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sur 605 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Comment convaincre de lire le roman de Malcolm Lowry alors qu'il faut bien, sans doute, avertir le lecteur quant à la dimension d'abord rétive du texte, évoquer l'opposition entre le minimalisme de son intrigue et la lenteur inversement proportionnelle avec laquelle elle se déroule ? Comment rendre ne serait-ce qu'une part de son infinie richesse et de sa virtuosité ? Comment exprimer la manière dont il vous prend aux tripes en même temps qu'il vous enlace de la sombre beauté de ses improbables circonvolutions ?
Le premier des douze chapitres (qui compte une centaine de pages), nous emmène dans la ville mexicaine de Quauhnahuac, qui comme chaque année en ce jour de 1939, fête ses morts. Nous y suivons Jacques Laruelle, un producteur de films français, au gré de ses pensées et des réminiscences que suscite le spectacle des festivités. Livrées sur le vif, avec leurs ellipses, leurs interruptions brutales et spontanées, le sens et la logique des événements auxquels il est fait allusion sont d'emblée confus pour le lecteur. Il y est question d'une certaine Yvonne dont Jacques Laruelle a été l'amant, et d'un ami de jeunesse, Geoffrey Firmin, surnommé le Consul, dont on pressent, à sa seule évocation, l'envergure romanesque.

La suite du récit nous ramène exactement un an en arrière, et étire sur les onze chapitres suivants le déroulement d'une unique journée, en égrenant les heures, voire les minutes. En ce "jour de miracles et de visions" de la Fête des Morts 1938, Yvonne, séparée de Geoffrey qui vient d'être démis de ses fonctions de consul, revient à Quauhnahuac, visiblement désireuse de renouer les liens avec cet époux qu'elle n'a jamais cessé d'aimer. Hugh, le demi-frère du Consul, est par hasard présent lui aussi.

Yvonne livre un combat perdu d'avance. L'amour profond qui la lie à Geoffrey est pourtant réciproque, mais elle doit faire face à un adversaire contre lequel elle sait ne pouvoir lutter. le Consul est en train de sombrer, et rien ne pourra le retenir. Il chute dans les abîmes de l'alcoolisme, n'est plus investi que dans les périls et les complications de sa vie d'ivrogne, obnubilé par le nombre de verres qu'il va boire ou qu'il a bus, par le trajet à effectuer pour tomber comme par inadvertance sur une cantina où il pourra l'espace d'un instant assouvir son obsession, se donnant bonne conscience avec une mauvaise foi qui n'abuse même pas lui-même.

C'est une affaire de déambulations, à la fois physiques, psychiques et morales. La promenade matinale du duo Yvonne-Hugh, puis la virée du trio formé avec l'ajout de Geoffrey dans un lieu choisi après quelques tergiversations sont l'occasion de suivre, presque mètre après mètre, les déplacements des protagonistes, en même temps que nous pénétrons leurs labyrinthiques errances intérieures. Les pensées que font naître les situations, les individus et les lieux qui les entourent semblent à la fois diluées et décortiquées, qu'il s'agisse de considérations vénielles ou de douloureux questionnements existentiels. Elles se font aussi parfois extrapolation, imagination d'un avenir dont on sait qu'il n'adviendra jamais.

Celles de Geoffrey sont les plus erratiques et les plus obscures, alternance de logorrhées, de réflexions elliptiques ou tronquées, hallucinations éthyliques qui parent les lieux d'une dimension cauchemardesque et incertaine, donnent aux individus des airs menaçants, tout cela contrastant d'une manière qui serait cocasse, si tout cela n'était pas si pathétique, avec l'air permanent de fraîcheur et de bonne santé qu'affiche le Consul, vierge de tout signe extérieur de débauche.

Il vit là le jour le plus long de sa vie, et c'est comme si c'étaitaussi le jour le plus long de notre vie – et ça, c'est quand même très fort-, qui à la fois se distend et hoquette, comme si certaines de ses séquences devaient se répéter à jamais, c'est du moins l'impression que peuvent donner l'évocation de cette affiche d'un combat de boxe que l'on aperçoit régulièrement sur les murs de la ville, ou le surgissement, à plusieurs reprises, d'un mystérieux et inquiétant cheval marqué au fer rouge d'un sept sur sa croupe. Et comme en contrepoint, l'immuable silhouette du Popocatepetl surplombe cette funeste journée dont les événements sont comme des touffes d'herbe auxquelles Geoffrey se raccroche sans enthousiasme, stoppant ainsi momentanément une dégringolade qu'il sait inéluctable.

