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EAN : 9782715814448
116 pages
Balland (11/03/2003)
3.8/5   5 notes
Résumé :

Une enfance singulière est d'abord le récit d'une enfance algérienne. Celle d'une petite fille à qui sa grand-mère, Djedda, dont la maison est grande ouverte sur la ville, fait découvrir la vie. A ses côtés, l'enfant apprend le monde et en particulier le monde des femmes. C'est adulte qu'elle sera confrontée au monde des hommes. À travers son histoire et celle de bien d'autres femmes, Fadéla M'Rabet m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Elle refusait d'être une femelle, elle voulait être une femme – un être humain

Une grand-mère, Djedda, pendant la colonisation et au lendemain de l'indépendance, « Tu es morte au moment où je revenais d'une promenade à Blida, de rose parfumée ».

Fadéla M'Rabet nous parle de son enfance. Elle fait un portrait sobre et très chaleureux de sa grand mère, « voilée, mais pieds nus », des lieux de son enfance, du hammam et des femmes envahies par le plaisir de cette chaleur humide, des lumières dans les yeux, de sa famille, de son père Baba, de ce monde contraint sous le colonialisme français…

L'autrice insiste particulièrement sur le monde et les lieux des femmes, la violence quotidienne des relations entre hommes et femmes, « Chacune se moquaient bruyamment des tyrannies subies », l'attribution des meilleurs morceaux de viande aux hommes, les difficultés d'une scolarisation prolongée des filles, l'enfermement, « Chaque maison semblait un monastère où des nonnes, cloîtrées depuis l'âge de la puberté, servaient les hommes d'aujourd'hui et célébraient ceux d'hier ». le corps des femmes est construit comme lieu de la dignité de la communauté. La maitrise de leur corps ne leur appartient pas, les règles de mariage sont celles imposées par les hommes, pour « la conservation du patrimoine et le respect des bonnes moeurs »…

La vie quotidienne, les résistances à la brutalité, l'intimité chaleureuse, les tissus pleins de couleurs vives, celles qui « ont commis des infanticides », celles qui « ont été tuées par un homme de la famille », celles qui « se sont suicidés »…

La promiscuité permanente, les répudiations, l'interchangeabilité des femmes, « Elles formaient un orchestre sans notes discordantes, dont tous les musiciens jouaient du même instrument, et dont la partition n'était composée que d'un refrain », les partages dans la joie, la cuiller en bois dans la poche des miséreux, les prénoms prononcés ou non, les masques et les paralysies, le désert, « Je suis à la fois un grain de sable, une rose des sables, une dune, une gazelle, une étoile. Solitaire comme un palmier, solitaire comme une palmeraie ».

Je souligne la tendresse dans les portraits, jusque dans ces arrêtes qui blessent et peuvent mutiler, les espaces sans frontières, l'affectivité diffuse, la nostalgie de l'utopie, l'étrangeté, « Française dans le regard des hommes, Algérienne à mes yeux », l'identité algérienne et le racisme, les préjugés, les crépuscules méditerranéens, l'entremêlement de la vie et de la mort…

« Nous étions entourés de femmes que nous ne voyions jamais vivre pour elles-mêmes ». L'accaparement, les enfants, la violence et les peurs, « Elles étaient donc tout le temps sur la défensive, d'avances responsables. Et coupables », la violence verbale, les comportement de voyous envers les femmes, le garçon comme richesse convoitée, la dévalorisation des filles, la culpabilité de n'être pas un garçon, « Toute sa vie, elle devra présenter des excuses et n'aura qu'un désir : être reconnue », la majorité dépendant du père, la terreur d'être retirée du lycée…

La colonisation, la falsification de l'histoire des Arabes, les mots et les réflexions « qui nous écorchaient vives », le monde de l'école et le monde de la maison, le provisoire et l'attente de la « vraie vie », les journées de mai 1945, « Très vite, les forces de l'ordre noyèrent la manifestation dans un bain de sang. La répression fut d'une extreme barbarie »…

Baba et l'esprit critique, « il nous apprenait à lire entre les lignes », la complicité magique du regard, la rationalité du Coran, le mariage comme contrat de perpétuité, « Divorcer était un mauvais coup inconcevable porté à toute la tribu, puisque la société faisait de la divorcée une paria », Djedda et le courage de se libérer…

« J'ai longtemps occulté la haine que tant d'hommes éprouvent pour les femmes ». La force des mots pour comprendre. « Il faut vraiment qu'ils nous haïssent pour qu'un père livre une petite fille confiante et pleine de rêves, élevée dans la pudeur et mysticisme, à un inconnu qui la forcera, l'utilisera, puis, usée et vieillie prématurément par des grossesses successives, la rejettera », la tutelle d'un homme de la naissance à la mort dans le Code algérien de la famille, « Puisque la femme est à la fois le témoin et la menace d'une perte totale d'identité, ils la mettent en résidence surveillée et se transforment en geôliers », la religion transformée en système totalitaire, le refus de Djedda (voir le titre de cette note emprunté à l'autrice), la sexualité réduite à la génitalité comme défaite des femmes, des valeurs arabo-islamiques comme art de vivre, le refus des clichés et des prototypes, les boursouflures égotistes des hommes…

