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Gabriel Boniecki (Traducteur)
EAN : 9782080413437
368 pages
Autrement (04/01/2023)
4.07/5   7 notes
Résumé :
Suivant cette intuition forte, l'historien Kris Manjapra examine dans un essai important comment les esclaves africains ont été dépossédés par les mouvements mêmes qui étaient censés les libérer. Selon lui, en se préoccupant seulement de la question des abolitions et non de leur mise en oeuvre, les historiens ne racontent que la moitié de l'histoire.
Grâce à un travail de première main, l'auteur analyse les politiques établies en Europe et aux Amériques, qui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
L'étude réalisée par Kris Manjapra dans ce livre vise à démontrer que les politiques et les lois regroupées sous le nom d'« émancipation » au XIXe siècle, loin d'avoir libérées immédiatement et efficacement les populations noires, ont au contraire aggravé le traumatisme historique que représente l'esclavage et consolidé le suprématisme blanc car elles ont maintenu le système de castes raciales nées de l'esclavage. Pour Kris Manjapra, on a procédé en ce qui concerne l'émancipation des Noirs à une « fantômisation », c'est-à-dire qu'on oublie la moitié de l'histoire en passant sous silence les suites juridiques de cette émancipation, qui n'est bien souvent que de papier. En effet, si les institutions de l'esclavages sont abolies, les droits de l'esclavagiste, eux, sont préservés. Cela passe notamment par des compensations financières parfois colossales aux planteurs, mais aussi par de nouvelles formes de servitude. Ce qui fait dire à l'auteur que « de bout en bout, ce sont les propriétaires d'esclavages qui ont maîtrisé le processus et influencé le jeu politique. » L'auteur dénonce aussi une autre forme de « fantômisation », celle qui concerne les révoltes des communautés noires pour se libérer elles-mêmes. L'auteur rappelle en effet que les esclaves n'ont pas attendu les décisions de leurs « émancipateurs » pour se révolter et se créer eux-mêmes des espaces de liberté.

Pour illustrer son propos, Kris Manjapra propose de comparer les processus d'émancipation dans le monde. Cinq sortes différentes sont repérées, et un chapitre est consacré à chaque type d'abolition. le premier se consacre aux abolitions progressives, un phénomène qui concerne essentiellement le Nord des États-Unis et l'Amérique hispanique et dont la caractéristique principale réside dans l'achat par les populations « esclavisées » de leur liberté. Dans cette partie du monde, le processus abolitionniste fut très lent (plusieurs décennies) et permit globalement aux propriétaires de conserver leur fortune intacte tout en refusant toute forme de réparation aux anciens esclaves qui sont au contraire forcés de dédommager leurs anciens maîtres par du travail non rémunéré. Cette forme d'abolition a donc ceci de particulier qu'elle consacre la légitimité de l'esclavage en faisant fi du droit des esclaves à obtenir réparation. Malgré la résistance des populations noires, la perpétuation de formes d'esclavage ainsi que les mesures discriminantes prises par les états (interdiction des mariages « interraciaux », absence de droits civiques, interdiction de rentrer dans un état...) entraînent inévitablement leur marginalisation. « Au Nord, les lois et politiques de la période post-esclavagiste renforcent l'exclusion des communautés noires qui se retrouvent privées d'une participation pleine et entière à la vie sociale. »

L'auteur aborde ensuite le sujet des abolitions rétroactives et se penche sur le cade de la révolution haïtienne dont l'impact a été totalement minoré. Au XVIIIe, le mode de production de la plantation et la violence qui y règne font naître les conditions d'une révolte de masse sur l'île. L'insurrection de 1791 s'accompagne d'un formidable mouvement populaire qui permet aux esclaves d'obtenir l'abolition par la révolte. Aucune compensation pour les planteurs n'est alors prévue puisqu'ils sont considérés comme des criminels, et non des propriétaires spoliés. En 1804, les troupes françaises sont défaites malgré la capture de Toussaint Louverture et l'île, alors connu sous le nom de Saint-Domingue, prend le nom d'Haïti. Elle devient toutefois rapidement une paria sur la scène internationale, les nations occidentale refusant de reconnaître le pays. En 1825, Charles X concède l'indépendance en échange du paiement d'une indemnité compensatoire colossale, ce que le président de l'époque, Jean-Pierre Boyer, accepte pour en finir avec le boycottage diplomatique qui laisse son pays vulnérable à une invasion. La France oblige donc Haïti à adopter un programme abolitionniste rétroactif : on force l'île, après coup, à payer des réparations aux anciens propriétaires et à accepter le fardeau d'une dette insoutenable. Pour l'auteur, « l'arme invisible de la ruine financière, plus que les canons des vaisseaux de guerre, créèrent les conditions d'un sous-développement à long terme. »

