité - et je d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
La déferlante « Me too » est le point d'orgue d'une tendance qui a mis longtemps, très longtemps à maturer. Peut-être d'ailleurs n'en est-elle pas l'acmé, ni l'ultime éminence ; à tout le moins pouvons-nous avancer, dès à présent, qu'il y eut un avant et qu'il y a un après « Me too ».

À bien des égards, ce mouvement de lutte pour le droit au respect, à la visibilité et à l'égalité des femmes par rapport aux hommes rappelle énormément celui des Afro-américains vis-à-vis des populations blanches aux États-Unis suite à l'abolition de l'esclavage. On se situe d'ailleurs à peu près dans les mêmes années. Lesquels mouvements crurent en intensité dans l'immédiat après-guerre et jusqu'aux années 1970, puis à nouveau de nos jours, processus d'ailleurs jamais complètement abouti, car derrière cette apparente « lutte des races » se cachent en réalité un Nième et sempiternel avatar de la lutte des classes, c'est-à-dire, dit autrement, une lutte de pouvoir et d'influence, ce qui, dit autrement encore, équivaut à un combat pour l'argent, inégal et féroce par nature.

Un roman comme celui de Ralph Waldo Ellison, Homme invisible, pour qui chantes-tu ? montre assez l'enjeu de telles luttes. Il préfigurait, dès 1952, ce qui allait advenir et qui était dans l'air du temps, avant même Rosa Parks, Martin Luther King ou Malcolm X : c'était là, ça enflait, ça gonflait, ça se dilatait, ça ne demandait qu'à éclater et il fallait juste attendre la petite étincelle pour que ça prenne les proportions que l'on sait.

« Me too », c'est exactement la même chose : c'était quelque chose qui montait, montait, montait depuis des années et l'affaire Harvey Weinstein n'en fut que le déclencheur, le détonateur si l'on veut. Si ça n'avait pas été cette affaire, c'en aurait été une autre, car l'abcès était tellement prêt à crever qu'il aurait éclaté rien qu'à le regarder.

(Notons, s'il faut se convaincre qu'il existe bien de tels « moments de bascule » dans l'histoire qu'en moins de deux ans, de 1975 à 1977, surgirent subitement dans les séries états-uniennes grand public une profusion d'héroïnes là où l'on n'avait toujours vu à peu près que des héros, avec Wonder Woman, Drôles de dames et Super Jaimie, par exemple. Dans les années 1990-2000 en France, dans le même type de programme populaire, il devient difficile de voir à heure de grande écoute un commissaire de police qui soit autre qu'une femme, Julie Lescaut, Une Femme d'honneur, etc., etc.)

Aussi peut-il être intéressant de lire ce que la littérature a à nous apprendre sur cette montée progressive, sur ce murissement d'une lente révolution des moeurs et des us de par le monde. À ce titre, il m'a paru intéressant d'aborder ce roman d'Henry James datant de 1886.

En effet, l'auteur nous évoque la situation de son pays environ une quinzaine d'années auparavant, soit aux alentours des années 1870, soit peu de temps après la fin de la Guerre de Sécession qui mit fin à l'esclavage dans les états du sud.

D'emblée, il n'est pas inintéressant de noter que James fait tout de suite le parallèle, via son personnage de la vieille Miss Birdseye, entre la lutte pour l'émancipation des esclaves dans ces états du sud et celui de l'émancipation des femmes, laquelle lutte on devine qu'elle sera longue, lente, incertaine, fatigante et fastidieuse par essence.

Henry James, qui est déjà un vieux routier du roman lorsqu'il écrit ses Bostoniennes, choisit une architecture tricéphale pour son roman, avec trois personnages principaux bien différents et représentant trois types d'engagement dans cette lutte féministe : l'idéologue, militante inflexible (Miss Olive Chancellor), l'oratrice praticienne, militante ouverte (Miss Verena Tarrant) et l'opposant conservateur et réactionnaire (M. Basil Ransom).

Ces trois personnages archétypaux, sortes de couleurs primaires, sont doublés de trois personnages secondaires aux caractéristiques combinées et intermédiaires par rapport aux précédents : la femme émancipée non militante (la doctoresse Prance), l'idéologue militante ouverte (Miss Birdseye) et la femme du monde conservatrice (Mrs Adeline Luna).