C'est un texte magnifique, empreint d'un désespoir profond, qui à la fois accède à une rare amplitude et pénètre au plus près de l'intime. Il a d'ores et déjà acquis une place à part dans ma vie de lectrice, dans la catégorie de ces titres qui, en dépit des -ou grâce aux ?- efforts qu'il requiert, vous donne tout du long la conviction de découvrir une oeuvre exceptionnelle.

Et pour finir un petit conseil, le même que je donne à tout lecteur qui entame "Le bruit et la fureur" de William Faulkner : pour une fois, lisez la préface !

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Le grondement sourd des Enfers s'est fait entendre depuis les profondeurs de la Terre à la lecture de ce chef-d'oeuvre. Dans le vaste univers de la littérature j'avais, de nombreuses fois, rencontré des personnages noyant leur désarroi dans l'alcool, mais jamais depuis le regard et la pensée propres du protagoniste. Malcolm Lowry, dans une langue tantôt rythmée tantôt chaotique, faisant suivre temps calme, montée fiévreuse et crise éthylique, noie le lecteur des vapeurs incessantes de tequila et de mescal. On espère une délivrance ou on craint le pire au fur et à mesure que Lowry dévoile un pan du passé des personnages sous la menace discrète et permanente du volcan Popocatepetl.

Enfin, même si j'admire son talent critique, j'ai regretté de lire la préface de Maurice Nadeau proposée dans l'édition Folio. Elle défriche trop les pistes broussailleuses que Lowry a volontairement élaboré dès le premier chapitre et j'aurais aimé m'y perdre comme on découvre un monde. L'auteur lui-même avait été contraint par son éditeur de rédiger une introduction pour la publication de son roman qui figure aussi dans cette édition. Mais sa malice et sa détermination à ne rien céder aux sirènes du marché ont fait de ce texte introductif un petit bijou d'ironie.

