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EAN : 9782070757862
336 pages
Gallimard (14/01/2016)
3.75/5   4 notes
Résumé :
Que serait la littérature sans l'apprentissage premier des histoires que les parents lisent aux enfants, avant que ceux-ci ne deviennent capables de lire seuls à leur tour ? La littérature est d'abord une histoire de transmission et de réception qui, tel un objet transitionnel, permet à chacun d'apprendre où passe la frontière entre l'univers intime et le monde réel et extérieur. Parler de la littérature, c'est défendre une zone mise en danger : celle de sa transmis... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Malgré son titre accrocheur et son sous-titre qui l'est encore davantage ("Essai sur une zone à défendre, la littérature"), le livre d'Hélène Martin-Kajman est un livre difficile et qui exige de son lecteur une attention très soutenue. Je ne suis pas du tout un spécialiste du champ de la critique littéraire, ni de celui des pratiques culturelles (dans le cas présent, la lecture), champs à l'intersection desquels se situe cet ouvrage. Mais, sans doute à cause de mon intérêt ancien pour les sites de partage de livres ou de lectures, j'ai été attiré (via un article de Télérama) par ce livre proposant une analyse rigoureuse des modalités de transmission de la littérature et des moyens de sauver cette activité des dangers qui la menace. La complexité du livre et mon absence d'expertise dans ce domaine font qu'il m'est très difficile d'en faire la critique. Je ne vais pouvoir livrer que quelques modestes points de vue qui ne demandent qu'à être plus éclairés si d'autres que moi veulent bien y ajouter leurs commentaires ou leur propre critique.

J'ai été à la fois séduit et déçu par ce livre. J'ai d'abord été séduit par la passion avec laquelle l'auteure défend la nécessité d'un partage de la littérature. le texte n'est rien en lui-même, sa valeur n'est que dans ce lien qui va se tisser entre le lecteur et l'auteur au travers du livre, et éventuellement avec d'autres lecteurs. Des intermédiaires peuvent contribuer à tisser ce lien : le parent qui lit un livre à son enfant, l'enseignant qui explique un texte à ses élèves ou ses étudiants. Curieusement, à aucun moment HMK ne mentionne les blogs ou les sites de partage de lectures qui sont pourtant aujourd'hui (et depuis quelques années) ancrés dans notre vie de lecteurs. Quant aux bibliothécaires et libraires qui sont aussi des médiateurs de la littérature, ils sont quasiment absents de ce livre. Malgré tout, l'auteur a de belles formules pour plaider en faveur de la subjectivité du lecteur et pour dénoncer les analyses scientifiques basées uniquement sur un découpage technique et distancié du texte, faisant fi de ce que cela peut provoquer chez le lecteur, analyses qui tiennent pourtant le haut du pavé dans le milieu universitaire.

Un autre combat de HMK, lié au précédent, est celui en faveur d'une multiplicité des interprétations d'un texte, ce qu'elle appelle le "jeu des figures". Il doit y avoir du jeu dans un texte pour que l'on puisse parler de littérature. Si le texte est "unaire", sans jeu possible sur sa signification, alors ce texte est potentiellement dangereux : il peut alors juste transmettre un traumatisme et blesser ses récepteurs. Malheureusement, les deux exemples que met en avant HKM à l'appui de sa démonstration, le Grand Cahier d'Agota Kristof et La Chèvre de Monsieur Seguin de Daudet, ne sont pour moi en aucun cas des textes "unaires". L'auteure lance un anathème sur ces deux textes (elle y revient régulièrement dans son livre). Si elle avait jeté un coup d'oeil à Babelio, elle aurait vu que le grand Cahier obtient une note de 4/5, pour 472 notes, (plus que Mme Bovary, le Rouge et le Noir ou L'étranger), ce qui laisse penser que ce n'est pas un texte purement "traumatique" et qu'on peut y trouver pour le moins une "bonne part". Par ailleurs, le Grand Cahier est le premier volet d'une trilogie et on ne peut avoir de jugement théorique sur celui-ci sans évoquer les autres volets de la trilogie (La Preuve et le Troisème Mensonge) qui apportent des éclairages différents, y compris sur le premier volet. HKM n'en parle pas et c'est à se demander si elle les a lus. Quant à la Chèvre de Monsieur Seguin, elle a tellement traumatisé HKM qu'elle se refuse à la lire à ses enfants ! Eux seront donc dispensés de "lire dans la gueule du loup". Je ne peux m'empêcher de penser que c'est vraiment dommage de les priver de cette lecture !

