Que se passerait-ils si les Argentins, au cours du régime Videla, arrêtés et emprisonnés, torturés, tués puis abandonnés dans des fosses communes, ne pouvaient trouver un repos éternel et bien mérité ? S'ils étaient obligés de rester là, sous terre, incarnés en leur seule voix, attendant qu'une oreille compatissante puisse les entendre ? Et que cette oreille, ce soit celle de Chiche, un jeune homme attardé, mais seulement léger à ce qu'on dit, qui s'occupe de Rosa, jeune fille hémiplégique, et responsable du poulailler, dans un centre d'accueil pour personnes handicapées ? Et que Chiche avait des petites bêtes dans la tête, pas comme les poux non, mais à l'intérieur de sa tête, qui grignotent ses pensées, surtout quand il pense à sa maman ?
Et s'il y avait un vieux Roberto, qui vient de sortir de prison, dont la vie est brisée ? S'il avait tué la femme qu'il aimait, par jalousie et n'avait plus d'espoir ? Mais qu'avant de partir vers un autre monde, il avait une dernière mission à accomplir ?
Les voix d'en dessous, ce sont les réponses qu'apporte P. Melicchio à ces questions, dans un livre à la fois sans concession et naïf, porteur d'espoir et désespérant, qui mélange la vie de tous les jours dans un triste endroit qui est également un havre de paix et de sécurité pour ses jeunes occupants. Les chapitres alternent la vie de Chiche, à la fois touchante, émouvante et amusante, et le périple de Roberto, empruntant alors au registre de la poésie, de l'introspection et du symbolisme.
La dimension "surnaturelle" est bien amenée, elle parait presque normale dans ce quotidien d'anormalité de Chiche, dont les pensées et souvenirs sont mangées par des petites bêtes qui sont dans sa tête. Peut-être la violence qu'il a connue dans le passé, et qu'il a peur de rappeler à lui, lui permet-il d'être plus sensible à la violence dont d'autres ont été les victimes ?
Que cherchent ces voix d'en dessous, qui viennent de la terre dessous le poulailler ? A savoir qu'elles ne sont pas mortes, qu'elles n'ont pas souffert pour rien. Que le pays a changé. Dans le bon sens. Que la démocratie est plus qu'une idéologie. Que certains de leurs amis d'avant en on réchappé, et témoignent de leur existence. du moins, c'est ce qu'elles croient. Peut-être ne cherchent-elles qu'un peu de reconnaissance, et la paix qui est leur due. En tout cas, P. Melicchio, psychologue et écrivain argentin, nous rend difficile à oublier Ernesto, Fernando, Juan, et Madame Dolores, dont l'enfant lui a été enlevé à sa naissance, et leur destin commun. Ils ont existé, ils ont été assassinés. S'ils pouvaient parler, que nous diraient-ils ?
Un très joli roman qui tient du conte et de la parabole, porteur d'espoir dans un contexte qui en n'est guère pourvu. Une très belle découverte, pour laquelle je remercie la toute jeune maison d'édition lyonnaise Zinnia, spécialisée dans la littérature sud-américaine et Babelio.