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Yasmin Hoffmann (Traducteur)Maryvonne Litaize (Traducteur)
EAN : 9782020508728
250 pages
Seuil (28/02/2002)
3.52/5   199 notes
Résumé :
Die Klavierspielerin, 1983.

Elle ne boit pas, ne fume pas, couche encore à 36 ans dans le lit maternel et aime bien rester chez elle. Chaque fois que ses horaires de professeur de piano au conservatoire de Vienne le lui permettent, elle se plaît à fréquenter les cinémas pornos, les peepshows et les fourrés du Prater. Et quand un de ses étudiants tombe amoureux d'elle, Erika Kohut ne sait lui offrir en échange qu'un scénario éculé, propre à redorer la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Elfriede Jelinek fait partie de ces auteurs dont j'ai beaucoup entendu parler et pas forcément en bien. Si vous me connaissez un peu, vous vous doutez que le fait qu'elle ait reçu le prix Nobel ne peut que renforcer mon intérêt. Cependant, sur le challenge Nobel, plusieurs ont eu du mal à supporter sa plume. "Pénible", "peu ragoûtant", "glauque" sont des qualificatifs qui reviennent pour qualifier son style et ses récits. Avec mes goûts un peu particuliers parfois, j'avoue, vous allez vous dire que cela ne pouvait que m'attirer... Mais moins courageux que je ne le parais (littérairement en tout cas !) , j'ai quand même préféré me pencher sur La pianiste, indéniablement son oeuvre la plus connue et qui reçoit des louanges plutôt unanimes malgré le côté ardu.

Il était plutôt bien d'être prévenu car en effet rien ne nous est épargné dans ce récit. le socle est une relation mère-fille quasi exclusive, destructrice, sans doute plus pour la fille que pour la mère, qui a construit toute sa vie autour de cette fille qui a remplacé numériquement un mari interné peu après la naissance de sa fille. Cette mère sangsue ne peut imaginer une vie sans sa fille... et sans les revenus qu'elle lui apporte il faut bien le lui faire avouer ! On est donc invité dans une relation d'emprise totale, comparable à une relation de violence conjugale avec la particularité que, loin de la rabaisser, c'est en la complimentant outrageusement que la mère rend le rapport de sa fille au monde complexe. En effet, Erika est dégoûté par le monde, par la médiocrité de ses contemporains. Elle est enfermée dans un rapport obsessionnel à la musique, à la perfection inatteignable d'une interprétation au piano qui devrait lui permettre de devenir une pianiste prodige... Graal qu'elle n'atteindra jamais puisqu'elle devra se contenter de n'être "qu'une" professeure de piano frustrée.

La frustration, une thématique qui parcourt également tout le récit, notamment la frustration sexuelle, d'abord vécue à travers un voyeurisme assez malsain, mais qui vient aussi interroger la question du genre, puisque l'héroïne est une des seules femmes clientes des peep-show, observatrice de cette sexualité que son éducation et son "formatage" l'empêchent d'investir pleinement, de façon active. Au delà de cette histoire personnelle terrible, et presque baroque dans ses exagération, son invraisemblance, c'est bien toute la société autrichienne que Jelinek vient interroger, sa violence feutrée. La sexualité prendra une toute autre dimension avec la survenue d'un troisième protagoniste attendu qui vient briser ce couple mère-fille et ainsi redistribuer les cartes sans pour autant apporter de la lumière à ce récit ténébreux.

Du côté du style, il est parfaitement adapté au récit. le livre est assez court mais uniquement séparé en deux chapitres, deux blocs denses remplis majoritairement des pensées des différents protagonistes, majoritairement Erika, mais pas que. Et le passage d'une pensée à l'autre se fait sans transition, renforçant l'impression générale de malaise volontairement installée par l'auteure. Ainsi, toute la première partie se déroulant majoritairement autour du duo mère-fille, l'auteur est ainsi empêchée d'utiliser trop souvent le pronom elle, de peur qu'on ne sache pas de qui elle parle. On passe alors par des moments où sont évoqués alternativement la mère (dont on ne connaitra jamais le prénom) et Erika, tellement répétés que l'on se retrouve enfermées avec elles deux. Certains passages utilisent un ELLE majuscule pour désigner Erika, matérialisant à la fois le rôle de personnage central et le sentiment de supériorité induit de celle-ci. Beaucoup de procédés stylistiques sont utilisés pour renforcer l'ambiance oppressante du récit et mériteraient une analyse poussée qu'ont du mener de nombreux étudiants de littérature autrichienne contemporaine.

