AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Didier Merlin (Traducteur)
EAN : 9782020063463
224 pages
Seuil (01/01/1983)
3.59/5   22 notes
Résumé :
En temps de guerre, ne se rend pas qui veut dans la zone militarisée. Les civils doivent présenter aux autorités des motifs sérieux - l'invitation d'un oncle et d'une tante, par exemple, l'essentiel étant de se rappeler le nom dont ils ont signé leur lettre s'il y a des difficultés
on a compris que la parenté est fictive et qu'au terme du Voyage indiscret attend quelqu'un qui n'a rien d'avunculaire.
Première des dix-sept nouvelles de ce recueil, à qui ... >Voir plus
Que lire après Le Voyage indiscretVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Ce matin, je suis à l'image du temps, instable et vagabond, entre averses et éclaircies. Mon esprit papillonne et n'arrive pas à se fixer, je me dois de lire quelque chose de court, qui ne fasse pas dévier mon attention.
Parmi les ouvrages de la PAL, instable et déséquilibrée elle aussi, un recueil de nouvelles se profile à l'horizon, « Le voyage indiscret »de Katherine Mansfield. Dix-sept petits textes, c'est encore trop pour mon caractère volage d'aujourd'hui. Il me faut en choisir un, oui mais pas trop court non plus, histoire de m'imprégner de l'atmosphère ambiante, mousson tropicale à seulement vingt degrés, si si, c'est possible !

C'est noté que l'écrivaine est décédée à trente-quatre ans, en 1923. C'est donc le centenaire de sa mort, après une éphémère vie, courte et fragile à la fois, il n'y a plus à hésiter. Je choisis la plus longue nouvelle du recueil, une trentaine de pages, « Quelque chose d'enfantin mais de très naturel ». le titre est attrayant et énigmatique à la fois, je succombe.
Elle a écrit court à l'image de sa vie. A son décès, l'autre nouvelliste, Virginia Woolf, déclara :

«  À cela j'ai ressenti — quoi au juste ? Un brusque soulagement ? Une rivale de moins ? Puis de la confusion à constater si peu d'émotion. Et peu à peu un vide, une déception ; et enfin un désarroi auquel je n'ai pu me soustraire de tout le jour. Lorsque je me suis mise au travail, il m'a semblé qu'écrire n'avait aucun sens. Katherine ne me lirait pas. Je ne voulais pas me l'avouer, mais j'étais jalouse de son écriture, la seule écriture dont j'aie jamais été jalouse. Elle avait la vibration. »

La «vibration»… Un mouvement? Une musique? Un rythme? Il y a tout cela à la fois dans les nouvelles de Mansfield. C'est un phrasé particulier, à la fois délicat et dense, qui vient donner aux événements les plus ordinaires une mystérieuse profondeur.
L'histoire commence ainsi :

« Henry ne pouvait déterminer si son tour de tête était réellement plus grand que l'été précédent, ou s'il avait oublié l'impression qu'on ressentait : mais son canotier lui faisait mal, lui pinçait le front et lui causait une douleur sourde juste au-dessus des tempes ».

Voilà assurément un début prometteur. Et quelques lignes plus loin :

« Le jour le plus émouvant de l'année, le premier « vrai » jour de printemps avait découvert sa délicieuse beauté tiède, même aux yeux de Londres. Il avait mis de l'éclat dans chaque couleur, un nouveau ton dans chaque voix, et les gens de la ville marchaient comme s'ils possédaient de vrais corps vivants sous leurs vêtements, avec de vrais coeurs vivants pompant un sang alerte ».

Je suis envoûté, je me dis que j'ai fait le bon choix, ma mélancolie tristounette s'estompe, je revis.
La finesse des sentiments décrits se niche aux creux des petits riens, ces petits riens qui, en les agglutinant, constituent le socle de la vie. Les nouvelles de Katherine sont pleines de couleurs qui donnent de la vie au texte mais surtout aux sentiments qu'elle dépeint avec beaucoup de finesse et, je dirais, même une certaine dose de perfidie.