PS : Comme souvent depuis quelques années, les éditions Folio sont chargées de coquilles et d'erreurs. Que le lecteur en rencontre une ou deux, on peut le tolérer, mais au bout d'une petite dizaine cela commence à agacer. Quand on est éditeur, le respect des oeuvres ne devrait-il pas être une règle?
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Relecture de ce gros roman du siècle dernier ; un chef d'oeuvre ...à la relecture oui certainement , à une exception près (pour moi),:le premier chapitre interminable et pourtant indispensable à la bonne compréhension de ce qui suivra . Connaissant déjà le roman ,j'ai survolé cette centaine de pages , la lecture est plus aisée ensuite.
L'alcool imbibe ce roman , l'alcool qui tue à petit feu et c'est entre 2 cures que l'auteur a déversé le chagrin d'être quitté par sa femme. Un chagrin qui prend toutes les formes de la détresse et qui fluctue comme le niveau des bouteilles de tequila.
Pas si facile d'accès , voire difficile, ce roman demande à être relu pour mieux en saisir les innombrables beautés.
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Bon j'avoue, quand je l'ai fermé je n'ai pas pu me retenir de relire le début. Malcolm Lowry nous livre, sous l'apparence du désordre, un roman remarquable de maîtrise. Ne dit-on pas, pour les acteurs que le plus difficile est de jouer une personne ivre ? C'est la même chose pour les écrivains, comment rendre cette obsession, ces "trous" dans le temps, cette répétition perturbée par des variations infimes ... Eh bien, je dois le reconnaître, par son écriture, par l'organisation de la trame narrative, Malcolm Lowry y est parvenu. Bien entendu, ne l'ayant lu qu'une fois, je n'ai pu qu'entrevoir le grand sujet du roman, le démon. Je le devinais, écrasé par le poids de ces deux volcans énormes (qui pourtant son présentés comme quelque chose de positif, par moments). de mémoire, le docteur Vigil affirme que l'ivresse du Consul vient d'une maladie de l'âme ; de mon mieux j'ai essayé de déterminer quelle était cette maladie de l'âme ; est-ce la culpabilité liée à l'ancienne exaction qu'il a commise ? Alors, le parallèle avec Lord Jim serait trop poussé ; pourquoi mentionner tout le sujet de la Kabbale, sur laquelle le Consul dit préparer un livre, que vient faire cette histoire d'amour avec Yvonne ? Quel est le rôle de Hugh dans tout ça ? Je continue néanmoins de pencher pour cette théorie, car l'issue du roman, et tout le parallèle avec la parabole du Bon Samaritain me laissent penser que le Consul avait un poids sur la conscience lié à un manquement au devoir de charité ; il recevrait le dernier "companero" qui lui est adressé par un inconnu avec tant de joie car il le verrait comme un pardon. Mais cette analyse ne me satisfait pas. Je n'apporte aucune réponse, je le crains, et je suis aussi déçu que vous. J'espère en trouver moi-même quand je le relirai, avec plus d'attention, cette fois. Alors, je me pencherai avec plus de rigueur sur les innombrables références littéraires du roman.
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Un roman brûlant, envoûtant - tout simplement superbe. A lire absolument dans la magnifique traduction de Jacques Darras (disponible dans la collection Les Cahiers rouges des éditions du Seuil), et non dans la première traduction (Folio), démonstrative et qui "en rajoute" par rapport au texte original.
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"Comment pourrais-je donc chercher à m'échapper de moi-même quand je n'ai nulle part où être sur la terre?"
Il n'est pas de paix sans pardon.
Geoffrey Firmin, Consul de Grande-Bretagne au Mexique vient d'être démis de ses fonctions. L'alcoolisme, cette "maladie de l'âme" l'a peu à peu détruit. Impossible pour lui d'oublier la faute irréparable qui lui a valu son exil sur cette terre écrasée de soleil. Tiraillé entre l'appel de la vie et l'irrésistible tentation de la mort, il va de "cantina" en "cantina", engloutissant des litres de mescal. Quelques mois plus tôt, sa femme Yvonne l'a trompé et puis elle est partie, n'en pouvant plus, le laissant seul avec ses démons. Mais cet amour qui ne cesse de la tourmenter, Yvonne veut à tout prix le sauver. C'est un retour au Mexique. Nous sommes le Jour des morts, le dernier jour de la vie de Geoffrey Firmin et le lecteur est emporté sous un ciel brûlant, au coeur d'une nature luxuriante, où la beauté sauvage des convolvulus côtoie la forêt hostile.

Il faut se laisser porter par le rythme lent du texte et ne pas vouloir d'emblée tout comprendre car "Sous le volcan" s'ouvre sur la fin de l'histoire. Nous sommes en 1939. Geoffrey Firmin est mort depuis un an déjà. Et c'est Jacques Laruelle, l'ancien amant d'Yvonne qui donne corps au Consul dans ce premier chapitre qu'il est d'ailleurs bon de relire une fois le roman terminé, bien des choses s'éclairant alors. En effet, Malcolm Lowry a construit son roman en 12 chapitres qui forment un cercle, le dernier chapitre précédant le premier. Mais relire le premier chapitre, c'est se laisser tenter par une relecture du second puis du troisième et c'est entrer dans la danse une nouvelle fois. Car la lecture de "Sous le volcan" a quelque chose d'halluciné, presque d'hypnotique. C'est un long poème musical en prose qui me fait entendre, bien avant l'heure, une musique répétitive. Suivant l'état d'ébriété du Consul, le rythme ralentit, les phrases se déstructurent et le lecteur finit par ressentir lui aussi une forme d'ivresse, ce que le Consul appelle "le tournis à l'intérieur du tournis".

Mais peut-on sauver un homme qui se détruit de la sorte? L'amour peut-il être plus fort que la fausse douceur de la mort? Roman de la solitude et du désespoir d'un homme, "Sous le volcan" est aussi un magnifique roman d'amour. Geoffrey Firmin a été anéanti par l'abandon d'Yvonne. Pourtant, lorsque celle-ci revient, lui offrant de nouveau son amour et son désir, il ne sera pas à la hauteur de ce retour.
"Tu n'as donc plus un petit peu de tendresse ou d'amour pour moi, dis, plus du tout?"
"Oh que si je t'aime, je t'aime encore de tout l'amour du monde, mais mon amour est tellement loin de moi, si tu savais..."
Il est des mélancolies si profondes qu'on ne peut les combattre.
"Vois donc comme les choses familières savent être étranges et tristes. Touche cet arbre, ton ami de naguère: se peut-il hélas, que cela que tu connus dans le sang soit devenu si lointain! (...) Tu as perdu la clé de l'amour de toutes ces choses. Tu n'aimes désormais plus que les cantinas, pâle survivance d'un amour de la vie mué en poison..." 
Yvonne mourra elle aussi, emportée par la force d'autodestruction de son mari. Mais avant cela, elle aura beaucoup pleuré et Malcolm Lowry fera d'Yvonne celle qui s'élève dans le ciel au moment de sa mort quand le Consul, lui, sera plongé dans l'abîme.

