Lehaïm! À la vie!
Au destin, à la chance, à Dieu?
Non, à la vie!
À la vie, si tenace, si forte, si résistante!
À la vie, la seule qui nous soit donnée, celle qu'il nous appartient de transformer en fête ou en désastre. Celle que nous pouvons toujours réorienter, redéfinir, relancer comme une balle.
À la vie ! Lehaïm!
Pour Shély et Mike, cet été-là, la vie n'est pas un cadeau.
Elle éprouve durement ce qu'ils ont de plus cher : leurs enfants.
L'aînée, Anna, avec ses jambes mal coordonnées, est responsable d'un terrible accident de vélo qui plonge son petit frère Tom dans le coma. Seules les mouettes le savent... même si la sollicitude d'Adisso , le jeune employé éthiopien de ses parents , grand ami d'Anna, le devine..
Et pendant que toute la famille est suspendue au souffle de Tom, la jeune Anna se débat dans les affres de la culpabilité.
Les parents, Mike et Shély, se relaient entre le snack bar de bord de mer où ils triment dur les mois d'été, l'hôpital de Jérusalem où est soigné leur petit garçon, et l'implantation en territoires occupés où ils ont mis Naomi, leur fille cadette, dont la précoce beauté est sous cloche dans la famille ultraorthodoxe de la soeur de Shély.
Un mélo ? Pas du tout!
Comme elle sait si bien le faire,
Mira Maguen ne s'apesantit pas sur l'accident, le suspense du coma, pas même sur l'insoutenable secret qui mine la conscience de la jeune Anna: ce sont là les données dans lesquelles s'ancre immédiatement le récit dont l'intérêt et la puissance narrative sont ailleurs.
Dans la vie, justement.
Haïm en hébreu, comme ce deuxième prénom donné à Tom pendant son coma, pour mieux conjurer la mort.
La vie qui est partout, qui grouille, triomphe, exulte, déborde.
Dans ce petit coin de bord de mer où robinsonnent les chats, les tortues, les touristes en maillot , les enfants à bicyclette, les marins tatoués et les plantureuses odalisques.
Autant de tentations sensuelles pour les adultes, et de fugues bénéfiques pour les enfants.
Récréation. Ressourcement. Recharge d'énergie. Bains de mer et cigarettes au clair de lune. Étreintes conjugales et extra conjugales. le couple très libre de Mike et Shély y retrempe sa force: la trahison n'existe pas tant le pacte qui les lie se passe de mots et se renoue dans une entente physique que rien ne semble altérer.
La vie aussi dans les trois visages entrevus d'Israël. Tel Aviv la marine, la vacancière, Jérusalem la citadine, sillonnée par le bus que Mike conduit les mois d'hiver, et puis les "implantations", ce monde à part, qui porte Dieu en bandoulière, cache sous de tristes oripeaux ses femmes, et les submerge d'enfants..
La vie anarchique des corps qui échappent aux règles- un baiser et des larmes dans une station service, un genou fracassé par une jambe jalouse -, la vie des objets qui relaie celle des coeurs- un coquillage qui parle, un lacet qui enlace, des cailloux qui défoulent- , la vie faite de surprises et de changements, la vie contre le destin qui semble s'acharner, la vie comme un doigt d'honneur humain à la toute-puissance divine !
La vie dans le chant polyphonique de personnages si différents : noirs, blancs, orthodoxes, athées, libres, empêtrés, tolérants, provocateurs, pieux, rigides...(avec, en ce qui me concerne, un petit coup de coeur pour le beau personnage d'Adisso ou pour l'impétueux Mike!)
La vie jusque dans le style de
Mira Maguen, subtil mélange de profondeur et d'ironie légère, d'empathie et de sens critique, d'érotisme et de retenue, de trivialité et d'idéal.
Un livre qui se lit d'une venue, comme on vide une coupe : Lehaïm ! À La vie!