« Henry était très connaisseur en livres. le grand nombre auquel il faisait des signes d'intelligence était surprenant. Par l'élégance nette avec laquelle il les maniait, grâce au choix délicat de ses termes quand il en discutait avec quelque libraire, on aurait pensé qu'il avait sucé son biberon avec un volume posé sur la poitrine de sa nourrice. »

Dès les premières lignes, on reconnaît la plume de l'écrivain, l'art de la nouvelliste de saisir en quelques mots une situation, une atmosphère.
Quelque chose d'enfantin, mais de très naturel.
D'abord la fragilité. Voilà ce qui émeut chez Katherine Mansfield, si pâle sous son casque de cheveux noirs, avec ses lèvres à peine ourlées et son regard attentif, inquiet, son regard de naufragée. Et elle le transmet admirablement dans son propos.

« Comme il parlait, elle leva la tête. Il vit ses yeux gris sous l'ombre de son chapeau et ses sourcils pareils à deux plumes d'or. Ses lèvres étaient entrouvertes. Presque inconsciemment , il lui sembla absorber l'idée qu'elle portait un bouquet de primevères, que son cou était blanc, la forme de son visage merveilleusement délicate contre toute cette chevelure brûlante. »

Ils se sont rencontrés dans un train. Il n'apprendra son prénom qu'au second rendez-vous. Edna. Deux adolescents dont l'innocence n'a d'égal que le hasard qui les a fait s'asseoir dans le même compartiment.
Les descriptions sont imagées, les dialogues empreints de timide candeur.

« - C'est tellement, tellement extraordinaire, reprit-elle. Si soudainement, vous savez ! Et je me sens comme si je vous avais connu depuis des années.
- Moi aussi, reconnut Henry. Je pense que ce doit être le printemps. Je pense que j'ai avalé un papillon et qu'il bat des ailes juste ici. Il mit la main sur son coeur. »

L'ensemble du texte est de cette qualité. le début du vingtième siècle, j'y retrouve la fraîcheur et la naïveté d'autres écrivains, comme Elisabeth Goudge par exemple. Et ce côté fable fantaisiste chère à Dino Buzzati.
Avec en plus la précision et la concision du nouvelliste, je pense à Wallace Stegner dans « Le goût sucré des pommes sauvages. »
Mais ici, le déroulé n'a pas l'unité de temps et de lieu chère aux nouvelles type.
L'histoire se passe sur plusieurs semaines, à différents endroits, promenade, concert, paysage onirique propice à la rêverie.

« Il appuya sa tête contre le montant de la porte. Il pouvait à peine tenir les yeux ouverts, non qu'il eût sommeil, mais… pour une raison quelconque… et un long moment s'écoula. Il crut voir un grand papillon de nuit, blanc, volant sur la route. le papillon se percha sur la grille. Non, ce n'était pas un papillon. C'était une petite fille avec un tablier. Quelle gentille petite fille, et il sourit dans son sommeil, et elle sourit, aussi, rentrant la pointe des pieds en marchant. »

Exprimées ou inexprimées, les pensées sont un des sujets permanents de Katherine Mansfield, les pensées et les sensations, et, de fil en aiguille, ce sont la vie et la mort son sujet. Mais elle les aborde l'air de ne pas y toucher et pas du tout comme de grands thèmes de la littérature universelle. 
Et comme l'écrit « larmordbm » dans une autre chronique :

« Elle vibre, ressent les infimes variations qui font basculer les relations entre les êtres, et transcrit, sur la page, les instants fugitifs et les postures, comme le ferait un photographe, en jouant avec la lumière et ses reflets. Tous les sens sont en éveil, magnifiés dans ses compositions.
La frontière entre le rêve et la réalité est ténue, et les apparences sont trompeuses. »

Le grand Meaulnes n'est pas loin, je me suis fait happer par l'écriture. Comme pour Alain-Fournier, les courtes vies peuvent engendrer de longues sensations.

Quelque chose d'enfantin mais de très naturel.