Autour de ces six personnages gravitent encore quelques autres personnages que je me permets de qualifier de tertiaires et qui symbolisent d'autres déclinaisons encore de réactions ou de types psychologiques en rapport avec la question du féminisme : l'homme mondain énucléé prêt à toutes les compromissions pour coller aux exigences de l'air du temps, s'il faut se faire féministe, il se fera féministe, et s'il fallait se faire ultra machiste, il se ferait ultra macho (M. Burrage), l'homme arriviste prêt à surfer sur l'émergence du mouvement féministe pour arriver à ses propres fins (M. Pardon), l'orgueilleuse pour qui l'avènement de la femme, à l'échelon collectif, est une aubaine propre à satisfaire ses ambitions personnelles (Mrs Tarrant), ou encore l'opportuniste mystique, celui qui prend acte des changements en cours et qui voit dans les nouvelles « religions » un genre de marché qui s'ouvre et auquel il faudra bien pourvoir le plus délicatement possible (M. Tarrant).

C'est troublant, n'est-ce pas, comme tout est déjà parfaitement en place à l'époque où Henry James écrit son roman, tout est déjà parfaitement comme aujourd'hui, preuve s'il en était besoin que tout change et que finalement rien ne change.

Henry James, qu'on ne peut décidément pas taxer d'avoir négligé la construction de son roman, opte encore pour une architecture symétrique entre le début et la fin de l'oeuvre. En effet, tout commence lors d'une réunion publique où doit être prononcée une conférence devisant de féminisme, par une oratrice de renom, et tout termine, devinez comment ? lors d'une réunion publique où doit être prononcée une conférence devisant de féminisme, par une oratrice de renom.

À chaque fois, l'oratrice de renom sursoit et c'est une oratrice moins aguerrie qui s'y colle. Personnellement, j'y vois une allégorie : on vient pour écouter unetelle, on repart en en ayant écoutée une autre, pas nécessairement moins talentueuse, mais en tout cas pas celle qu'on était venue écouter, exactement le genre de situation qui peut vous laisser un petit goût d'inachevé dans la bouche, le sentiment d'avoir été un peu flouée au passage, exactement comme dans ces concerts où vous venez pour écouter une tête d'affiche et vous repartez en ayant entendu un jeune groupe inconnu.

Il y a beaucoup de facettes à ce roman, beaucoup d'angles sur lesquels il pourrait être analysé, alors il me va falloir choisir, car on ne puit tout dire, au risque de ne rien dire de réellement consistant, et, comme le rappelle André Gide, choisir, c'est renoncer. Alors, d'emblée, je renonce tout de suite à ce qui faisait peut-être la plus grande originalité du roman lors de sa parution : le « ménage » de deux femmes non mariées, dont on devine sans peine l'émoi qu'il suscita dans la société hautement prête à accepter l'homosexualité de l'époque ! (Rappelons, pour mémoire, qu'Oscar Wilde est condamné en 1895 en raison de son ouverte homosexualité.) On ne nous dit jamais qu'il y a relation homosexuelle entre ces deux femmes, tout comme, plus de cinquante ans après, Tennessee Williams ne nous en parle jamais non plus, mais il n'est nul besoin d'être grande prêtresse de Delphes — what a pythie ! — pour le deviner sans ambages.

Eh bien, de ça, je n'en parlerai pas. du mouvement des suffragettes à l'époque ? Je n'en parlerai pas beaucoup non plus. Alors de quoi parler, si l'on élude les sujets les plus croustillants d'un tel roman ? de l'histoire d'amour qui se noue entre deux des personnages en dépit de leurs convictions ? Oui, c'est vrai, c'est très bien fait, c'est bien amené, l'auteur y déploie des trésors de finesse et de psychologie des personnages comme rarement on a su faire depuis et pourtant je ne vous en parlerai pas non plus.

Alors que reste-t-il de si fantastiquement captivant à énoncer si l'on évite si soigneusement tout ce qui en fait la vibrante substance ? J'y viens, j'y viens. Je choisis — car vous savez à présent que j'aime les défis — une assez minuscule saillie d'un des personnages, à savoir, le moins principal des principaux, Basil Ransom.