le troisième type identifié est celui des abolitions compensées. Cela concerne essentiellement le Royaume-Uni où les esclavagistes s'enrichissent du travail forcé et des dédommagements fournis par l'empire britannique sur le trésor public. L'auteur rappelle dans ce chapitre que les très fortes mobilisations populaires et les révoltes qui ont lieu dans les colonies jouèrent un rôle clé dans le processus d'émancipation. Contrairement à la vision romantique de l'histoire anglaise que beaucoup peuvent avoir, il est donc erroné de limiter l'abolition à la volonté d'une poignée de parlementaires comme William Wilberforce. Kris Manjapra rappelle en effet que l'impulsion décisive qui aboutira à l'abolition de l'esclavage en 1833 vient avant tout du bas de l'échelle sociale et que « l'abolitionnisme est donc d'abord un mouvement populaire ». Il distingue également deux types d'abolitionnismes dont les visions s'opposent à l'époque. Celle défendue par les Blancs et par l'élite de la société britannique consiste en une abolition progressive pour « préparer les Africains à leur future liberté » et permettre aux planteurs de se réorganiser. Activistes et intellectuels africains développent, eux, militent pour une abolition immédiate, insistent sur la nécessité de reconnaître l'esclavage comme une exaction et exigent des réparations en faveur des victimes. L'auteur se penche ensuite sur le cas des colonies caribéennes britanniques qui connurent de nombreuses révoltes au début du XIXe, preuve que, là encore, « les Noirs n'attendirent pas qu'on leur octroie la liberté. » Autant de mouvements de résistance qui furent réprimés de façon sanglante.

Les deux autres types d'abolition abordées sont les abolitions guerrières, celles qui sont acquises par la force des armes après la Guerre de Sécession, et enfin celles qui servirent de prétexte à la colonisation de l'Afrique. N'ayant pas eu le temps de terminer ces deux chapitres dans le temps imparti, je rajouterai des éléments les concernant ultérieurement.

Avec « Les fantômes noirs de l'esclavage » Kris Manjapra signe une étude captivante qui permet de mieux comprendre les dispositifs qui encadrèrent l'abolition de l'esclavage au XIXe partout dans le monde. L'auteur met ainsi en lumière un pan totalement occulté de notre histoire et atteste du rôle déterminant joué par les Noirs eux-mêmes dans leur libération, aussi bien dans les colonies que dans les métropoles. L'ouvrage souligne également que l'abolition ne marque souvent la fin de l'esclavage que sur le papier, et que l'exploitation des populations noires s'est poursuivie grâce à des dispositifs légaux pendant encore longtemps, permettant ainsi aux Blancs de renforcer leur suprématie (notamment par le biais de compensations financières quasi systématiques en réparation du « préjudice » subi par les planteurs). A lire !
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Kris Manjapra, historien africano-indien, professeur d'université aux Etats-Unis, interroge les racines des questions de l'esclavage et de la colonisation.

Son analyse repose sur le constat de la distance qui sépare la célébration des abolitions, de la fin du XVIIIème et dans le courant du XIXème siècle, de la liberté réelle et des compensations offertes aux Afro-américains au cours des processus d'émancipation engagés à ces époques.

Selon lui, en se préoccupant seulement de la question des abolitions et non de leur mise en oeuvre, les historiens ne racontent que la moitié de l'histoire.

L'historien raconte dans le détail les dispositions qui furent mises en place, aux Etats-Unis comme dans les pays européens, pour limiter la liberté des affranchis, maintenir de nombreuses formes de discriminations dans le but de préserver des commerces parallèles et une servitude de fait.

Son analyse révèle à quel point l'émancipation n'a pas du tout rompu les chaînes retenant les esclaves désormais affranchis et que l'asservissement a pu prendre de nouvelles formes plus ou moins cachées.

L'historien insiste sur la façon dont les esclaves, loin de rester passifs, ont pris en main leur destinée et travaillé à leur propre libération. La question si sensible des réparations est au coeur de ce livre en quête de justice.

Cet essai bien écrit et bien traduit est richement documenté, bien construit et plutôt facile à lire.

Il est important de savoir comment les blancs ont continué à asservir les Noirs longtemps après avoir fait semblant de les abandonner.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Ouvrage très instructif, notamment pour les lecteurs français. En effet, l'histoire racontée reprend des périodes bien connues des anglo-saxons : guerre d'indépendance, abolition de l'esclavage aux Etats-Unis et dans l'empire britannique, guerre de sécession... Un passage concerne aussi un événement très "français" : la révolution haïtienne, mais nos programmes scolaires et notre mémoire collective ne s'attardent, hélas, pas beaucoup dessus.

La plus grosse partie du livre m'a beaucoup plu, on est surpris et indigné par la façon dont l'abolition de l'esclavage se met en place : remboursement des propriétaires, lois qui obligent les esclaves à faire encore quelques années (ou décennies...) du travaux forcés, exclusion des anciens esclaves de la citoyenneté etc... On apprend par exemple que le Royaume-Uni a fini de rembourser seulement en 2015 le "rachat" des anciens esclaves ! Quant à notre histoire nationale, difficile de ne pas être scandalisé par l'extraordinaire amende que nous avons imposé à la République d'Haïti pour accepter sa révolution : le pauvre pays a dû payer pendant plus d'un siècle en utilisant 80% de son budget !

