Au 20 ième siècle, jusqu'à la fin des années 1960, les hôpitaux psychiatriques n' ont pu tenir économiquement que grâce au labeur des malades travailleurs. À l'origine, certes, l'idée était généreuse : Traiter moralement les aliénés en leur rendant la dignité par le travail, leur reconstituer un pécule. Créer des fermes dans les asiles afin que le travail dans les champs leur fasse bénéficier du bon air, de la nature... Mais la dure réalité a rattrapé l'humanisme médical et la misère des dotations budgétaires a contraint les hôpitaux psychiatriques à compter sur "l'ergothérapie" pour tourner . Certains patients furent maintenu en internement pendant des décennies car indispensable à la vaisselle, au ménage, à la buanderie, à la ferme, pour s'occuper du service domestique des médecins et des directeurs.
Je me rappelle encore, alors que j'étais jeune interne, une de mes patientes, âgé d'environ 85 ans, hospitalisée depuis des décennies. Elle se prénommait Henriette.
L' histoire se situe autour de 1975. Elle allait parfaitement bien à tout point de vue et l' essentiel de son activité se concentrait sur le ménage d'une partie du rez-de-chaussée du service . Henriette n'avait pas très bon caractère et n'hésitait pas à user vigoureusement de son balai quand un passant, malade ou soignant, venez marcher dans ses balayures qu'elle appelait son "sale".
Je décidai de me plonger dans son dossier afin de comprendre les raisons d'un si long séjour en l'absence de tout symptôme apparent. Je constatai alors qu'elle avait été interné plusieurs décennies auparavant pour un état délirant dont elle avait manifestement assez vite guéri. Pourtant elle avait été maintenu dans le service contre toute logique.
Un jour n'y tenant plus, je lui dis :
- Henriette, si j'en crois votre dossier, vous êtes guéri depuis au moins 30 ans.
- Dites plutôt 40, 45 ans docteur ! car à sa manière Henriette ne manquait pas d'humour.
- Ne pensez-vous pas que vous seriez mieux dans une bonne maison de retraite, avec votre propre chambre et votre salle de bain, plutôt que dans ce dortoir bruyant et inconfortable ?
- Malgré tout le respect que je vous dois, docteur, vous êtes un beau salaud !
- ???
- Pendant des dizaines d'années, j'ai réclamé ma sortie qui m'a toujours été refusée. Il paraît que je faisais très bien la vaisselle et le ménage. Aujourd'hui que je suis une vieille dame et moins rentable, vous voulez me jeter dehors alors que c'est ici que se trouve ma vraie famille.
Ce jour-là, j'ai ressenti une honte profonde, le sentiment d'appartenir à une corporation dont certains antécédents n'étaient rien moins que reluisants.
À la mort de Jeanne Calment, les journaux n' ont guerre fait état de l'identité de la nouvelle doyenne des Français. Il est vrai qu'un internement de plus de 50 ans, cela faisait quelque peu désordre...
Sans parler de l'accumulation du prix des journées hospitalières... Cela faisait cher la vaisselle et le ménage !
Autant un diagnostic peut être fulgurant, posé en quelques instants, autant l'épreuve du temps est-elle nécessaire pour voir les effets à long terme d'un médicament, d'une technique chirurgicale. Or les enseignants ont tant de responsabilités administratives, politiques, tant de réunions, de congrès, de déplacements, de commissions, de rapports, de copies à corriger, de services à diriger que nombre d'entre eux n'ont guère de temps à consacrer aux malades. Je sais des professeurs de psychiatrie qui n'ont pas vu de schizophrènes depuis des lustres, encore moins de déprimés et jamais d'insomniaques. Ce sont pourtant eux qui vont expliquer aux futurs médecins comment les prendre en charge. Du coup, qui les maintient à jour, qui leur apporte sur un plateau l'information thérapeutique nécessaire ? les délégués médicaux des laboratoires bien sûr qui en plus leur versent les subsides nécessaires à la bonne marche de leurs structures de recherche. Du coup, la boucle est bouclée est dès ses débuts, l'étudiant en médecine est directement enseigné par l'industrie, d'où en partie les dérives dramatiques de la prescription dans notre pays.
Le drame et qu'en général les sirènes de l'industrie pharmaceutique sont si subtiles, si délicates que tout se passe à l'insu des intéressés. Bien sûr, comme toute démonstration, celle-ci est caricaturale et les méfaits de notre organisation ne concernent pas toutes les spécialités de la même manière.
Tant que les enseignants en thérapeutique ne verront pas beaucoup de malades et seront directement et indirectement enseignés par les marchands de médicaments, on ne voit pas comment la prescription diminuera dans notre pays
Anxiété, insomnie, dépression, phobies, cauchemars, délire, TDAH, dyslexie, daltonisme… Ces symptômes si familiers nous perturbent tant ils sont pénibles, invalidants, douloureux. Et pourtant ils ont joué et jouent encore un rôle crucial dans le formidable succès de notre espèce.
Quel lien entre insomnie et intelligence ? Quel est le rôle de la peur face au danger ? Comment le découragement permet-il la résilience et la tristesse antiagressive ? le délire est-il source d'harmonie
sociale, et l'état limite un catalyseur d'audace ? le trouble bipolaire est-il à la base du génie ? Les phobies sont-elles des défenses ?
Ce livre défriche toutes ces questions et démontre que nos symptômes sont des réponses normales, adaptatives et utiles… à condition de se manifester au bon moment et de façon appropriée.
Et si la santé mentale consistait juste à être capable d'utiliser de
manière variée et souple le symptôme adéquat face à chaque situation ?
Patrick Lemoine, avec sa longue expérience clinique, nous invite à un voyage optimiste, joyeux, détonnant, novateur au pays du stress, de l'angoisse, du chagrin et de tant d'autres troubles aussi fréquents qu'universels.
Patrick Lemoine est psychiatre, spécialiste du sommeil, docteur en neurosciences, professeur associé à l'Université de Pékin. Il a publié plus d'une quarantaine d'ouvrages à succès, parmi lesquels le Mystère du placebo, La santé psychique de ceux qui ont fait le monde, La Santé psychique des génies, Docteur, j'ai mal à mon sommeil…
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