Descente vertigineuse dans les profondeurs de l'âme humaine, "Sous le volcan" m'est apparu comme un roman grandiose, sans doute l'un des meilleurs romans qu'il m'ait été donné de lire. Il aura fallu dix ans et pas moins de quatre réécritures pour livrer enfin le livre tel que nous le connaissons aujourd'hui. Peut-on dire qu'il s'agit de l'oeuvre d'une vie? Puisant largement dans sa souffrance et ses amours, Malcolm Lowry semble en effet s'être consumé dans l'écriture de ce chef-d'oeuvre. Et c'est peut-être bien cela qui nous bouleverse et nous laisse sans voix, cette intuition que l'auteur nous a offert ici bien plus que son talent, qu'il y a laissé son âme. 


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A lire d'urgence si ce n'est déjà fait. Et à relire. Il faut savoir encaisser et dépasser le premier chapitre. Histoire d'amour, histoire de tout. Probablement qu'une fois lu pour la première fois, le roman n'a rien dévoilé ou presque de ses richesses.
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Un des titres phares de la littérature occidentale du XXème siècle, chef-d'oeuvre post-moderne puisant largement dans la matière sonore et dans la liberté de construction propres à la poésie, sublime et grandiose, ou bien oeuvre ampoulée et monotone, pur délire mescalin sans queue ni tête, imposture littéraire constituée d'un ramassis de divagations éthyliques parfaitement illisible ?

SOUS LE VOLCAN reste en essence, et depuis sa genèse même pourrait-on dire, une oeuvre maudite par excellence, qui continue toujours à partager les lecteurs. Un roman qu'on vénère ou qu'on déteste tout aussi ardemment.
Sa reconnaissance littéraire proviendra initialement d'un cercle restreint d'intellectuels, de critiques littéraires et d'un nombre plutôt modeste de lecteurs, objet pendant longtemps d'un succès plutôt «d'estime» que de public comme on dit, celui-là même dont auront bénéficié au départ le Procès de Kafka ou l'Ulysse de Joyce.

Écrit et réécrit inlassablement pendant dix ans, entre 1936 et 1946 (au moins quatre versions du manuscrit dans son intégralité verront le jour!), sauvé in extremis d'un incendie qui avait ravagé le bungalow où Malcolm Lowry s'était réfugié avec sa compagne (et où par ailleurs une partie considérable de son oeuvre était bel et bien partie en fumée), refusé à plusieurs reprises par les éditeurs auxquels il sera proposé, avant d'être finalement publié, en 1947, le livre aura un accueil mitigé et restera, malgré un certain retentissement à l'époque de sa publication, considéré comme un roman prétentieux, marginal ou réservé à des happy few.

Dix années après sa publication, Malcolm Lowry, alcoolique, dépressif et suicidaire, meurt à 48 ans dans une relative indifférence générale. Ainsi, n'aura-t-il pas vécu suffisamment pour voir son oeuvre se transformer en roman-culte et être progressivement reconnue à travers le monde par un nombre grandissant d'admirateurs inconditionnels, auxquels, soit dit au passage, je me joins désormais sans la moindre hésitation!