Celui-ci s'exclame, au chapitre XXXIV (pp. 523-524 dans la collection folio), tandis qu'il est en pleine joute concernant les idées avec Verena, et qu'elle lui demande : « De quoi donc voulez-vous sauver les hommes ? » et lui du tac au tac : « De la féminisation la plus odieuse ! Loin de penser, comme vous le disiez l'autre soir, que nous ne faisons pas assez de place à la femme dans nos vies, il y a longtemps que je trouve, moi, que nous lui en faisons beaucoup trop. Toute cette époque est féminisée ; le ton masculin est en train de disparaître de la face du monde ; cette époque est régie par les femmes, les nerfs, le maboulisme, le bavardage, la pruderie ; c'est l'époque des phrases creuses, des fausses délicatesses, des campagnes sans objet valable, de la sensiblerie ; et cela aboutira, si l'on n'y prend garde, à l'état de choses le plus médiocre, le plus plat et le plus prétentieux qui ait jamais existé. La vigueur masculine, le penchant masculin pour la réalité, la possibilité qu'ont les hommes de regarder le monde bien en face et de l'accepter tel qu'il est — étrange méli-mélo, assez affreux par endroits — c'est là ce que je voudrais préserver, ou, plus exactement, ce que je voudrais reconquérir ; et je vous avoue que je me moque complètement de ce qui peut advenir de vous, mesdames, au cours de cette entreprise ! »

C'est une étrange affirmation, n'est-ce pas, sous la plume d'Henry James en 1886 que « cette époque est régie par les femmes » ? Moi, de ce que je connais de 1886, c'est exactement l'inverse que j'imagine, alors, qu'a donc bien voulu exprimer l'auteur par l'intermédiation de ce personnage de Basil Ransom ? Je me suis réellement et sincèrement posé la question.

Lorsqu'il y a une telle béance entre ce que l'on perçoit les uns les autres, c'est très certainement que se cache quelque chose d'intéressant à dénouer. En effet, pour les féministes, les hommes régissent tout et c'est insupportable et pour l'opinion exprimée par James au travers du personnage de Basil Ransom, c'est exactement l'inverse.

Alors, au risque de poser une question triviale et possiblement jugée absurde, je vous pose la question : Au fait, c'est quoi un homme ? (J'avais déjà posé cette redoutable question dans ma critique de « Des chiens et des humains » de Dominique Guillo dans une version légèrement différente, sous forme de : Au fait, c'est quoi un chien ?)

Alors, pour tâcher de répondre à cette question, j'ai fermé les yeux et j'ai essayé de m'imaginer la chose la plus typiquement masculine que mon faible cerveau puisse imaginer. Et là, j'ai vu le portrait en noir et blanc d'Éric Tabarly, avec sa barbe de 10 jours, en 1964 à la fin de la transat anglaise, là, j'ai vu le regard grave de Iouri Gagarine avec son scaphandre au moment où il monta dans la fusée Vostok I, là j'ai vu le visage buriné des bergers qui estivent dans les alpages en regardant grossir l'orage démoniaque, là j'ai vu le visage des boxeurs des années 1960 juste avant leur match, là j'ai vu le visage du Che étendu par terre en Bolivie, mitraillé par les agents à la solde de la CIA en 1967. En littérature, l'archétype de l'homme, tel que décrit ici, je le vois, par exemple, dans le Père Milon de Guy de Maupassant.

Oui, il y a quelque chose de violent, de solitaire, un risque de mort imminent dans toutes ces images. Pourquoi mon cerveau est-il incapable de faire germer une image plus récente que la fin des années 1960 ? Et si c'était justement contre ça qu'avaient éclos les mouvements féministes, pacifistes, égalitaires de ces mêmes années ? Et si c'était précisément pour cette même raison que les années 1970 ont fait fleurir les Wonder Woman, les Drôles de Dames et les Super Jaimie, et les gentils Capitaine Dobey et Huggy-les-bons-tuyaux dans Starsky et Hutch ?

De quels hommes parlons-nous ? Est-ce de l'avocat chicaneur qui épluche les articles du code pour éviter l'amende à son client ? Est-ce du banquier d'affaires ou du designer de chez Apple que l'on parle ? Est-ce d'un président d'une start-up nation ? Quelle population se serait émue d'une guerre en Ukraine avant la nôtre ? J'essaie à grand peine de m'imaginer la réaction de nos ancêtres paysans du XIXème siècle à l'annonce d'une telle guerre. Ils auraient sûrement eu toute sorte d'avis la concernant, mais je doute qu'ils éprouveraient des grands wagons d'émotion concernant ce peuple de l'autre bout de l'Europe. Les guerres « viriles » de Napoléon étaient encore considérées avec force et fierté, et nombreux sont ceux qui allèrent à la guerre de 1914 avec un sentiment de « faire son devoir » et « d'aller mettre une bonne branlée aux Allemands ».