Si ce récit est donc en effet éprouvant et vient nous bouleverser dans nos petits conforts, il nous met face à une auteure exigeante, particulière et indéniablement douée qui réunit donc tous les ingrédients nécessaires à l'obtention d'un prix aussi exigeant que le Nobel.
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Ramassée sur elle-même comme un poing prêt à s'écraser sur la figure du lecteur, l'écriture d'Elfriede Jelinek, auteur autrichienne ayant reçu le Nobel de littérature il y a dix ans, est féroce et violente jusqu'à la haine. Dire qu'elle est « sans concession » serait en-dessous de la vérité, elle est la dissection crue et sanglante d'une société qui n'offre aucun espoir d'épanouissement à ses protagonistes. Cette écriture compacte, froide et coupante comme un silex, ne ménage aucune respiration au lecteur qui malgré le glauque de la narration se trouve hypnotisé jusqu'à descendre au fond du tourbillon des illusions en même temps que Walter, Erika et « la mère ».

Mais qui sont Walter, Erika et « la mère » ?
Erika est « l'enfant chérie » de « la mère ». Elle est à peine une personne, elle est d'abord un pion, le jouet des ambitions de « la mère » vouées à avorter, à se briser contre les rochers de la réalité. Erika est la meilleure, c'est une artiste. Elle a été éduquée dans un seul but : être l'Unique, la seule, la talentueuse, la planche de salut et le pilier de l'économie ménagère du couple incestueux qu'elle forme avec « la mère ». Telle la musique, tel l'art, Erika ne partage pas la sphère du commun des mortels, elle plane très au-dessus. En tout cas, « la mère » et elle en sont convaincues.

Erika a presque quarante ans et dans la Vienne du début des années 80, elle est professeur de piano, employée par un Etat qu'elle méprise, enseignant SON art à des étudiants qu'elle méprise, prenant les transports en commun avec des contemporains qu'elle méprise ; la seule personne qu'elle ne méprise pas, c'est elle car elle est convaincue de sa supériorité. Enfin, pour l'instant, à l'heure où débute ce roman dérangeant qui perce le huis-clos de son existence et nous en dévoile des facettes obscènes, elle ne se méprise pas encore. Quant à « la mère », elle la méprise aussi tout en étant incapable de s'en éloigner car « la mère » est pour elle la source du seul plaisir qu'elle a dans la vie : le confort domestique. Une fois incarcérée entre les murs de leur appartement, Erika est tellement bien devant sa télé qu'elle ne veut rien changer. Alors, quand Walter, l'un de ses étudiants, amouraché et persévérant, entreprend de violer le saint des saints et de s'introduire dans sa vie puis dans son appartement, son « équilibre » bascule et Erika entrevoit, impuissante, cette situation comme la seule opportunité qui se présentera à elle d'assouvir ses illusions fantasques, mélange d'érotisme, de violence, de passion et d'humiliation, en un mot : le sado-masochisme.

Ce texte court est assez fascinant car il attire et révulse à la fois. Jelinek, dans son souci constant d'emprisonner la société sous une loupe, offre un spectacle répugnant mais son écriture est tellement impactante qu'elle englue le lecteur. Roman noir s'il en est, « La pianiste » fouille de manière chirurgicale la psychologie trouble de personnages qui semblent étrangers à notre propre réalité mais est-ce vraiment le cas ou bien est-ce que dans l'immeuble qui jouxte le nôtre vivraient des êtres aux aspirations inavouables ?

Je peux comprendre qu'on n'accroche pas à ce type de littérature mais personnellement j'ai été heureuse de le découvrir, ne serait-ce, au-delà du thème, que pour la plume exceptionnelle de l'auteur. Je tiens d'ailleurs à tirer mon chapeau aux deux traducteurs, Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize !


Challenge NOBEL 2013 – 2014
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Chef d'oeuvre.
Elle n'a de femme que l'enveloppe, à l'intérieur se terre un monstre.
Erika Kohut est professeur de musique à Vienne. Elle vit avec sa mère (que l'auteure ne nomme jamais) dans un petit appartement où elles partagent tout y compris la chambre. Parmi ses élèves, Walter Klemmer, développe des sentiments amoureux à son encontre. Mais il ne se doute pas de la véritable nature de sa maîtresse et des tourments qui la possèdent…
Elfriede Jelinek raconte à travers le personnage d'Erika sa propre vie et la relation dominante-soumise que lui a imposé sa mère. Cette dernière a dirigé toute sa vie son foyer comme un PDG d'entreprise, écartant le père qui finira malade d'Alzheimer dans un hôpital. Elle décide que sa fille sera un prodige de la musique et l'inscrit à des cours d'anglais, de français, de piano, d'orgues etc… Mais Elfriede prendra la voix de l'écriture. C'est donc avec « La pianiste » que l'auteur décrit les tourments qu'elle a traversé et cette lutte intérieur pour maîtriser le monstre que sa mère a fabriqué. L'auteur sera victime d'agoraphobie toute sa vie avec un épisode critique d'un an où elle restera cloîtrée chez elle.
L'écriture d'Elfriede Jelinek est moderne, rapide et efficace. Elle écrit au présent de l'indicatif ce qui rend la lecture fluide, percutante. Il y a dans son texte une merveilleuse musicalité des mots.
Dans « La pianiste » il y a une esthétique de la souffrance, il y a du Sade chez Jelinek. Elle écrit : « Erika ramasse un mouchoir en papier tout collé de sperme et le tient sous son nez », ou « Un instant fugace elle éprouve le besoin d'attraper la tête de l'élève par les cheveux et de la flanquer dans le ventre du piano, jusqu'à ce qu'un magma sanglant de tripes et de cordes à boyaux gicle et s'échappe en hurlant par le couvercle ». elle contient en elle une énorme énergie sexuelle jamais libérée et une violence mortifère qui frise l'hystérie.
Le sado-masochisme est omniprésent dans l'oeuvre d'Elfriede Jelinek, mais il n'est jamais vulgaire, bien au contraire, il fascine par son architecture, son ordonnancement, la façon onirique dont il se réalise.
Il y a ce que souhaite le coeur et il y a ce que commande le corps. Chez Erika, il y a dissociation entre la cible de ses sentiments, sa mère, et celle de sa chair, son élève Klemmer.
Elfriede Jelinek n'est pas une féministe, les « amazones » du XXIe siècle ne peuvent s'octroyer le droit d'en faire leur figure de proue même si le facteur féminin est bien évidemment au coeur de son oeuvre. Elle n'a besoin d'aucune idéologie pour exister car elle est autonome. Elle propose sa vision d'une femme indépendante à tout point de vue, qui appréhende le facteur masculin sans aucune concession. Elle est les deux sexes en même temps.
« La pianiste » est un véritable bijoux. le travail d'écrivain d'Elfriede Jelinek est fascinant. Conformistes, normalistes passez votre chemin !
Prix Nobel de littérature 2004.
Préface de Virginie Despentes.
Traduction de Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize.
Editions Jaqueline Chambon, Points signature, 345 pages.
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Inutile de revenir sur l'histoire, la quatrième de couverture résumant très bien les faits. La Pianiste est un livre à ne pas mettre entre toutes les mains et à ne surtout pas lire si on est dans une période sombre. Ce roman est très fort, prenant, d'une écriture dense. On a droit à tout : violence morale, physique, amour incestueux, dépravé... La mère castratrice engendre une certaine perversité chez Erika qui en arrive à s'auto-mutiler et à accepter une sexualité sado-masochiste. Enfin, l'accepte-t-elle vraiment ? Rien n'est moins sûr. Et au final, elle revient quand même dans les jupes de sa mère alors qu'on l'en pensait libérée, sevrée.

