Il a quinze ans et cela fait quinze jours que le père s'est enfui, en silence. « Tu es parti. Dans notre communauté, lorsqu'on se quitte on ne dit rien. On tourne les talons et l'on prend le vent dans le dos. » « Quinze jours ce n'est rien et si long pourtant. le temps d'une maladie d'enfant. Celle-ci sera plus difficile à soigner, laissera peut-être des traces. »
Alors, l'adolescent, à perdre haleine court pour se libérer de son chagrin. « Je cours et me vide du trop-plein de colère ». Ses pieds frappent le sol et sous ses semelles, les mots se lèvent. A foulée régulière, il lui parle de la mère, de ce qu'il a appris ou deviné de ce peuple tsigane, ce ventre dont jamais son manouche de père n'acceptera de sortir, qu'il aime lui aussi même si inexorablement, il sait qu'il s'en éloigne.
Il parle ainsi à son père comme jamais il ne l'a fait, évoquant leur relation distante et son chemin à lui, pavé de livres : « Personne ne lisait chez nous, personne ne s'intéressait aux livres ni aux mots couchés sur le papier. Une nouvelle langue s'est ouverte à moi, une découverte plus importante qu'un trésor. [...] Par respect pour vous, je ne montrais pas trop ce que je savais, me contentant de tout mettre en mémoire. »
L'adolescent court, ses émotions secrètes trouvent leur respiration dans la parole et il dit en vrac l'amour pour la mère, femme courageuse et belle, l'admiration et le respect affectueux pour le chef de famille et leur besoin, à eux deux, de sa présence.
Enfin la course se termine et l'attente en semblera peut-être plus légère. « J'ai battu mon record de parole, mon record de tour du lac aussi. [...] Moins d'une heure pour t'avoir dit à quoi tenait la vie. [...] Au fond de la gorge, il en reste des pleins bagages. Tu imagines ce que cela pèse, quinze ans de silence ? » « Ce qu'il faut pour reprendre la route des mots ensemble, c'est parler, causer tranquillement assis sur le talus. Allez, fais ce geste une seule fois. Ouvre ton poing fermé. »
Un court roman, superbe, profond, sur la communication difficile entre père et fils, sur la culture tsigane en voie de disparition, sur la difficulté d'être un transfuge entre des époques et des sociétés différentes. Une très belle lettre d'amour aussi.
Chacun peut s'y retrouver dans sa propre quête d'identité et se laisser séduire par cet univers étrange, coloré et si peu connu, de ces gens du voyage que l'on parque dans la périphérie des villes ; se laisser embarquer dans l'émotion de cette course sensible autour du lac.
Un style poétique, émotionnellement fort, qui régale le lecteur.
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