Depuis lors, il s'est pourtant passé un événement étrangement peu commenté, le basculement, à l'échelle planétaire, du nombre d'habitants des villes comparé à celui des campagnes. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais c'est, je le crois, une donnée fondamentale. Pour vivre en ville, il faut supporter la promiscuité de nombreux congénères, il faut être en mesure d'abaisser drastiquement son taux d'agressivité, il faut dire adieu à la solitude et à la quiétude des grands espaces, accepter d'entendre piailler à longueur de journée autour de ses oreilles, faire sienne la notion de sécurité collective, respecter tout un tas de petites règles contraignantes que la virilité vraie réprouve, bref, en deux mots comme en mille, l'exact inverse de ce que mon imaginaire imagine lorsqu'il imagine un homme, tel que je l'ai formulé plus haut.

Alors, c'est vrai, très concrètement, depuis la fin du XIXème siècle et jusqu'à nos jours, ça n'a été qu'une longue et pénible lutte des femmes, des minorités diverses pour le droit à l'égalité de traitement, notamment vis-à-vis de ce que l'on considère génétiquement comme des hommes. Mais les hommes, au sens que j'ai dit plus haut, ont très certainement déserté la place depuis bien longtemps, vestige d'un ordre du monde qui n'existe plus du tout. Et, je crois, ce qu'exprime Basil Ransom — et à travers lui Henry James —, c'est très probablement cette espèce en voie d'extinction que l'on appelait les hommes, au sens Tabarly-Gagarine-Che Guevarresque du terme, remplacé par ce concept nouveau et quelque peu hybride d'homme, au sens Macron-Cruise-Obamesque du terme, l'homme de demain.

Je pense même qu'une bonne part de la détestation qu'exerce un Vladimir Poutine sur les populations occidentales provient précisément du fait qu'il est, par beaucoup d'aspects, excessivement masculin au sens que j'ai explicité auparavant. En effet, à beaucoup d'égards, il ne cadre pas du tout avec la version douce, calme et policée que l'on attend de l'homme à présent.

Ainsi, je crois que, par ce roman, par sa brûlante actualité, Henry James met le doigt sur un élément éminemment fort pour quiconque souhaite comprendre notre civilisation : la quête effective du pouvoir par les femmes dans un monde effectivement déjà féminisé. le monde, par le biais de son urbanisation, s'est féminisé mais les structures du pouvoir, elles, sont restées masculines et il est là le vrai hiatus. Si le monde ne s'était pas au préalable féminisé sous l'effet de l'urbanisation, il n'y aurait même pas eu de place pour un quelconque combat féministe, comme ce fut le cas pendant des siècles dans un monde essentiellement rural. Ne nous y trompons pas, c'est parce que le monde s'est urbanisé — et donc, par la force des contingences, féminisé — que les femmes peuvent désormais prétendre à l'égalité.

Henry James décrit un monde déjà éminemment urbain, entre Boston et New-York, où Basil Ransom, qui vient des campagnes des états du sud, a du mal à se reconnaître. Lui perçoit cette bascule. Quant au personnage d'Olive Chancellor, il incarne bien une autre dimension du combat féministe actuel : pour elle, il n'est pas seulement question d'obtenir l'égalité entre homme et femme, elle désire autre chose, elle désire plus : elle veut venger les femmes des siècles passés, elle veut « faire payer » les hommes pour ce qu'ils ont fait subir aux femmes et, si vous tendez suffisamment l'oreille, vous entendrez également ce genre de revendication dans les combats féministes actuels.

Donc, un roman très intéressant et bien écrit, avec quelques éléments qui me déplaisent cependant, notamment les interventions directes du narrateur qui, selon moi, font office de repoussoir et la globale lenteur de l'action, même si je la juge nécessaire parfois pour montrer le lent travail psychologique qui s'effectue au sein des relations entre les différents protagonistes. Mais, bien entendu, une fois encore, ceci n'est que mon avis — qui plus est sur un angle presque anecdotique du roman —, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Pour les tortues qui savourent lentement la littérature, voici un classique idéal: 695 pages découpées en petits chapitres, pour une parution en feuilleton dans la presse d'une époque reculée ...alors, prêtons-nous au jeu de la lecture longue distance avec les mêmes personnages, et savourons le style d'Henry James qui nous emmène dans son monde.

Certes, je veux bien convenir avec lui, à la page 555, qu'une traduction peut obscurcir un univers littéraire, mais je ne suis pas assez douée pour le lire dans sa langue, comprendre son humour décalé lorsqu'il nous interpelle sur ses héros, alors je remercie tous les traducteurs pour leur médiation.

