Wild Swans
Traduction :
Sabine Boulongne
ISBN : 9782266227032
Cet ouvrage porte comme sous-titre "Les Mémoires d'une Famille Chinoise, de l'Empire Céleste à Tiananmen." Et il le porte avec panache, croyez-moi. Si l'auteur est, par sa grand-mère maternelle, la petite-fille d'une concubine et d'un "Seigneur de la Guerre", elle eut pour père un communiste pur et dur, l'un de ces militants idéalistes mais sincères qui permirent à
Mao Tsé-toung de fonder son empire sur des bases hélas ! terriblement solides. Non que Chang Sr. ait oeuvré consciemment pour asseoir dans son autorité l'un des dictateurs les plus sanglants du XXème siècle. Au contraire, le père de
Jung Chang croyait dur comme fer à un avenir meilleur. Homme et cadre intègre, il allait jusqu'à ne pas user des passe-droits que lui ménageait son rang dans le Parti, à un point tel que, en nombre d'occasions, on peut dire qu'il privilégia l'idée qu'il se faisait du communisme aux dépens de sa famille, épouse et enfants.
C'est donc dans une foi aveugle dans le Parti communiste chinois et en ses dirigeants que fut élevée l'auteur des "Cygnes Sauvages." Il lui faudra bien des années - et bien des injustices - pour qu'elle commence à s'interroger sur le bien-fondé de l'idéologie marxiste et sur ce qu'en avait fait "le Grand Timonier." Bien des spectacles aussi dont elle se serait volontiers passée. Car, nul ne l'ignore, l'histoire du PCC se confond avec une suite d'épreuves toutes plus terribles les unes que les autres, infligées au peuple chinois par ses responsables et en particulier par Mao : les horreurs de la Longue Marche - que Mao, contrairement à la légende qu'il veilla à établir, ne fit pas à pied mais porté dans un palanquin - le Grand Bond en Avant et la famine qu'il entraîna, l'une des pires que la Chine, pourtant spécialiste en la matière, ait connue et puis, bien sûr, la Révolution culturelle et son acharnement mesquin de fauve pris de folie à détruire une culture qui demeure l'une des plus anciennes au monde. Tout cela pour ne citer que les grandes lignes de la dictature maoïste, si longtemps portée aux nues, rappelons-le, par nos "maos" occidentaux.
Curieusement, c'est parce que l'auteur a cru si longtemps au communisme et à Mao, tout-à-fait comme d'autres croient en Dieu, que "
Les Cygnes Sauvages" représente un témoignage d'une grande valeur.
Dense, prenant, sans que jamais un mot n'en dépasse un autre, sans que jamais son auteur laisse la colère ou la haine l'emporter, ce livre est de ces mémoires qui captivent autant que le ferait la meilleure des fictions. L'Histoire à majuscule se déploie dans tout son souffle et dans toute sa tragédie, infliltrant l'histoire des humbles et des moins humbles avec l'indifférence d'un géant foulant une fourmilière. Et peu à peu, les personnages, qu'ils portent ou non des noms connus, deviennent ses prisonniers, jusqu'à Mao lui-même à qui son arrogance incroyable et son narcissisme de psychopathe auront cependant évité jusqu'au bout de le comprendre - et d'en souffrir.
Si l'Histoire de la Chine du XXème siècle vous intéresse mais si, jusqu'à ce jour, les livres spécialisés qui lui sont consacrés vous ont rebuté parce que trop touffus, trop systématiques, bourrés de trop de chiffres et de trop de statistiques, et écrits, qui pis est, dans une langue sans passion ni imagination, "
Les Cygnes Sauvages" est l'ouvrage qu'il vous faut pour, enfin, y entrer de plain-pied. En ce sens, soulignons-le, la traduction est d'une grande qualité.
Jung Chang a le don, plus rare qu'on ne le croit, de conter une histoire, fût-elle aussi complexe que le sont celle de sa famille et celle de son pays natal. Quand les deux s'interpénètrent, elle fait mieux : elle ne bronche pas et tient bien droit le gouvernail de son récit, bravant sans peur, avec l'assurance de celui qui se bat pour une cause qu'il sait juste, les lames les plus terribles et les monstres les plus innommables. Tout cela avec un sérieux qui n'ennuie jamais et un sens poétique qui illumine bien des passages pénibles.
Ce livre m'a tellement plu que, dans la foulée, je me suis procuré la biographie de Mao que
Jung Chang a écrite avec son mari,
Jon Halliday. J'espère que cela achèvera de vous convaincre de lire ses "Cygnes Sauvages." ;o)