Ainielle est un village des Pyrénées espagnoles. Un village au bord de l'oubli, noyé de neige et de silence. Un homme, le dernier habitant, se meurt, dans la solitude la plus totale. Entre confusion et lucidité amère, il essaie de se souvenir de ce que fut sa vie, des plaies qu'elle lui a laissées au fond de sa mémoire. «
La pluie jaune de l'oubli » tombe goutte à goutte dans son coeur et c'est dans cette lenteur et cette touffeur du souvenir qu'il nous dit le poids d'une vie lorsque tous sont partis.
C'est un monologue introspectif que nous propose
Julio Llamazares dans ce roman espagnol intitulé «
La pluie jaune ». Un homme attend la mort, transi de peur, mais aussi pétri d'espoir face à ce qu'il considère, au final, comme une délivrance. Ce monologue est centré sur la mémoire : cet homme seul qui a vu tous ses proches partir essaie de se souvenir de ce que fut sa vie. Mais la confusion (la folie ? la démence ?) est là, au bout du parcours, et le fil ténu d'une existence se délite peu à peu. Cet aspect me semble très bien rendu par l'auteur : le propos ne suit pas un ordre chronologique. Passé, présent, futur s'entremêlent. L'homme met en doute sa mémoire, dans un instant de lucidité, et donne ainsi au lecteur un repère temporel, tout en se questionnant sur sa véracité :
« Si ma mémoire était fidèle. 1961, si elle ne mentait pas. Et qu'est-ce donc que la mémoire sinon un grand mensonge ? Comment pourrais-je être sûr que c'était bien la dernière nuit de 1961 ? » (p. 41)
«
La pluie jaune » traite du thème de l'abandon et de l'exode : un à un, les habitants du village sont partis, laissant seuls l'homme et son épouse, Sabina. Leurs enfants sont partis. La chienne fidèle veille sur le couple. Mais des pertes tragiques guettent encore cet homme, jusqu'à l'ultime, tant redoutée, mais aussi tant désirée parce que salvatrice.
Le thème de l'oubli est également central dans cette oeuvre : l'oubli des autres qui sont partis, l'oubli de soi, à travers la confusion qui survient, symbolisée par «
la pluie jaune ».
« Comme une rivière barrée, tout à coup le cours de ma vie s'était arrêté et, maintenant, devant moi, seuls s'étendaient l'immense paysage désolé de la mort, l'automne infini où habitent les hommes et les arbres qui n'ont plus de sang,
la pluie jaune de l'oubli. » (p. 42)
Au final, c'est le thème du temps qui semble fédérer l'oeuvre, le temps qui amène l'oubli, à l'image d'une « pluie jaune ». D'un côté, « le temps finit toujours par effacer les blessures », mais, d'un autre, il est des plaies qui ne s'oublient jamais. Elles sont souterraines, selon les dires de l'homme, mais peuvent ressurgir à tout moment à l'occasion « d'une simple lettre, d'une photographie » :
« le temps finit toujours par effacer les blessures. le temps est une pluie patiente et jaune qui éteint doucement les feux les plus violents. Mais il est des brasiers qui brûlent sous la terre, des crevasses de la mémoire si sèches et profondes que jusqu'au déluge de la mort ne suffirait pas, quelquefois, à les faire disparaître. On essaie de s'habituer à vivre avec ces plaies, on amasse silence et rouille sur le souvenir et quand on croit qu'on a tout oublié, il suffit d'une simple lettre, d'une photographie, pour faire éclater en mille fragments la dalle de glace de l'oubli. » (p. 52.)
L'écriture chemine au gré d'un rythme lent, le temps d'une agonie, le temps d'une plongée dans les réminiscences d'une existence. le style est poétique : il en ressort une étrange beauté qui peut donner la sensation d'un charme hypnotique. Cependant, le propos me semble trop univoque, sur le mode unique de la plainte, de la complainte, du souvenir malheureux. A la longue, on peut se sentir étouffé voire oppressé. L'espoir reste absent de cette oeuvre.
Une oeuvre assez courte (un peu moins de 150 pages), bien écrite, au style poétique. Une oeuvre poignante, sur un mode introspectif, qui présente le vécu douloureux d'un homme abandonné, au seuil de la mort. Une oeuvre qui peut captiver par certains aspects mais dont on termine la lecture avec une réelle sensation d'oppression.