Ce livre merveilleux d'Aberto Menguel a reçu en 1998 le prix Médicis de l'essai. Traduit pour Actes sud par
Christine le Boeuf, une amie me l'a offert pratiquement dès sa sortie. J'ai laissé traîner cet essai plus de 20 ans dans ma bibliothèque. Je l'ai exhumé des rayons en avril 2022.
C'est une promenade érudite à travers le temps et l'espace en compagnie des livres, de la lecture et des lecteurs ; et l'auteur d'indiquer à la dernière page de son essai qu'une telle histoire ne saurait avoir de fin.
En tout cas elle a eu un début ou des débuts remontant à la plus haute Antiquité avec, notamment, les tablettes sumériennes. Car pour qu'il y ait lecture, il faut que quelque chose soit écrit. Bien que l'on puisse "lire" la Nature...A l'autre étape de l'histoire en cours il y a les tablettes de Steve Job. Mais Alberto, en 1996, ne pouvait le deviner.
Voilà, entre autre raison, pourquoi son histoire est sans fin. Elle a eu aussi des étapes fondamentales dont la plus importante pour notre civilisation est celle de la découverte de l'imprimerie. Cette dernière n'est pourtant pas à l'origine de l'importance accordée à la lecture et au lieu de conservation des livres. Des bibliothèques fameuses ont précédé l'époque de Gutenberg. Callimaque l'égyptien, bibliothécaire d'Alexandrie, s'interrogeait déjà sur la meilleure méthode de classement et de rangement d'une bibliothèque. Il a ainsi rédigé le premier catalogue de la littérature grecque, classé par ordre alphabétique et par genre.
Le poème, «
La-boucle-de-Berenice" de
Catulle est directement inspiré du poème de Callimaque, le poète - bibliothécaire. Dans ma bibliothèque, je m'enorgueillis de posséder ce texte offert à ma passion de lecteur, par
Laurent Calvié, aux éditions ANACHARSIS (2002) – édition bilingue.
Autre clin d'oeil, au moment de la sortie du livre, les liseuses balbutiaient. Depuis, elles ont pris leur envol, mais j'ai toujours refusé d'en acquérir une. La liseuse constitue encore une étape qui prolonge la promenade d'Alberto. Nous voilà bien loin du codex dont l'auteur nous conte l'aventure.
Il nous a parlé des lecteurs publics ou privés que l'on écoutait, parfois en travaillant dans les manufactures. J'ai retenu deux lecteurs à voix haute fameux à plusieurs siècles de distance, Pline le jeune et
Charles Dickens.
De nos jours, puisque l'histoire se poursuit sous nos yeux, voilà que les livres audio s'imposent de plus en plus, à la fois pour le profit de ceux qui sont privés de la vue, mais également pour les « paresseux » qui préfèrent écouter lire plutôt que de lire eux-mêmes.
Là, je suis injuste, car n'y a-t-il pas un vrai bonheur à écouter lire ou réciter « Les
lettres à un jeune poète » de R. M.
Rilke, par
Niels Arestrup sur scène ? Et qui n'a pas apprécié les fables déclamées par Fabrice Luchini ?
Le théâtre, lieu de rencontre entre les comédiens lecteurs ou récitants et un public écoutant.
Nous sommes cependant entrés dans une période sombre de l'histoire de la lecture. Celle-ci semble reculer. Alberto n'en parle pas, tout à sa joie de s'adresser à des passionnés, comme lui, d'érudition, à des amoureux des livres.
En effet,
Sylvie Germain vient de faire les frais de l'inculture d'élèves de 1ère au bac de français qui n'ont rien su dire d'un extrait de « Jour de colère » et ont insulté l'auteure sur les réseaux sociaux. Alberto ne pouvaient en parler, les RS n'existaient pas en 1996.
Oui je crois que la lecture qui a fait reculer, grâce à la démocratisation du livre, l'inculture, est aujourd'hui confrontée à celle-ci, au sein, notamment, d'une partie de la jeunesse au vocabulaire pauvre, à la pensée superficielle, à la psychologie fruste, à la bêtise violente...
En effet, si Alberto nous enseigne que bien des circonstances ont provoqué des interdictions de la lecture - l'Eglise n'aimait pas trop qu'on la favorisât - où l'on apprend que l'Index n'a cessé de vivre si je puis dire qu'en 1966, c'était hier ; les autocraties et autres dictatures, pas davantage, quant aux sociétés esclavagistes modernes, n'en parlons pas - dans l'Antiquité pourtant nombre d'esclaves savaient lire - aujourd'hui, en France, une bonne partie de la population s'interdit de lire !
Une note d'optimisme toutefois, la profusion d'ouvrages édités chaque année prouve que la lecture continue de résister et même de se bien porter malgré tout. Babelio en est la preuve... entre autre...
Pat