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EAN : 9782366511253
204 pages
Paul&Mike (01/02/2020)
4.29/5   7 notes
Résumé :
À la fin de ce livre, Arnaud Modat meurt par balles sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, sous le regard insolent de Christine Angot. Il est vrai que cela avait plutôt mal commencé... Au cours de la première nouvelle, en effet, cet habile narrateur est prié
de restituer dans les plus brefs délais l'ouvrage Destins Yaourt (Édika, collection La Pléiade) à la médiathèque Olympes de Gouges. La trajectoire reliant ces événements dramatiques, bie... >Voir plus
Que lire après La démence sera mon dernier slowVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Exceptionnellement, je vais déroger à la règle que je me suis assigné à moi-même de faire des notes de lecture concises, afin de ne pas accaparer le temps précieux de babéliotes pressés. Celle-ci sera donc un peu plus longue qu'à l'ordinaire, d'avance je m'en excuse.
Arnaud Modat n'est pas un grand romancier, comme le sont Guillaume Lévy ou Marc Musso, et j'en veux pour preuve que jamais je n'ai trouvé une de ses oeuvres en tête de gondole de l'allée centrale de Carrefour (juste avant celle du papier hygiénique triple épaisseurs en pack de 48). Et en plus Arnaud Modat n'est pas un grand romancier, tout bêtement, parce qu'il écrit des NOUVELLES, il est donc un grand nouvelliste doublé d'un écrivain talentueux, mais hélas confidentiel comme on dit dans le milieu journalistico-littéraire. Car en France, la nouvelle n'est pas un genre reconnu à sa juste valeur et c'est bien dommage, comme disait ma grand-mère, qui, elle lisait plutôt Henri Troyat, mais c'était au 20ème siècle.
Dans la première (1) nouvelle qui compose cet inénarrable recueil, le narrateur se voit contraint de porter secours à une jeune femme atteinte d'une crise d'épilepsie, alors qu'il se rendait à la médiathèque de Strasbourg pour y restituer le non-moins inénarrable album de B.D. : Destins Yaourt d'Edika. Et c'est ici précisément que je vous le dis sans sourciller : Arnaud Modat est à Edika ce que Guillaume Lévy et Marc Musso sont à Mickey Parade (je tenais absolument à placer cette phrase et je pense que l'endroit est adéquat). Car, partant d'une aussi banale situation, le nouvelliste nous emmène en une vingtaine de pages vers des contrées littéraires inexplorées, avec un humour et une maestria qui lui sont propres, quand nos deux grantécrivains nous auraient bassiné des inepties ramollies sur trois cent cinquante pages (entre parenthèses ; pourquoi suis-je si méchant avec ces deux là, que je n'ai jamais lu ? Qui sont-ils pour mériter gratuitement mon sarcasme vachard (mais modeste), plutôt que mon indifférence flegmatique ? Et bien pour répondre à ta question schizophrène ; c'est pour équilibrer toutes les choses sympas que j'ai à dire à propos de l'objet de cette chronique).
D'autres nouvelles de ce recueil désopilant, ont aussi pour sujet des épisodes du quotidien : Un ado qui tombe amoureux de sa monitrice d'auto-école, ou plus prosaïquement, qui a une furieuse envie de la baiser (2) ; Un chiard qui fout la merde entre ses parents sous prétexte qu'il n'aime pas les frites (8) ou la disparition inexpliquée du ballon lors d'un match de rugby (6).
Certes, la nouvelle qui donne son titre au recueil (3) est un tantinet « politiquement incorrecte », et ne plaira pas aux lecteurs de ... Non, elle ne plaira pas à tout le monde c'est sûr ; mais il faut dire aussi que cette notion de « politiquement incorrecte » est passablement subjective. « La démence sera mon dernier slow » est littérairement très correcte et c'est là l'essentiel. Ce titre d'ailleurs, n'était pas, à mon humble avis, le meilleur choix, j'eusse préféré par exemple « Un plongeur né » (7), plus représentatif de l'ensemble, plus cohérent aussi, mais je chipote.