Susceptible, il est vrai, de bousculer profondément l'esprit et la logique avec lesquels on a l'habitude d'aborder un roman, SOUS LE VOLCAN, faut-il vraiment encore le rappeler, est une lecture exigeante, qui engage corps et âme son lecteur et ne cesse de le ravir à son contrôle des choses, de l'égarer régulièrement dans ses longs et imprévisibles méandres. S'obscurcissant radicalement d'un coup, l'empêchant parfois d'y voir quoi que ce soit clairement, l'enveloppant provisoirement dans de longs passages d'un apparent non-sens qui peuvent le dérouter, voire le harasser quelque peu, pour ensuite, au détour d'une phrase, le rattraper à nouveau complètement ébloui, le récit s'étant subitement emparé d'un lyrisme dont l'éclat sidérant finit par le subjuguer: vaincu, pantois, lisant et relisant parfois inlassablement un paragraphe, pourquoi pas à voix haute et à moitié hébété...
A défaut donc d'un effort, d'un engagement et d'un renoncement certains, surtout à ses débuts, je parie qu'on risque de ne pas dépasser le premier chapitre de ce livre immense, monstrueusement beau! La fameuse formule anglo-américaine me semble, en l'occurrence, tout à fait pertinente : no pain, no gain !

UNDER THE VOLCANO a fait l'objet de deux traductions différentes en français. La première datant de 1949, intitulée AU-DESSOUS DU VOLCAN, serait apparemment plus appliquée et studieuse, mais aurait par contre négligé considérablement la beauté musicale et la portée poétique au détriment de la littéralité du texte, sans pour autant rendre plus facile une lecture qui foncièrement ne l'est pas... La deuxième (1987), celle que j'ai lue, titrée SOUS LE VOLCAN et traduite par le poète Jacques Darras, est de mon point de vue tout simplement magistrale! Portée par un souffle et une inventivité phénoménale, on lui aurait cependant reproché de prendre trop de libertés par rapport à l'original.
Eternelle querelle de traducteurs ! En tout cas, je ne peux que vous conseiller cette superbe version de Jacques Darras, rééditée en 2018 par Grasset avec, en bonus, l'intégralité de la très longue lettre (quarante pages !) que Malcom Lowry avait adressée en 1946 à son éditeur et dans laquelle il refusait toutes les modifications que ce dernier lui avait demandé d'intégrer au manuscrit original. Document rarissime sur la genèse d'une oeuvre littéraire qui, en outre, permet au lecteur de poursuivre pendant un moment l'exploration guidée de ce labyrinthe que Lowry lui-même décrivait comme ayant été conçu à l'image de l'architecture baroque des cathédrales mexicaines.

D'inspiration autobiographique, SOUS LE VOLCAN relate, sur la durée d'une seule journée, la déchéance implacable de Geoffrey Firmin, consul britannique dans une ville mexicaine située «au surplomb d'une vallée dominée par deux volcans, à six mille pieds au-niveau de la mer», rongé par l'alcoolisme, par des souvenirs liés à des évènements tragiques de son passé, ainsi que par la séparation douloureuse avec sa femme, Yvonne, partie depuis plus d'un an.
Le retour inespéré de celle-ci à Quauhnahuac, le jour de la fête des Morts au Mexique, va précipiter les protagonistes de ce drame aux accents de tragédie antique (une longue citation de Sophocle lui sert d'ailleurs d'exergue) dans un tourbillon de passions contradictoires, traversé à tour de rôle par des longs flash-backs et par des projections idéalisées d'un avenir auquel ils tenteront vainement de se raccrocher, naviguant à vue entre espoir et désespoir, entre désir d'aller de l'avant et tentation compulsive de se laisser définitivement consumer par les regrets et les fautes passées dont ils ne cessent de s'accaparer.
Yvonne, incarnation remarquable de l'éternel féminin, se retrouve au centre d'un triangle amoureux funeste constitué par Geoffrey et son frère Hugh. Enfin, un ami du Consul, le français Jacques Laruelle, tombé lui aussi autrefois sous le charme de la belle insaisissable, en deviendra le témoin privilégié, le coryphée s'adressant après-coup au lecteur, un an après cette journée fatidique du 2 novembre 1938.