HKM appuie la plupart de ses démonstrations sur des oeuvres du XVIIe siècle (Corneille, Molière, Mme de Sévigné, La Fontaine ...). le Grand cahier est la seule oeuvre postérieure au XIXe siècle mentionnée dans ce livre (*) et c'est pour nous la déconseiller très vivement ! Je trouve dommage cette absence la littérature du XXe et du XXIe siècle dans un livre qui pourtant "récupère" dans son titre une expression très actuelle comme "zone à défendre". Quand HMK veut nous montrer un exemple de ce qu'elle considère comme "beau" en littérature, elle cite un article du dictionnaire de Furetière ! J'ai envie de dire : "Allez, Hélène Martin-Kajman, encore un effort pour être zadiste !". Toutefois ses références dix-septiemistes sont souvent très intéressantes. Je signale tout particulièrement son analyse du Bourgeois Gentilhomme qui m'a personnellement beaucoup plu.

Je regrette que HMK ne se soit pas davantage intéressée aux lecteurs dans leur diversité et aux conditions de la lecture dans le monde contemporain. Ce n'est que dans les toutes dernières lignes de son livre qu'elle parle du rôle que peut avoir la littérature dans l'accueil des jeunes immigrés, qui sont aussi des exilés, comme le fut en son temps Ulysse, un des tous premiers héros de la littérature. J'aurais aimé que l'auteur consacre davantage de place à ce type de thématique.

Enfin, en dépit du fait que le livre soit un essai abondamment pourvu de références et de citations qui en rendent la lecture ardue, je trouve rafraichissante la tentative de l'auteur de s'échapper parfois du territoire très balisé du monde universitaire, notamment en nous parlant des réactions de ses deux fils (à qui elle dédie son livre) à telle ou telle lecture. Par ailleurs, la langue, même technique, est belle et j'ai trouvé certaines phrases très savoureuses.

Même si, comme on l'a vu, certains aspects de ce livre me laissent sceptique, j'ai tout même envie d'inviter les passionnés des livres à le lire car il me semble important que des universitaires se penchent avec sérieux sur certaines choses qui (il me semble) nous tiennent particulièrement à coeur, à nous, babeliotes : le partage de nos lectures, la place de ce partage dans la littérature et, également, tout ce qui peut, dans certains cas empêcher ce partage et figer le texte dans une pure répétition traumatique. La littérature a besoin de défenseurs et, zadiste ou pas, Hélène Martin-Kajman est dans notre camp !