Je dois maintenant le confesser, j'ai choisi ce bouquin lors de la dernière Masse Critique parce qu'il y a quelques années j'avais rencontré son auteur, et qu'il m'avait dédicacé un autre de ses recueils de nouvelles intitulé La Fée Amphète, tout aussi épatant que celui-ci. C'était à l'ombre des tours du château de Chamerolles dans le Loiret, lors de la Fête de la Nouvelle ; Ce type sympathique m'avais semblé sain de corps et d'esprit, visiblement sportif et néanmoins fumeur (ne voyez là aucun jugement de valeur, je suis moi-même assez sportif). En fait Arnaud Modat ne « ressemble » pas à ses écrits, sinon il serait vêtu d'un uniforme de pompier arlequinesque et coiffé d'un entonnoir ... et serait sous acide dès le petit-déjeuner.
Mon texte préféré de cette compilation raconte une merveilleuse histoire d'amour entre un tétraplégique et une pute slovaque qui n'avait (jusque là) jamais vu la mer (5), et après ça vous pouvez oublier Intouchables ; parce que précisément c'est un texte touchant d'où émane une grande tendresse ... Si, si.
Dans le dernier texte (11), que l'on peut qualifier d'onirique, Arnaud Modat se met en scène, on comprend qu'en effet, il n'a pas d'entonnoir sur la tête mais qu'il roule en bicyclette comme vous et moi. On apprend aussi qu'il chérit John Fante (+1 bon point) et Thom Yorke (-1 point (je n'ai jamais aimé Radiohead, ils me foutent le cafard ; je préfère Francky Vincent car la joie l'habite). Christine Angot apparaît aussi dans cette histoire, elle y tient le second rôle qu'elle mérite (C. A. ... Vous voyez de qui je veux parler ; Cette « femme de télévision » ... mais si ... elle est passée à Fort Boyard, là, je la vois encore ... avec sa tête dans un bocal, des mouches à merde bombinant autour de son visage ... Quoi, c'était pas elle ? Mea culpa, ma culture télévisuelle, c'est vrai, laisse à désirer).
Pour finir, car toutes les bonnes choses ont une fin, je vous direz que ce recueil est fait d'une prose impeccable et souple, dont on ne voit pas les ficelles. Qu'un désespoir joyeux et une saine ironie poudroient sous la rigueur du propos d'où on sent poindre le vécu. Voila, 5*, donc. Allez, salut.
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Nouvelles d'un avenir sans avenir

Arnaud Modat aurait pu emprunter à Michel Audiard le titre de son nouveau recueil de nouvelles «Comment réussir quand on est con et pleurnichard», car lui aussi aime dézinguer en faisant rire.

Arnaud Modat récidive. Après nous avoir régalé en 2017 avec Arrêt non demandé, un premier recueil de nouvelles, le voici de retour avec La démence sera mon dernier slow. Mais avant d'en arriver à la nouvelle qui donne son titre au recueil, procédons par ordre chronologique.
La première nouvelle s'intitule Les limites de la philosophie chinoise et met aux prises un jeune homme qui se décide enfin à rendre ses ouvrages empruntés à la médiathèque et Sophie, une belle jeune fille qui s'effondre dans ses bras, victime d'une crise d'épilepsie. En voyant partir l'ambulance qui la conduit à l'hôpital, il voit aussi ses rêves s'envoler…
Un chef d'oeuvre d'humour juif est l'histoire d'un lycéen acnéique qui aimerait baiser et imagine les stratagèmes – foireux – pour y parvenir.
C'est là qu'arrive La démence sera mon dernier slow qui, contrairement à ce que vous pourriez imaginer raconte le premier jour de classe de Masturbin. Oui, je sais, ce prénom peut faire sourire. Mais le but de son père est atteint: on n'oublie pas son fils. En revanche lui pourra oublier sa rentrée, car elle n'a pas vraiment eu lieu. À peine arrivé en classe, son père s'est embrouillé avant de repartir furieux avec son fils. Et alors qu'il se détend avec une pute décatie, Masturbin est aux bons soins de Mélanie à la médiathèque. Un endroit très prisé dans ce recueil, vous vous en rendez compte.
Vient ensuite un interlude dialogué qui nous propose un échange savoureux entre un organisateur d'enlèvements qui généralement obtient une rançon et un homme dont la découverte d'un orteil de son épouse dans son réfrigérateur laisse… froid. Disons encore un mot à propos de Death on two legs, l'histoire d'un paraplégique parti découvrir la mer et qui se retrouve assez loin du rivage, surpris par la marée. Suivront un match de rugby fatal, un second interlude dialogué, deux portraits de femmes bien différentes mais qui toutes deux vont se retrouver seules, sans mari et sans chien, avant de finir sur le récit bien déjanté d'une chute à vélo aux conséquences funestes.