Les Bostoniennes, c'est un peu la foire aux vanités des suffragettes américaines des années 1870, si j'osais la comparaison. Un sudiste, pauvre, ruiné par la guerre civile, Basil Ransom, tombe amoureux d'une militante féministe charismatique très belle, et devient le rival de sa propre cousine, Olive, riche et indépendante bostonienne. Le triangle amoureux est très original, osé pour l'époque, les militantes de l'émancipation coincées dans pas mal de contradictions, les personnages secondaires très intéressants. Le dialogue liberté aliénation prend alors des nuances inattendues, et tout est dit avec une légèreté qui n’exclut pas la passion . Le style est brillant , c'est un bonheur de lecture. On entendrait presque l'accent sudiste de Basil.

Avec Henry James, le New-yorkais, on entre dans une Amérique des villes, on s'y promène avec lui, et dans cette bonne société qui voyage en Europe vécue toujours comme une référence . On découvre l'importance de la rhétorique de séduction dans le discours politique qui a tout d'un prêche religieux, mâtiné de discours des saltimbanques ambulants qui sillonnent le pays. On comprend comment des militantes antiesclavagistes, orphelines d'une cause, ont pu se tourner vers le féminisme dans une démocratie balbutiante et communautariste. Il nous transmet la douleur des vaincus de la guerre civile en quelques touches émouvantes.