Il est difficile d'éviter toute comparaison entre SOUS LE VOLCAN et l'Ulysse : même découpage temporel sur une journée, même transfiguration symbolique des éléments composant la structure de base du roman, douze heures, douze chapitres ; des personnages aussi, ici quatre personnages au centre de l'intrigue renvoyant aux quatre éléments de la philosophie naturelle, feu, terre, eau et air ; de l'environnement matériel et de la nature, traités également de manière expressionniste et en miroir aux vicissitudes du paysage intérieur des personnages. Même omniprésence enfin des effets radicaux de courant-de-conscience, «stream of consciousness», ou faudrait-il peut-être parler ici plutôt d' «inconsciousness» : lave inconsciente émergeant en volutes mescalines et en longues circonvolutions éthyliques, posant à chaque éruption les mêmes désespérantes et sempiternelles questions liées à l'impermanence de tout et au sens impénétrable des choses : dans quel but tourne la roue de l'univers...?
Prévoyant sans doute l'inéluctabilité d'une telle comparaison, dans la longue lettre adressée à son éditeur, Malcolm Lowry s'inscrit, dit-il, à l'opposé de la démarche de Joyce, déclarant avoir en fin de compte opté «dans la mesure du possible» pour une «méthode de simplification d'éléments à l'origine plus déroutants, plus complexes et ésotériques dans leur manifestation, au lieu de l'inverse», tel qu'aurait, selon lui, choisi l'auteur d'Ulysse.

En tout cas, si SOUS LE VOLCAN semblerait par principe beaucoup plus accessible que l'Ulysse (même si à vrai dire je n'en sais pas trop, n'ayant toujours pas eu le courage d'essayer de gravir cet autre sommet littéraire, encore trop vertigineux à mes yeux!), j'ai quand-même eu le sentiment d'avoir lu, à l'instar de ce que j'ai entendu à propos du roman-cathédrale de James Joyce, un livre qu'on ne finirait jamais de lire, qu'on pourrait au même titre relire indéfiniment, trouvant à chaque relecture de nouvelles correspondances, des interrelations passées inaperçues lors des lectures précédentes, des sens nouveaux, ainsi que des échos à d'autres oeuvres littéraires et artistiques.

En définitif, par-delà toute appréciation personnelle relevant du plaisir que chaque lecteur a pleinement le droit de revendiquer pour juger subjectivement toute entreprise littéraire, il me semble qu'on ne peut pas éviter de rendre hommage ici au génie à l'origine de cette oeuvre monumentale. Personnellement, j'ai été bouleversé par ce roman certes exigeant, mais qui, de mon point de vue, ne mériterait pas pour autant d'être caricaturé comme une lecture pour «intellos» (quel mot insupportable d'ailleurs, comme s'il y avait des gens qui lisaient avec la tête et d'autres avec les pieds, ou les tripes, ou je ne sais quoi d'autre de plus ou moins valorisé, ou dévalorisé, selon les angles d'approche des uns ou des autres !).

Je préfère pour ma part penser que c'est un livre susceptible de toucher tous ceux qui, justement, peuvent apprécier de s'aventurer dans des univers fictionnels où il faut renoncer par moments à toute priorité «intellectuelle» rendant une lecture décodable, rassurante et proche de nos repères cognitifs habituels, pour s'abandonner à l'entropie, à la puissance et à la beauté dans l'expression de cette part de la subjectivité humaine résistant farouchement à toute interprétation, à toute logique donc purement raisonnée et raisonnable!

Pour ce qui me concerne, 5/5, cinq étoiles, plus les Pléiades, et allez, Sirius et Aldébaran aussi !

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Au-dessous du volcan”, de Malcom Lowry, raconte l'histoire d'un homme luttant contre ses démons intérieurs jusqu'à ce que ceux-ci finissent par le consumer et que le héros de l'histoire achève sa vie fracassée par l'alcool au fond d'un ravin jonché de détritus.

Ce livre est un roman incandescent, brûlant comme la lave en fusion. J'ai lu “Au-dessous du volcan” il y a bien longtemps, dans les années 60. Je l'ai dévoré trois fois consécutivement, dont la dernière à voix haute. Et plus je lisais, plus je me retrouvais face à mon propre tumulte intérieur, plus c'était le livre qui me dévorait.

Au-dessous du volcan” fut une sorte de catharsis. Grâce à Malcom Lowry, je compris qu'on ne pouvait pas lutter contre son chaos intérieur, qu'il valait mieux essayer de s'en accommoder en passant à autre chose (la résilience). Après la troisième lecture, celle à voix haute, j'ai refermé le livre de Malcom Lowry et n'y suis plus jamais revenu.
Lien : https://www.yeti-editions.fr/
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Attention chef d'oeuvre. Amour inconditionnel VS Mezcal... Si vous avez beaucoup aimé et beaucoup aimé boire ce livre est fait pour vous, c'est trouble et c'est beau.
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