À qui la faute ? On peut se poser la question. À cette figure maternelle qui fait tout pour que sa fille réussisse, quitte à en devenir tyrannique et malsaine en développant une relation ambiguë, ou à Erika qui aurait peut-être hérité d'une tare génétique paternelle (le père ayant fini ses jours dans un centre psychiatrique) ?

Et au milieu de tout ça, la musique. Mais que vient-elle faire là ? Est-ce juste pour nous montrer le métier d'Erika ? Après recherches, je me suis rendue compte que Schubert revenait fréquemment dans le roman et était associé à ce jeune élève, Klemmer, dont elle tombe amoureuse et avec qui elle va se livrer au jeu dangereux du maître et de l'esclave. Schubert... grand musicien, certes, mais homme avant tout. Celui-ci avait contracté la syphilis, certainement avec des prostituées... Or, on ne connaît que peu de choses sur la vie privée de celui-ci, un peu comme Erika qui cache sa vie dépravée à sa mère... Peut-être y a-t-il un lien ? En tous les cas, c'est à creuser : Douceur et succès d'un côté dans la musique classique face à la tristesse et à la pauvreté d'une vie privée engageant à faire de tels actes ?

Bref, ce texte est un véritable chef-d'oeuvre d'une noirceur absolue.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Sur ma route de découverte des Nobel, voici une étape enrichissante mais pénible. Ou pénible donc enrichissante?

Pénible, car ce récit sans air, sans lumière et sans perspectives au coeur des névroses irréparables d'une jeune femme méticuleusement dévastée par sa mère depuis l'enfance m'a mis profondément mal à l'aise. Et que l'ombre noire qu'elle projette autour d'elle donne à voir son environnement, la ville de Vienne, sous l'éclairage glauque d'une humanité qui se vautre dans ses misérables instincts et ses vaines aspirations.
Enrichissante néanmoins, parce que précisément cet éclairage social par la névrose qui n'occulte pas le laid, le glauque autant constitutif de nos sociétés que ses facettes présentables est rare et utile. Enrichissante également pour la finesse d'exploration de l'humain évoqué dans toute sa complexité, ses failles et ses limites, derrière l'image lisse du personnage public que l'on présente à la société.

Ces impressions de lecture sont d'autant plus fortes que la musique, la grande musique qui élève est omniprésente dans le roman, mais tout autant que le sont la chair triste, les fluides corporels, les sous bois glauques, le tout mis au même niveau par l'écriture "à la hache", grinçante et sans concessions de l'auteur. Une écriture dans laquelle j'ai eu de la peine à entrer, et que je ne suis pas sûre de vouloir recroiser.