En revanche le dernier quart du livre, qui aborde les guerres coloniales des européens qui prétendent "libérer" les esclaves africains, mais ne le font pas, m'a moins convaincu. L'auteur se concentre sur les écrits littéraires et essais politiques d'auteurs panafricanistes, mais n'explique pas comment les différents régimes africains, qui se sont pourtant énormément enrichi (notamment en armes) en vendant des esclaves aux Européens, ont échoué face à des armées européennes pourtant très réduite. de même, la conclusion demande des réparations et poursuit sur les mouvements panafricanistes sans aborder la place des esclavagistes africains (j'ai trouvé qu'une seule phrase dans tout l'ouvrage), ceux qui ont capturé des millions d'êtres humains pour les vendre aux négriers occidentaux.
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Dans cet essai ancré dès l'introduction dans son histoire personnelle, K. Manjapra montre comment les personnes noires ont été ghostées (le traducteur a choisi "fantômisées") de leur propre histoire, celle de la traite atlantique, de l'esclavage et de son abolition. Il s'intéresse précisément à la fin de l'esclavage pour démontrer qu'elle n'en était pas vraiment une, mais en réalité un moyen pour les sociétés esclavagistes de poursuivre leur domination.
Cinq espaces sont examinés et reconnectés : les États-Unis, Haïti, le Royaume-Uni, l'espace caraïbe et l'Afrique, et la démonstration est sans appel. A chaque fois, ce sont les esclavagistes qui sont dédommagés et les esclavisés se retrouvent réduits à de nouvelles formes de sujétion.
Manjapra fait aussi l'histoire de l'agentivité des personnes noires, qui n'ont pas attendu que des personnes blanches leur accorde la liberté, qui ont lutté pour la reconnaissance de leur humanité et leur droit à une vie digne. C'est un plaidoyer plus que convaincant en faveur des réparations.
Cet ouvrage fait partie de ceux qui m'ont ouvert de nouvelles pistes de réflexion. Il m'a aussi donné envie de lire beaucoup des romans et essais cités comme sources.
Je lui reproche cependant une vision peu nuancée des personnes noires, dont on a l'impression qu'elles souhaitent toutes la même chose, alors qu'il montre l'intersectionnalité et les différences de vues politiques des personnes blanches.
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Il s'agit là vraiment d'un essai, d'une étude qui apporte des fait quand à la pérenne culpabilité des communautés blanches esclavagiste sur les esclavisés, africain et indien.

Les faits ne mentent pas, les gouvernement si et parfois ne rien dire c'est mentir. Dans nos livre d'histoire l'abolition de l'esclavage est dépeinte comme une action de bisounours durant la quel les blancs auraient un jour globalement changé leurs état d'esprit et décider de considérer « le noir » comme un humain et plus une marchandise, la vérité en est bien loin.
L'exemple le plus parlant est celui de l'Angleterre, qui, a continuer d'indemniser les descendant d'esclavagiste jusqu'en 2015… 2015 !

Tout ce qui est dans ce livre est nouveau pour qui n'aura pas fait ses propres recherches, l'état n'en parlera pas, les cours d'histoire omettrons le plus important. Ça fait ouvrir les yeux sur les événements actuels, les conséquences de l'esclavagisme qui n'a jamais été pleinement assumé et dont les victimes n'ont jamais reçu les réparations adéquates hantent notre présent et ne trouveront de repos seulement si les coupables prennent leurs responsabilités
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
En décembre 1781, le capitaine Luke Collingwood et son équipage tuèrent délibérément 142 esclaves africains, passés par dessus bord afin de toucher l'assurance "perte de cargaison". La compagnie refusa de payer, et il s'ensuivit une série de procès. Le jury trancha en faveur des propriétaires du navire et ordonna à la compagnie d'assurance le versement de 3 660 livres de dédommagement.
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Saisissant le prétexte de défaut de paiement, le 17 décembre 1914, les troupes des US marines débarquèrent à Port-au-Prince armées de fusils, de véhicules blindés, et accompagnés d'une grue. Ils firent route vers la banque nationale de la République haïtienne. L'attaque, coordonnée par le directeur américain de la banque, s'empara de 400 000 dollars en or déposés dans les coffres.
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En 1851, Thomas Sims échappa à l'esclavage et trouva refuge à Boston. Capturé dans cette ville, il porta plainte et demandé à être libéré. Edward Greely Loring, juge des tutelles et memebre d'une famille appartenant au groupe des Cotton Whigs, ordonna qu'il soit renvoyé dans le Sud comme esclave.
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Dans son journal, Thomas Thistlewood étale ses aspirations. Partout il affirme son emprise sur les êtres humains de "son" domaine et de "sa" propriété. Il a également consigné plus de 132 "relations sexuelles" avec ses esclaves, un véritable catalogue de viols et d'agressions.
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