Djedda, les foulards multicolores, le khôl, le henné, les odeurs de jasmin…

« Les tyrans ne supportent ni le bruit des chaines qu'on secoue ni le rire des femmes »


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A l'annonce du décès de sa grand-mère, sa Djedda, l'auteur se remémore son enfance passée à Skikda dans la grande demeure familiale où vivent en permanence au moins vingt personnes. Alors que le père de Fadéla règne en patriarche, la vieille femme est la " déesse tutélaire de la tribu ", son statut d'accoucheuse lui confèrant dignité et prestige. Mariée à 14 ans, devenue veuve à 26 ans, elle n'a jamais voulu se remarier refusant ainsi d'endosser le rôle traditionnel réservé aux femmes algériennes. Elle donne l'image d'une femme maîtresse de son corps et de son destin , même son fils la respecte. Fadéla M'Rabet lui voue tendresse et admiration car elle lui a montré que la vie est plus importante que les hommes.
Dans ce récit autobiographique, l'auteur nous confie sa nostalgie d'une enfance embellie, d'une grand-mère idéalisée et d'une Algérie des illusions qui lui est devenue étrangère. Elle se livre aussi à un violent réquisitoire contre les hommes arabo-musulmans qui écrasent les femmes de leur haine et leur cruauté. Selon elle, ils auraient tellement peur de ne pas être à la hauteur, d'être trompés, humiliés que de terrorisés, ils deviennent terroristes. Ces propos nous rappellent que Fadéla M'Rabet est une féministe de première heure . A la suite de la publication de la Femme algérienne (1965) et de Les Algériennes (1967), elle est interdite d'enseignement, de médias et doit quitter l'Algérie.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Il faut vraiment qu’ils nous haïssent pour qu’un père livre une petite fille confiante et pleine de rêves, élevée dans la pudeur et mysticisme, à un inconnu qui la forcera, l’utilisera, puis, usée et vieillie prématurément par des grossesses successives, la rejettera
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C'était le soir. Nous étions sur la terrasse, Rachida venait d'avoir vingt et un ans. J'en avais seize. Je lui lançai en riant : " Alors, tu es libre, maintenant ! "

Mon père se leva d'un bond et me gifla : " Parce que tu as un peu d'instruction, tu ne te sens plus ? ricana-t-il. Mais tu le dois à qui ? Je peux du jour au lendemain te renvoyer au néant. C'est par ma volonté et par elle seule que tu existes ! Sans moi, tu n'es rien, tu ne seras jamais rien ! Sache que moi vivant, tu n'auras jamais ta majorité !"

J'étais anéantie. Chacune de ses paroles était un coup de couteau, son regard méprisant, une mise à mort. Je voulais entrer sous terre. J'aurais aimé n'avoir jamais existé.
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Nous étions entourés de femmes que nous ne voyions jamais vivre pour elles-mêmes. Elles étaient en permanence gestantes ou allaitantes. C'était, comme chez Andy Warhol, les mêmes images qui se répétaient à l'infini dans l'espace et dans le temps. Des images de Mater Dolorosa. Ces femmes perdaient souvent leur nouveau-né. Petit à petit, les cris de joie se confondirent pour moi avec les cris de désespoir de la mère quand elle perdait son enfant.

Par la suite, dans le premier cri d'un bébé, j'entendis sonner le glas et vis dans toute mise au monde, une mise à mort. (P. 69)
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Au mysticisme de ses fils, aux superstitions des femmes qui l'entouraient, elle opposait son réalisme. Solidement campée sur ses jambes, le regard narquois, elle avait toujours l'air de nous dire : "Pourquoi vous épuiser à contrecarrer la nature ? C'est la plus juste. Il vaut mieux l'apprivoiser. ça n'exclut pas la dignité." Son port de tête souverain l'attestait. Les citadins de Skikda tremblaient devant Dieu, Djedda la terrienne pactisait avec la nature. (P.49)
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La structure familiale de mon enfance m'a rendue réfractaire à tout sectarisme. Il m'est impossible de me déterminer à partir de liens de parenté, puisque pareils liens, pour moi, n'existaient pas.

Comme en outre la famille était très ouverte sur le monde extérieur, nous nous sentions concernés par la vie de chacun : quand l'un avait la migraine, nous souffrions avec lui. Finalement, très tôt, nous nous sommes identifiés à tout homme, à toute femme. (P. 62)
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Vidéo de Fadéla M'Rabet
Fadéla M'Rabet, féministe algérienne de la première heure, est docteur en biologie. A la suite de la publication de La Femme algérienne (Maspero 1965) et de Les Algériennes (Maspero 1967), elle est interdite d'enseignement, de médias et doit quitter l'Algérie. Aujourd'hui Parisienne, elle a été maître de conférences et praticien des hôpitaux à Broussais Hôtel-Dieu. Elle a également publié, en septembre 2008, chez Riveneuve Editions Une enfance singulière et Le Muezzin aux yeux bleus.
Entretien avec Pascal Priestley réalisé au Salon du livre inter national d'Alger (SILA) le 23 septembre 2011
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