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Citations et extraits (78) Voir plus Ajouter une citation
Aujourd'hui, un jeune homme sorti d'on ne sait où prend la place de cette mère qui a pourtant fait ses preuves et qui, froissée et délaissée, se voit reléguée à l'arrière-garde. Les courroies de transmission mère-fille se tendent, tirant Erika en arrière. Quel supplice de savoir sa mère obligée de marcher toute seule derrière. Qu'elle l'ait proposé d'elle-même n'arrange rien, bien au contraire. Si M. Klemmer n'était pas en apparence indispensable, Erika pourrait marcher tranquillement à côté de sa génitrice. Ensemble elles pourraient ruminer ce qu'elles viennent de vivre, tout en se repaissant peut-être de quelques bonbons. Avant-goût de la chaleur et du confort douillet qui les attend dans leur salon. Dont personne n'a fait échapper la chaleur. Peut-être arriveront-elles même à temps pour le film de minuit à la télévision. Quel merveilleux final pour une journée si musicale ! Et cet élève qui la serre de plus en plus ! Il ne peut donc pas garder ses distances ? C'est gênant de sentir près de soi un corps chaud bouillonnant de jeunesse. Ce jeune homme semble si redoutablement intact et léger au contact qu'Erika est prise de panique. Il ne compte tout de même pas l'accabler de sa bonne santé ? Le tête à tête à la maison semble menacé, or nul n'a le droit d'y prendre part. Qui pourrait mieux que la mère maintenir l'ordre et la sécurité, garantir la paix entre leurs quatre murs ? Erika aspire de toutes ses fibres à son doux fauteuil de télévision derrière une porte bien verrouillée. Elle a sa place attitrée, la mère a la sienne et pose souvent ses jambes enflées en hauteur, sur un pouf persan. Le torchon brûle à la maison à cause de ce Klemmer qui ne veut pas débarrasser le plancher. Il ne compte tout de même pas s'introduire de force dans leur chez soi, non ? Erika aimerait surtout retourner dans le ventre maternel, s'y laisser bercer dans la douceur et la chaleur des eaux. Retrouver au dehors la même humidité. (P65)
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Non qu’il désire vraiment cette femme, au fond elle ne le tente guère, et il ne sait pas si c’est à cause de son âge ou plutôt de son absence de jeunesse. Mais il ne pense obstinément qu’à révéler en elle la chair, rien que la chair. Jusqu’ici il ne la connaissait que dans une seule fonction : en tant que professeur. A partir d’aujourd’hui, il fera sortir d’elle l’autre fonction et verra s’il peut en faire quelque chose : en tant que maîtresse. […] Ces couches de convictions à la mode ou parfois vieux jeu si soigneusement superposées, ces housses et pelures dont seule une volonté incertaine assure la cohésion, cette mascarade bigarrée de peaux et d’oripeaux qui adhèrent à elle, il est bien décidé à les lui arracher ! […] Lui, Klemmer, ne veut pas tant posséder Erika que déballer enfin ce paquet d’os et de peau savamment apprêté au moyen d’un assemblage d’étoffes et de couleurs ! Le papier, il le froissera en boule et le jettera. Cette femme si longtemps inaccessible, avec ses jupes et écharpes colorées, Klemmer veut se la rendre praticable avant qu’elle n’entre en décomposition.
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Cette vieille femme-là vient de monter, mais se garde de le signaler au contrôleur. Elle croit que sa présence ici, dans cette voiture, passera inaperçue. En fait il y a longtemps qu'elle est hors circuit et elle s'en doute. A quoi bon payer. Elle a déjà en poche son bille pour l'au-delà. Pourquoi ne serait-il pas valable dans ce train-là.
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La dame ne cesse de fourgonner à travers toute la voiture et de déloger les gens, l’œil aux aguets, traquant la rue jusque sous leurs sièges. C’est le genre féroce excursionniste qui a pour habitude, au cours de promenades sur les chemins forestiers, de titiller d’innocentes fourmilières à l’aide d’une mince badine, arrachant les fourmis à leur vie contemplative. C’est elle qui pousse les animaux effarouchés à cracher leur acide. Elle est de ces gens qui retournent chaque pierre par principe, ne s’y cacherait-il pas quelque serpent ? Cette dame ratisse sûrement chaque clairière, aussi petite soit-elle, à la recherche de baies et de champignons. Drôles de gens. Ils ne peuvent s’empêcher de pressurer une œuvre d’art, jusqu’à ce qu’elle leur livre une ultime goutte qu’ils distillent à la ronde d’une voix claironnante. Dans le parc, avant de s’asseoir, ils essuient le banc avec un mouchoir. Au restaurant, ils redonnent un petit coup aux couverts avec leur serviette. Ils passent au peigne fin le costume d’un proche, en quête de cheveux, de lettres ou de taches de graisse.
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ELLE enfonce ses instruments à cordes et à vent et ses lourdes partitions dans le dos ou la façade des gens. Droit dans le flanc de ces gros lards sur lesquels ses armes rebondissent comme des balles en caoutchouc. Parfois, si le cœur lui en dit, faisant passer dans une seule main serviette et instrument, elle enfonce sournoisement l’autre poing sous des manteaux d’hiver, des capes ou des lodens inconnus. Elle profane le costume national autrichien dont les butons en corne de cerf lui adressent un sourire racoleur. A la façon d’un kamikaze elle utilise son propre corps comme une arme, puis avec l’extrémité de son instrument, du violon ou de l’alto plus lourd, se reprend à cogner dans ces gens qui rentrent tout poisseux du travail. Quand le tram est bien plein, vers six heures, on peut en blesser du monde rien qu’avec de grands gestes.
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