Commenter  J’apprécie          173
Dix-sept nouvelles, courtes pour la plupart d'entre elles, composent ce recueil. Certaines, comme Quelque chose d'enfantin mais de très naturel, mettant en scène les débuts balbutiants et rêvés d'un couple, ou Bains Turcs, sont de véritables chefs-d'oeuvre de beauté, de concision et de poésie.
D'autres, peu nombreuses, d'inspiration surréaliste ou inachevées voire esquissées, sont assez hermétiques.
Katherine Mansfield excelle dans le registre des petits récits où elle capte des bribes de vie, des moments saisis au vol, des scènes dialoguées entre des personnages pas toujours bien accordés. Elle ne s'étend pas, ne fait pas de psychologie. Elle vibre, ressent les infimes variations qui font basculer les relations entre les êtres, et transcrit, sur la page, les instants fugitifs et les postures, comme le ferait un photographe, en jouant avec la lumière et ses reflets. Tous les sens sont en éveil, magnifiés dans ses compositions.
La frontière entre le rêve et la réalité est ténue, et les apparences sont trompeuses.
Avec un ton alerte et caustique parfois, elle narre également ses voyages, comme celui qu'elle a fait, pendant la première guerre mondiale, traversant les lignes, pour rejoindre, quelques jours, son amant Francis Carco, ainsi que ses séjours dans différentes pensions, françaises le plus souvent, fuyant la maladie qui n'a de cesse de la rattraper. Ses portraits sont cocasses, et ses anecdotes amusantes.
Un recueil inégal, mais qui nous donne à voir le talent du seul écrivain au sujet duquel Virginia Woolf nourrissait une certaine jalousie, considérant qu'elle savait comme aucun autre capter les "instants de vie".


Commenter  J’apprécie          260
Dans la nouvelle « le voyage indiscret », qui donne son titre au recueil, Katherine Mansfield prend le train. Si elle laisse entendre les raisons de son voyage, rejoindre « le petit caporal », elle reste discrète sur les détails. Or, elle se rend à Gray, en Haute-Saône. Elle va y rejoindre son amant : Francis Carco, mobilisé comme vaguemestre. Ils passeront quelques jours ensemble.

Au cours du voyage elle croise des soldats, des mères de soldats... Si eux vont ou rentrent du Front avec les soucis qui vont avec, elle, elle va au-devant du bonheur.

Carco autant que Katherine écrira sur ces quelques jours volés : dans « Les Innocents » ou dans « Souvenirs sur Katherine Mansfield. ». Il en parlera comme d'un « amour voué au désastre ».

Je pense que la nouvelle publiée actuellement est incomplète, qu'une partie a disparue, comme leur correspondance d'ailleurs, ou n'est pas encore publiée.

Le style de Katherine est plein d'humour et d'observations très fines. Un style presque impressionniste.
Commenter  J’apprécie          130
Le volume du Voyage indiscret réunit dix-sept nouvelles fort différentes les unes des autres, tant dans le ton que dans le sujet abordé ou dans la longueur du récit. Certaines nouvelles sont des souvenirs de voyages, graves ou agacés. D'autres sont presque des contes sortis de l'enfance, à mi-chemin entre la rêverie et l'onirisme surréaliste. Il m'arrive d'être un peu désarçonnée par une écriture qui semble « sauter » d'une forme à une autre. Les fulgurances poétiques peuvent laisser la place à un style sec et des petites phrases au vitriol. Comme si Katherine Mansfield était parfois sur la défensive, secrète, mélancolique, mais aussi sauvage, prompte à se couper de ses congénères pour se protéger de leurs agressions.
Il me semble qu'il y a une violence latente dans son écriture qui dérobe au lecteur la douceur des mots, un refus d'abandon qui m'empêche parfois de céder au charme désenchanté de ces chroniques douces amères. Même les contes dont la trame se tisse souvent autour d'un enfant (Comment Bouton de Perle fut kidnappée, Conte de fée de banlieue) déroulent leur petite musique sur un fond de notes discordantes, comme si Katherine Mansfield nous refusait la magie des univers parallèles où pénètrent ses personnages en invoquant en sourdine la cruauté de la réalité.
Commenter  J’apprécie          50

