Raconter l'histoire de la méchante sorcière, l'arracher à ce rôle stéréotypé d'adversaire à affronter par le héros de l'histoire, pour la ramener au domaine de l'humain. En faire un personnage à part entière, tissé d'expériences et d'émotions. Retracer sa vie dès l'enfance pour comprendre comment ce mal s'est peu à peu formé en elle, et en remettre en question la nature même. L'entreprise est intéressante, et le pari d'autant plus ambitieux que G. Maguire le relève dans l'univers d'Oz, l'un des plus célèbres et des plus vastes de la littérature enfantine.
D'Oz, je ne connaisais que deux adaptations cinématographiques (celle de Victor Flemming, la plus connue, avec Judy Garland, et celle de Sidney Lumet, avec
Michael Jackson et Diana Ross) : aucun des très nombreux livres de Franck L. Baum ne m'est jamais passé entre les mains, et il est fort probable que de nombreuses allusions, dans Wicked, me soient restées étrangères. Cela a peut-être orienté ma lecture, sans pour autant la gêner : le roman reconstruit le monde d'Oz de manière assez complète et cohérente pour, au fond, se suffire à lui-même.
Le pari est-il bien relevé pour autant ? Oui et non. J'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir, j'en admire la complexité, la profondeur qu'il a su donner à ses personnages et à l'univers tout entier. Et pourtant, j'en ai aussi retiré un certain sentiment de frustration... l'impression que le portrait d'Elphaba, admirablement commencé, a été quelque peu bâclé sur la fin - ou du moins qu'il manque quelque chose à son évolution pour qu'il soit parfaitement réussi. C'est d'autant plus dommage que j'avais pour ce personnage une affection particulière, et que j'ai adoré tout le début du livre : l'histoire de ses parents et de sa petite enfance, assez remarquable mise en scène d'un couple amoureux mais trop dissemblable et soudain confronté à l'anormalité de son premier enfant ; celle de ses années d'étude, délice doux-amer émaillé de conversations savoureuses et de personnages attachants, avec en trame de fond la question de la responsabilité de chacun face à l'émergence d'une dictature. Par la suite, ces questions politiques gagnent encore en intérêt mais Elphaba, qui finit par s'y briser, perd dans l'affaire pas mal de substance. Là où, au contraire, elle aurait dû en acquérir.
Au fond, je pense que le principal défaut de ce livre est d'avoir voulu trop en dire, évoquer trop de thèmes intéressants et expliquer une évolution trop longue pour un seul et unique roman. Avec tout ce qu'il y a dans Wicked, l'auteur aurait pu écrire au moins une trilogie - et le résultat, peut-être, aurait été plus satisfaisant.
Mais ce défaut, au fond, est celui de ses qualités, et ce roman reste une belle découverte.
Rendons hommage, au passage, au très beau travail de l'illustratrice et des éditeurs qui ont conçu la couverture Bragelonne !