«
Bohèmes » de
Dan Franck est le premier tome d'un formidable récit sur « les aventuriers de l'Art Moderne ».
A travers ce récit,
Dan Franck nous ouvre grand les portes sur la vie de ces artistes mythiques qui ont vécu à Paris au début du XXème siècle, qu'ils soient peintres, poètes ou écrivains :
Aragon,
Picasso,
Apollinaire, Derain,
Max Jacob, R.
Desnos,
Eluard, Breton,
Prévert, Modigliani, van Dongen et tant d'autres encore...
Dans ce 1er tome qui couvre la période de 1900 à 1930, l'auteur relate la vie de chacun d'entre eux avec minutie, brossant son portrait de manière pointilliste, tant sur le plan physique, psychologique, social (et même vestimentaire) que sur le(s) courant(s) artistique(s) dont il est proche et sur ses évolutions au cours des années. Toutes ces informations (d'évènements marquants -guerre, salons, etc.- jusqu'à la plus petite anecdote -parfois désopilante-) font qu'il est facile pour le lecteur de suivre les ‘'aventures'' de ces jeunes hommes -et femmes-
bohèmes qui deviendront bientôt célèbres (On ne va pas refaire l'histoire : on sait que les hommes artistes ont réussi plus facilement à se faire (re)connaitre que les femmes.).
L'auteur nous raconte leur début difficile, souvent sans le sou, les rencontres des uns et des autres, les grandes amitiés et les grosses bagarres (au propre comme au figuré – pour une femme, pour une oeuvre, pour une théorie), les échecs et les premiers succès. Une vie de bohème, ne vivant que pour leur art, même si cela implique pour la majorité de vivre chichement, de ne pas pouvoir manger tous les jours, du moment qu'il reste des tubes de peinture, un cahier pour écrire, les amis, la liberté pour créer, penser et aimer.
Tout en racontant ces artistes, l'auteur évoque les courants picturaux de cette période, les (r)évolutions et créations de mouvements artistiques (surréalisme, dadaïsme, cubisme, etc.).
Les presque 600 pages de ce premier tome pourraient effrayer, voire rebuter, quelques curieux et amateurs d'art. Mais, non seulement
Dan Franck saupoudre le récit de bon nombre d'ingrédients (amitié, amour, humour, péripéties, nouveaux personnages à foison, informations artistiques, politiques, historiques, etc.), mais en plus, avec son style jamais pompeux ni soporifique (ce qui est souvent une gageure lorsqu'il faut expliquer les divers courants artistiques), le lecteur n'a pas le temps de s'ennuyer, bien au contraire.
Il sait mettre le ton, la petite touche de couleur, l'énergie pour nous raconter les ‘'aventures'' de ces artistes. Ce sont des émotions, de la vie et de l'âme qui coulent dans ce roman. Et grâce à tous ces épisodes d'un grand réalisme, le lecteur se laisse totalement immerger dans cette atmosphère bohème.
En cours de lecture, il est difficile de ne pas se (re)faire la réflexion que cette période a été tout bonnement incroyable en matière de révolutions artistiques et de ‘'naissance'' d'artistes incontournables aujourd'hui. J'aurais adoré pouvoir remonter le temps et avoir la chance de les croiser près du Bateau-Lavoir ou la Ruche ou encore dans un de ces bistros de Paris (La Rotonde, le Dôme, la Coupole, qui n'étaient encore que des bistros ouvriers entremêlé d'artistes), et partager avec eux un verre de vin.
A chaque chapitre, l'auteur nous offre de nouvelles rencontres : autres artistes ou collectionneurs, politiciens, mécènes, marchands d'art, muses (
Kiki de Montparnasse,
Man Ray,
Gertrude Stein,
Hemingway, Matisse,
René Char, etc.). Certains personnages sont étonnants, fantasques, d'autres plus émouvants. Il suffit de penser à Foujita, au Douanier Rousseau ou encore à Modigliani,
Max Jacob ou
Desnos.
C'est un vrai tourbillon d'artistes, un plaisir grandissant de croiser un tel ou un autre (tous ceux qui ont réussi si souvent à nous insuffler tant d'émotions) et de revoir ces amitiés et ces amours éternels (Modigliani et Soutine, Modigliani et Jeanne Hébuterne,
Aragon et
Elsa Triolet,
Desnos et Youki, Suzanne Valadon et son fils Maurice Utrillo,
Apollinaire et Lou…).
On sent dans sa plume d'écrivain l'amour et toute l'affection qu'il ressent pour une grande majorité de ces artistes. J'avais parfois l'impression qu'il avait lui aussi ses préférés (il faut dire que certains -malgré tout leur génie artistique- ne sont guère plaisants à côtoyer). Il ne cache pas le mauvais caractère de certains d'entre eux, les défauts et lâchetés d'autres (
Picasso,
Cocteau…).
L'auteur est un magnifique conteur et un artiste lui aussi… On ne peut être qu'admiratif par tout le travail en amont pour créer cette trilogie : son gigantesque travail de recherches biographiques, de lectures, pour aller dégoter les petites
histoires dans la grande, sa virtuosité pour raconter les évènements aussi minutieusement qu'un travail d'orfèvre, pour user du langage, des expressions qui nous plongent instantanément dans ce Paris du début du siècle.
En nous livrant à la fois un récit sur l'histoire de l'art mais également une biographie dense et vivante de ces peintres et poètes, rentrant dans leur intimité, comme si nous étions des invités privilégiés dans l'atelier de tous ces artistes,
Dan Franck nous offre un récit à la fois très enrichissant culturellement mais également d'une grande jubilation.
Tout au long du récit,
Dan Franck fut donc pour moi plus qu'un guide touristique parisien, plus qu'un historien de l'art. C'était presque à un ami qui nous a fait l'immense privilège de nous présenter à toute sa bande de géniaux artistes
bohèmes.
Vous l'aurez compris, le lecteur amateur d'art et de beauté ne peut que s'enthousiasmer devant ce récit superbement maitrisé. Une lecture qui donne tout aussi envie de plonger à nouveau les yeux et le coeur dans les
oeuvres de ces incroyables artistes qui auront su secouer le XXème siècle…
Sa trilogie (
Bohèmes, Libertad ! et
Minuit) regroupée en «
le temps des Bohèmes » a été adaptée en film d'animation (en 6 épisodes), passée en 2015 sur Arte, également de grande qualité. Et il me reste pour ma part à découvrir le dernier tome «
Minuit »…