Un père

Voilà un livre qui m'a beaucoup touchée. Sibylle Lacan, deuxième fille issue du premier mariage de Jacques Lacan avec Marie Louise Blondin, y raconte son père avec tendresse et émotion. Mais dans ce récit composé comme un puzzle, elle évoque aussi ses rencontres épisodiques avec un homme pas si bienveillant qui a délaissée sa fille.

« Quand je suis née, mon père n'était déjà plus là. Je pourrais même dire, quand j'ai été conçue, qu'il ne vivait plus vraiment avec ma mère. Une rencontre à la campagne entre mari et femme, alors que tout était fini, est à l'origine de ma naissance. Je suis le fruit du désespoir, d'aucuns diront du désir, mais je ne le crois pas. »

Même si Sibylle a eu une vie riche : écrivain, traductrice de l'espagnol, de l'anglais et du russe, elle a souffert, beaucoup souffert de cette indifférence, voire même de cette cruauté du psychanalyste français le plus célèbre… Sybille Lacan s'est donné la mort à Paris dans la nuit du 7 au 8 novembre 2013. Dans une lettre datée du 7 janvier 2013 confiée à son compagnon elle a écrit :

« Si je me suicide, je veux que les circonstances de ma mort ne soient occultées en aucun cas (presse, amis, etc.) Cette demande doit être considérée comme faisant partie de mes dernières volontés. »

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Le psychanalyste Jacques Lacan a eu trois enfants avec sa première femme, Marie-Louise Blondin : Caroline, Thibault et Sibylle. Cette dernière raconte dans ce livre les souvenirs qu'elle a gardés de son père, père qu'elle a peu connu dans son enfance car ses parents s'étaient séparés avant sa naissance. Les liens se renoueront lors de son adolescence même s'il parait évident que Sibylle a dû se contenter d'une toute petite place dans la vie de cet homme. Entre temps Jacques Lacan est devenu célèbre et il a eu, avec la comédienne Sylvia Bataille, une autre fille, Judith, qui deviendra elle-même psychanalyste et épousera Jacques-Alain Miller, un des plus proches disciples de son père. Un grand portrait de Judith trônait sur la cheminée du cabinet du psychanalyste, se souvient Sibylle. Et un jour, quelqu'un lui fit remarquer que, dans le Who's Who, il était fait mention d'un seul enfant de Jacques Lacan, Judith.

Le texte, très pudique, où l'auteure ne parle d'elle-même que par petites touches discrètes, est écrit comme sur le fil d'un rasoir : Sibylle se revendique (non sans une pointe d'hésitation) comme fille de Jacques Lacan, elle cherche dans ses souvenirs les traces de cette paternité mais en même temps elle a peu à dire à ce sujet, tant son père était absent. Et, par ailleurs, transparaît dans ce récit une rivalité avec sa demi-soeur Judith, rivalité que l'auteur ne fait qu'évoquer ici, alors que l'on sent bien que quelque chose de douloureux s'est joué "là", dans ce qui a peut-être été vécu comme une usurpation. D'où, peut-être, ce titre ambivalent : "Un père" (et non "Mon père" et encore moins "Mon père, Jacques Lacan"), qui sonne comme "impair", pour marquer ce manque que l'écriture tente - vainement, semble-t-il - de combler. En tout cas, j'ai trouvé ce petit livre sincère et émouvant.

Ce livre est profondément émouvant. A partir de plusieurs scènes diversement cruelles ou incompréhensibles pour l'enfant, puis la jeune fille que fut Sibylle Lacan, celle-ci reconstruit par bribes la figure que fut pour elle son père, Jacques Lacan.Enfant née après la séparation de fait de ses parents, Sibylle a beaucoup de mal à ne pas être l'enfant de la séparation., enfant séparée d'elle-même aussi bien. Son enfance est traversée par le chagrin et le manque, sans qu'elle s'en rende bien compte, anesthésiée qu'elle est par un rapport amorti, lointain, "cotonneux" dit-elle, au monde. Ce qui ne l'empêche pas d'être à la fois éblouie et malheureuse, en manque d'estime d'elle-même quand elle rencontre l'autre fille,née du nouveau couple formé par son père et Sylvia sa seconde épouse.Si brillante, et surtout tendrement aimée de ses deux parents,.
La difficulté de Sibylle à se faire, non pas un nom, mais une vie, l'amène à commencer une psychanalyse. Cette démarche n'avait rien d'évident ni de simple pour la "fille de", et l'analyste qui a relevé le défi n'a pas reculé devant la difficulté, sans parler du risque. Ce livre est extrèmement simple, et courageux lui aussi. Et c'est, in fine, un livre qui peut enfin dire l'amour à ce père.