(*) Elle cite toutefois "Les villes invisibles" d'Italo Calvino dans sa conclusion.
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La littérature, à quoi ça sert? La question revient sans cesse, même quand on croyait l'avoir évacuée une bonne fois pour toutes. Réponse la plus simple : à rien. Et pourtant, comme l'auteure de ce livre, je continue à lire et à enseigner la littérature. Réponse plus riche : la littérature est une affaire de lien, de rapport à soi, aux autres et au monde, un phénomène transitionnel qui permet de de transformer nos traumatismes en expériences positives sans pour autant les nier. Ce livre transmet, ou mieux, partage quelques lectures vécues, en commençant par celles que l'on raconte aux petits enfants pour finir par celles qu'on analyse en séminaire universitaire. Il montre que les outils formels ne suffisent pas, que le texte, rien que le texte, tel que l'imposait la vulgate structuraliste, cela ne permet pas de rendre l'essentiel de ce qu'est la lecture d'un texte littéraire, pourquoi certains textes nous parlent et d'autres pas. Hélène Merlin-Kajman réinstille un peu de morale, de liberté et de sens dans la littérature. Enfin, serait-on tenté d'ajouter.
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Un très intéressant essai qui nous invite à prendre en compte les affects engendrés par la lecture même si cela ne fait pas très sérieux pour certains théoriciens et qui voit la lecture comme activité partagée (entre mère et enfant, prof et élèves, etc) et la littérature comme espace transitionnel au sens de Winnicott . C'est la création de cet espace qui permet d'éviter que certains textes agissent comme un trauma et empêchent donc la possibilité du sens.
Il s'agit vraiment d'un essai, au sens que Montaigne donnait au mot, une sorte sorte de dialogue avec différents critiques et l'expérience de l'auteur.
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critiques presse (1)
LaViedesIdees
06 février 2017
La fameuse crise de la littérature est en réalité celle de son partage. Une forme d’anesthésie a enferré les études littéraires dans des routines théoriques qui étouffent les réactions du lecteur ordinaire. Hélène Merlin-Kajman pose les jalons d’une « analyse transitionnelle » qui rend justice aux émotions et à l’aptitude à occuper, par le langage, des espaces communs.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
C’est une scène familière. Un enfant prend un livre et le tend à un parent : « Tu me lis une histoire ? » Ou bien c’est l’adulte qui invite l’enfant, ou même le bébé, à regarder avec lui les pages d’un livre. À la maison, à la crèche, chez la nour- rice, à l’école maternelle, il le lui lit même parfois avant qu’il ne puisse en comprendre complètement l’histoire. La voix supplée alors au décalage entre la capacité linguistique du tout petit et le récit : elle exagère les modalités du langage, stylise les émotions, souligne la cérémonie des répétitions et des ruptures. Même le corps du lecteur peut venir à la res- cousse : des gestes peuvent mimer le rythme, accompagner le drame. En somme, le lecteur adulte fait naître autour du livre une sorte de petit théâtre dont le bébé ou l’enfant est l’auditeur et le spectateur.
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"Comme c'est beau !", ou toute autre formule analogue discrètement émise ou discrètement exprimée, traduit la possibilité d'un partage émotionnel en quelque sorte gratuit, un partage qui n'existe pour rien d'autre que ce partage, révélant l'existence d'une sorte de surplus de socialité : socialité inutile, dénuée d'enjeux, qui nous lie sans raison les uns aux autres par un lien sensible éclairant soudain l'espace entre nous, sans autre fin que cette curieuse vibration qui circule et se diffuse par la médiation d'un objet de plaisir perçu en commun et qui réussit, aussi brève que puisse en être l'expérience, à nous faire sortir de nos habitudes, de nos intérêts stratégiques ou de notre apathie.
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Je n'ai jamais pu lire avec plaisir, en étant "tour à tour le loup et la chèvre", La Chèvre de Monsieur Seguin. Si "jouer, c'est toujours transformer des souffrances en plaisir", certains textes "écrasent" ma capacité de jouer, sans doute parce qu'ils me confrontent trop directement à mes propres points de souffrance traumatique et les répètent trop exactement, sans déplacement ni transformation possible : ils opèrent alors sur moi comme le trauma.
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[...] le rire burlesque "unaire", c'est-à-dire celui qui naît pour ne pas jouer, pulvérise l'intimité et détruit le "lien entre passibles" au profit d'un autre lien, le lien entre "endurcis". Mais ce lien ne lie pas chacun : il exclut ceux que le réel affecte, et se nourrit même de leur excès d'affectivité, auquel ce type de rieurs associent de l'indignité. Un certain type d'émotion est forclose, et le "consentiment", inhibé.
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Othello me tient à la frontière du plaisir et du déplasir, ou même plutôt au bord du déplaisir, et sa mise en scène pourra, selon la façon dont elle s'emparera du texte, me faire basculer du côté de l'épouvante, ou au contraire, du côté de la catharsis. Un commentaire critique n'opère pas différemment. Comme critique, comme enseignante, j'ai donc la même responsabilité qu'un metteur en scène.
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Videos de Hélène Merlin-Kajman (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Hélène Merlin-Kajman
Dans le cadre du banquet d'automne "Le travail de la langue" qui s'est déroulé à Lagrasse du 29 au 31 octobre 2016, Hélène Merlin-Kajman tenait la conférence : "Travail de la langue ou éthique de la forme ?"


Hélène Merlin-Kajman née en 1954 à Paris, est professeure en littérature française, essayiste et écrivaine. Ancienne élève de l'École normale supérieure (Paris), puis agrégée de lettres modernes, elle a d'abord enseigné dans le secondaire, puis réalisé une thèse de doctorat sous la direction de Louis Marin, intitulée le Public au XVIIe siècle, entre corps mystique et personne fictive. Elle a créé l'Observatoire de l'Éducation dans le but de discuter des problématiques de la pédagogie et de ladidactique. Membre senior de l'Institut universitaire de France depuis 2009, elle est aussi la créatrice et la directrice de la revue littéraire et culturelle en ligne Transitions, dont le manifeste dit notamment ceci : « Nous jugerons que des oeuvres sont belles et plus que d'autres valent, plus intenses et plus parlantes, plus décisives : nous voulons que les coeurs battent, et qu'ils le disent. » Elle a publié plusieurs romans, dont le Cameraman (Minuit,1983), Avram (Zulma, 2002). Son nouvel ouvrage, Lire dans la gueule du loup. Essai sur une zone à défendre, la littérature, est paru chez Gallimard en 2016.
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