« Un ami, c'est à la fois nous-même et l'autre,
l'autre en qui nous cherchons le meilleur de nous-même,
mais également ce qui est meilleur que nous. »
Joseph Kessel
C'est en naviguant sur le site de Babelio que mon regard s'est posé sur le roman de
Jean-Paul Delfino. Comment ne pas être attiré par ce titre et cette jolie couverture où deux hommes, comme des funambules, pêchent des étoiles, ou bien des rêves, par une belle nuit de pleine lune au-dessus des toits de Paris ?
En parcourant les commentaires, le joli billet de Doriane (Yaena) a retenu mon attention, portant la promesse d'une lecture pleine de charme et de douceur. Et cela s'est confirmé, révélant par ailleurs d'autres intonations, des silences et des douleurs, des solitudes et des amitiés, des rêves de reconnaissance et de gloire.
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Jean-Paul Delfino fait renaître deux grands hommes,
Blaise Cendrars et Erik Satie, avant leur notoriété.
C'est à Paris, durant les années folles, dans une atmosphère surchauffée de beuverie propice aux bagarres, que le poète et le musicien se rencontrent. Echappant de peu à une rixe, ils vont déambuler, toute une nuit durant, dans les rues parisiennes à la recherche d'un amour perdu, de l'argument volé d'un opéra.
Croisant un allumeur de réverbère qui fait naître une à une les étoiles sur la voûte céleste, les deux artistes vont suivre cette lumière salutaire, salvatrice, tout en réfléchissant au passage du temps, aux regrets, à la vie et la mort, à l'amour et la haine, à la célébrité et la pauvreté, à l'amitié et aux petites trahisons mesquines qui font si mal.
Baignés par la luminosité d'une nuit constellée d'étoiles, leur promenade est à l'image des deux hommes, oscillant entre poésie et musicalité, romantisme et désillusion, gravité et humour, rêve et réalisme, harmonie et tumulte, misère cachée et luxe tapageur, ombre et lumière.
« Pour lui, l'argent, ça devait circuler. L'argent, ça devait servir à réaliser des rêves et des choses impossibles, sinon il n'était pas utile à grand-chose. On ne faisait pas de confiture avec des billets et les cadavres ne portaient pas de poches. Il fallait que le numéraire permette de voler, d'éclairer, d'illuminer, de repeindre la réalité grise et monotone en feux du Bengale multicolores. »
La nuit dans la Ville Lumière est colorée, vivante, animée. C'est un peu comme si vous transposiez cette balade nocturne au célèbre tableau de van Gogh, « la Nuit étoilée ». le regard du lecteur suit
Blaise Cendars et Erik Satie dans leur douce fantaisie surréaliste, une chorégraphie où la vie et la mort s'entremêlent.
« Je crois que, lorsqu'on meurt, on ne part pas tout de suite. On reste encore un peu, peut-être par nostalgie, peut-être pour régler ses dernières affaires ou pour s'excuser de la peine qu'on a pu faire aux gens. On a quitté son corps, c'est certain. Mais on volette toujours comme un moineau. »
L'auteur dépeint en détail l'atmosphère de la nuit parisienne, s'arrêtant sur certains quartiers, Montmartre, le cimetière du Père Lachaise, l'Opéra Garnier, la gare d'Austerlitz. Dans la magie de cette nuit, les deux noctambules croiseront les artistes de l'époque, comme
Sonia Delaunay,
Jean Cocteau, Marc Chagall,
Man Ray, ou encore
Apollinaire.
Et puis, la nuit s'achève, l'allumeur de réverbère éteint, une à une, toutes les lumières de la ville. le jour se lève, la route des étoiles s'efface, se dissout, emportant les deux acrobates aériens dans une atmosphère presque irréelle.
« La vie avec vous est quelque chose de formidable, mon ami. Réellement formidable, oui. Je ne m'étais plus autant amusé depuis… D'ailleurs, je crois bien que je ne me suis jamais autant amusé de toute mon existence ! »
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Jean-Paul Delfino peint avec des mots, le ciel et ses étoiles, les deux artistes en équilibre instable sur la corde tendue de la vie. L'histoire est ainsi enrobée d'une sensation d'étrangeté, de vertige et de folie, mais aussi de tendresse et de camaraderie. En cela, l'auteur fait preuve d'une grande délicatesse entre les deux amis, laissant sourdre des notes nostalgiques et mélancoliques, pour une ambiance introspective qui ne verse cependant jamais dans la déprime.
« le jour où j'ai échappé à la guerre, je me suis juré que je contemplerais désormais l'univers entier avec les yeux d'un enfant. Si elle est Esmeralda, je suis Quasimodo. Là où la vie est trop laide, j'ajoute de la poésie. L'essentiel, c'est d'y croire. »
Car l'écriture se fait aussi légère, tendre, aérienne, colorée d'images fantastiques de pêche au grand requin blanc dans une minuscule felouque au large des côtes de Dakar, de balade à dos de girafe dans les rues de Paris, de trois tricoteuses dans les combles de l'Opéra Garnier, ce qui offre un rendu esthétique original, émouvant et élégant.
Les voix des deux hommes sont chaleureuses, j'ai souri à cette belle amitié. J'ai aimé leur mélange : le tutoiement pour l'un, le vouvoiement pour l'autre ; des mots soutenus suivis de mots familiers ou désuets.
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Pour conclure, la tombée de la nuit m'a emportée dans un drôle de voyage chargé d'émotions douces-amères. Mon esprit a vagabondé, suivant les traces semées par le compositeur et le poète.
Entre histoire, poésie et fiction,
Jean-Paul Delfino rend un bel hommage à ces deux grands artistes.
A découvrir.
« L'essentiel dans un voyage est le voyage lui-même. Jamais le but. »