Le Voyage indiscret / Katherine Mansfield
Dix-sept petites nouvelles très différentes pour un recueil de deux cents pages avec pour constante un style remarquable pour évoquer des instants de vie sans doute autobiographiques sous forme de croquis littéraires, avec humour et fantaisie ou détresse et angoisse. La Casquette noire m'a particulièrement séduit : comme s'il devenait pour la jeune femme qui s'exprime impossible d'aimer un homme qui portât une casquette au lieu du chapeau habituel. La première nouvelle le Voyage indiscret donne son titre au recueil ; elle conte le voyage en train de l'auteur pour rejoindre son amant Francis Carco. Comme l'ont dit certains exégètes, il semble que cette nouvelle ait été tronquée et qu'elle est de ce fait incomplète. Pour les autres nouvelles, chacun y trouvera un moment qui touche comme dans La prise de Voile ou Cette fleur. Un moment de lecture tranquille.
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Le soleil dardait à travers la verrière de la gare de longs rayons bleu et or ; un petit garçon allait et venait le long de la rame avec un panier de primevères. Il y avait quelque chose chez les gens - chez les femmes surtout - quelque chose de paresseux et pourtant d'ardent. Le jour le plus émouvant de l'année, le premier vrai jour de printemps avait découvert sa délicieuse beauté tiède, même aux yeux de Londres. Il avait mis de l'éclat dans chaque couleur, un nouveau ton dans chaque voix, et les gens de la ville marchaient comme s'ils possédaient de vrais corps vivants sous leurs vêtements, avec de vrais coeurs vivant pompant un sang alerte.
Commenter  J’apprécie          510
Ce que tu as essayé de faire, depuis que tu m'as épousée, c'est d'obtenir ma soumission, de me transformer en ton ombre, de te reposer sur moi si complètement que tu n'aurais qu'à me regarder pour lire l'heure exacte inscrite sur moi d'une manière ou d'une autre, comme si j'étais une pendule. Tu n'as jamais été curieux de moi, tu n'as jamais cherché à explorer mon âme. Non, tu voulais que je m'établisse au rythme de ton existence paisible. Oh! Comme ton aveuglement m'a outragée...
Commenter  J’apprécie          430
Depuis qu'il était éveillé, il s'était senti si bizarre, qu'il n'était pas réellement à l'état de veille complète, mais tout à fait comme dans un rêve. Quelques minutes avant, Edna était un rêve, et maintenant lui et elle rêvaient ensemble et quelque part dans un endroit sombre, encore un autre rêve l'attendait. "Non cela ne peut pas être vrai, parce que je ne peux même pas imaginer le monde sans nous. Je pense que tous les deux, nous sommes deux êtres qui doivent exister tout aussi naturellement que les arbres, les oiseaux, les nuages." Il essaya de se rappeler à quoi ressemblait la vie sans Edna, mais ne put remonter à ce temps-là, qu'elle lui cachait. Edna, avec sa chevelure blond cendré et son sourire étrange, rêveur, le remplissait jusqu'au bord. Il la respirait ; il la mangeait et la buvait. Il marchait dans la vie avec un anneau de lumière - Edna - écartant le monde, ou donnant une touche de sa propre beauté à tout ce sur quoi il se posait : " Longtemps après que vous vous êtes arrêtée de rire, lui disait-il, je peux entendre votre rire parcourant mes veines - et cependant - sommes-nous un rêve ? "
Commenter  J’apprécie          100
Je n'étais pas seule dans le wagon. Une vieille femme était assise en face, sa jupe retroussée sur les genoux, un bonnet de dentelle noire sur la tête. Dans ses grosses mains, ornées d'une alliance et de deux bagues de deuil, elle tenait une lettre. Lentement, lentement elle absorbait une phrase, puis levait les yeux, regardait par la fenêtre, les lèvres tremblant un peu, puis une autre phrase, et encore le vieux visage se tournait vers la lumière goûtant les mots... [...]
Je levai les yeux et attrapai le regard de la vieille femme. Elle sourit et plia la lettre.
« Elle vient de mon fils (soldat) : la première que nous ayons eue depuis octobre, dit-elle. Je la porte à ma bru.
- ... ?
- Oui, très bien, reprit la vieille, faisant tomber sa jupe en la secouant et passant son bras sous l'anse de son panier. Il veut que je lui envoie des mouchoirs et de la ficelle forte. »

2477 – [Le Livre de poche n° 3584, p. 11/13]
Commenter  J’apprécie          90
La mer léchait les piliers de ces quais, comme si elle buvait quelque chose de la terre.
Commenter  J’apprécie          330

Videos de Katherine Mansfield (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Katherine Mansfield
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : « Je ne parle pas français », in Katherine Mansfield, félicité, traduit de l'anglais par J.-G. Delamain, préface de Louis Gillet, Paris, Stock, 1932, p. 57.
autres livres classés : littérature néo-zélandaiseVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (49) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11105 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}