je ne vous dirai bien évidemment rien des choix de la belle courtisée de toute part ...à vous d'entreprendre le chemin. Ce roman mérite d'être redécouvert assurément.
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Dans ce roman qui a pour cadre le milieu des suffragettes et des féministes américaines de la fin du 19e siècle sur la cote est étasunienne, Henry James s'attache de nouveau à offrir une admirable galerie de portraits de femmes d'une grande finesse et d'une grande précision, tout en préservant et en concentrant l'intensité de leurs interactions dans des scènes, le plus souvent limitées à la confrontation de deux personnages .
Pour autant si chaque personnage, chaque femme de ce roman est élaboré avec le souci d'en faire le représentant des différents statuts occupées les femmes de la bourgeoise américaine en une période historique donnée, Henry James ne se saisit pas du cadre dans lequel il inscrit son récit pour donner à celui ci une dimension plus sociologique, plus politique.
A aucun moment à partir de ces descriptions, il n'interroge réellement la place des femmes dans la société américaine.
Quel regard Henry James homme de son temps, porte-il nénmoins sur la question de l'émancipation des femmes ? On serait en droit de s'interroger, tant il semble décolérer ce qui serait la figure d'un improbable éternel féminin de ce qu'il semblerait présenter comme le vernis d'un engagement quasi sectaire envisagé comme épidermiquement obsessionnel et circonstanciel.
Le portrait qu'il semble faire en filigrane des militantes, en vielles filles rancies, sectaires et amères quoique sincères, n'est parfois pas très éloigné des caricatures habituelles et l'on le soupçonnerait presque d'endosser le point de vue du personnage principal masculin fraichement débarqué d'un sud confédéré qu'il semble parer d'un conservatisme de bon aloi, frappé au coin du bon sens .
Loin de faire de l'émancipation des femmes un enjeu de libération il en fait au contraire - peut être inconsciemment - un des enjeux d'un assujettissent, d'une domination. , ceux dont est l'objet ce personnage de jeune militante, oratrice magnétique, manipulée et objet de toutes les attentions intéressées, de part les profits symboliques que son talent pourrait apporter à la cause.
Seul le personnage masculin qui en dépit de son aversion absolue pour les positions féministes, parait vouer un amour passionnel pour la jeune fille , semble ici, le seul dépositaire de la sincérité et du désintéressement. Et le fait que ce sentiment s'avère in fine réciproque et postule assez ridiculement que « l'amour pur et véritable » serait au dessus des passions tristes et contingentes, confirme la sensation ambigüe et troublante que procure par endroits , la lecture de ce livre.
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Très particulier: lent (trop diront certains...) et il est difficile d'entrer dans ce rythme fait de paroles longues et de temps sans rien, mais un beau moment de littérature car l'écriture est exceptionnelle. Au final, reste un joli souvenir de lecture.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Elle était toujours vêtue de la même façon : paletot noir flottant et pourvu de grandes poches d’où sortaient toutes sortes de papiers, provenant de sa vaste correspondance ; et sous ce paletot dépassait une robe courte en étoffe quelconque. Le manque de longueur de cette modeste robe était le seul signe apparent que s’accordât Miss Birdseye pour faire comprendre qu’elle était une femme d’affaires, et qu’elle désirait ne pas se sentir d’entraves. Inutile de dire qu’elle faisait partie de la Ligue des Jupes Courtes ; car elle faisait partie de presque toutes les ligues existantes pour presque n’importe quoi. Ce qui ne l’empêchait pas d’être la plus désordonnée, brouillonne, illogique et raisonneuse des vieilles demoiselles ; sa charité, qui commençait par soi-même et ne s’arrêtait nulle part, n’avait d’égale que sa crédulité ; sa connaissance des hommes, loin de s’être développée au cours de ses cinquante années de zèle humanitaire, était encore plus limitée, si possible, que le jour où elle était partie en guerre contre les iniquités sociales.
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Il avait gardé d'elle le souvenir d'une très jolie jeune fille; mais la petite prophétesse en pleine floraison qu'il apercevait maintenant était plus jolie encore. Ses magnifiques cheveux semblaient lancer des flammes; sa joue et son menton avaient un dessin dont la distinction le frappa; ses yeux et ses lèvres étaient pleins de sourires et d'accueil. Elle lui était apparue autrefois comme un être lumineux, mais à présent elle semblait éclairer toute la pièce, irradier sa lumière en tous sens, de sorte que rien de ce qui l'entourait n'avait plus aucune importance; elle se laissa tomber sur le misérable sofa avec autant de grâce qu'une nymphe qui s'étendrait sur sa peau de léopard; sa voix délicieuse obligeait Ransom à l'écouter jusqu'à ce qu'elle recommençât à parler.
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— Ce qui me frappe le plus, c'est que la race humaine ne peut échapper à sa condition misérable.
— C'est ce que les hommes disent aux femmes pour leur faire accepter le sort qu'ils leur ont fait.
— Oh, parlez-moi du sort des femmes ! s'écria Basil Ransom. Le sort des femmes est de tirer tout ce qu'elles peuvent des hommes.
[…]
— Êtes-vous un adversaire de notre émancipation ? lui demanda-t-elle en levant vers lui un visage, éclairé un instant par la lueur d'un réverbère.
— Vous voulez dire vos histoires de vote, vos laïus et tout ce qui s'ensuit ? demanda-t-il. — Et s'apercevant de l'importance extrême qu'Olive allait attacher à sa réponse, il prit peur en quelque sorte et changea de tactique : Je vous répondrai quand j'aurai entendu parler Mrs. Farrinder.
Ils étaient arrivés à l'adresse qu'Olive avait donnée au cocher, et le fiacre s'arrêta avec une brusque secousse. Basil Ransom descendit ; puis il tendit la main à la jeune femme pour l'aider à descendre à son tour. Mais elle restait assise sans bouger, pâle comme un linge :
— Vous êtes un ennemi mortel ! lui lança-t-elle à voix basse.
— Miss Birdseye va sûrement me convertir, dit Ransom en sachant ce qu'il faisait ; car sa curiosité était à son comble et il craignait beaucoup qu'à la dernière minute Miss Chancellor décidât de l'empêcher d'entrer dans la maison.
Elle descendit sans prendre la main qu'il lui offrait, et il monta à sa suite les hautes marches de la demeure de Miss Birdseye.

Chapitre III.
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Les gens de l'espèce de Mrs Burrage vivaient et prospéraient à la faveur des abus , des préjugés, des privilèges, des usages pétrifiés et cruels du passé. Ajoutons cependant que ,si Mrs Burrage était une pharisienne, Olive n'en n'avait jamais rencontré qui lui parut moins déplaisante; c'était une pharisienne si brillante , si agréable, si artiste qu'on ne savait s'il fallait admirer d'avantage l'audace de sa perfidie ou sa promptitude à vous acheter des qu'elle s'apercevait qu'elle ne pouvait pas vous tromper
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La silhouette d'Olive, quand Verena la regarda partir, lui parut chargée d'une signification bizarre, émouvante, tragique, à la fois mystérieuse et familière ; et ce fut pour Verena l'occasion de noter intérieurement combien il fallait que les hommes connussent peu les femmes, et, d'une façon générale, les sentiments vraiment délicats, pour que cet homme-ci, sans intention particulièrement méchante, ne voie qu'une vieille fille ridicule dans cette incarnation de la douleur, et parle d'elle en termes durs et moqueurs.
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