On l'aura compris, l'imagination débridée d'Arnaud Modat continue à faire merveille, soutenue par un humour qui s'appuie sur des comparaisons farfelues et le télescopages d'images à priori sans rapport. Si on s'amuse beaucoup, on sent toutefois la politesse du désespoir poindre ici. Celle d'un avenir incertain, d'une société en proie au doute. D'ailleurs à la fin du livre, il meurt sous le regard de Christine Angot, convoquée à Strasbourg pour apporter son commentaire éclairé.
Déjà dans ma première chronique j'émettais le voeu que le nouvelliste se lance dans un roman, suivant par exemple les pas de Florent Oiseau. J'aimerais beaucoup l'entendre dire Je vais m'y mettre car je reste persuadé que sur la longueur, son dernier slow pourrait se transformer en valse!


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Déjanté, dérangeant, limite délirant, sont les qualificatifs qui me viennent à l'esprit concernant ce recueil de 11 nouvelles, reçu par le biais d'une Masse Critique Littérature (merci Babelio et les Editions Paul et Mike, dont j'ignorais l'existence avant). Bon, le résumé me laissait entrevoir quelque chose qui sortirait des sentiers battus, mais là quand même, j'en suis restée comme deux ronds de flan...
Difficile de résumer des nouvelles, surtout aussi insolites et variées, mais elles ont en commun de mettre en scène des personnages et des situations qui, sous des dehors de banalité parfaite, partent rapidement et totalement en vrille. Exemple : dans "Frais de porc (inclus)" la n°10 et la plus courte, ça démarre sur une banale dispute de couple, la femme s'enferme dans sa chambre pour y pleurer tranquillement, mais au bout de quelque temps l'époux affamé souhaiterait qu'elle en sorte pour lui faire à manger. Rien de très original, tout ça, sauf que...quand la femme claque la porte et s'en va, on découvre l'origine de la dispute, et on est plié de rire (enfin moi en tout cas). En 4 pages, Arnaud Modat nous invite à franchir la frontière entre le quotidien et son monde totalement incorrect où il se permet tout ce qui ne saurait être dit et fait dans la vraie vie. Cet humour grinçant et sans filtre se retrouve dans chacune des histoires, surtout dans "La rançon" (n°4), où monsieur G. est appelé par un démarcheur téléphonique de la société "un seul être vous manque" qui va tenter de lui extorquer une rançon, ou plutôt une "soustraction à enjeu lucratif" comme il préfère l'exprimer, pour récupérer sa femme. Un orteil de celle-ci a été placé dans le frigo de monsieur G., à titre de preuve de l'enlèvement, ce qui perturbe quelque peu son repas. le problème, c'est qu'il ne tient pas vraiment à ce que Diane G., 47 ans, 58 kilos, bipolaire, revienne, ce qui n'arrange pas les affaires de cette société un brin particulière ! Ou encore dans "Pendant ce temps-là, au Darfour" (n° 8), où l'on assiste, hilare, à un dialogue surréaliste entre Papa, Maman et Jean-Timéo le fiston qui ne veut pas manger ses frites :"tu ferais mieux de la manger, Jean-Tim. Ça se fume pas, une McCain ! Il est couillon quand même...". Il finira par manger, mais pas sa frite, pendant que Maman se bourre la gueule en essayant de lui enseigner le conditionnel et que Papa tente de lui inculquer des rudiments de culpabilité judéo-chrétienne.
Voilà pour les plus brèves, mais il y a également des textes plus développés, comme "Les limites de la philosophie chinoise" (n°1) où l'auteur décrit, à la 1ère personne, le sauvetage de Sophie, en proie à une crise d'épilepsie sur les marches de la médiathèque Olympe-de-Gouges, bien connue des strasbourgeois et de moi-même. N'écoutant que son courage et son brevet de secouriste, il vole au secours de la malheureuse, soutenu par les conseils et les commentaires des passants, qui ont chacun leur idée de ce qu'il convient de faire. Heureusement, il est là pour distribuer les tâches et coordonner la délicate opération. Parviendra-t-il finalement à restituer "Destins yaourt", célèbre oeuvre d'Edika, à la médiathèque ? Si tu veux le savoir, lis l'histoire ! Idem si tu veux découvrir si Arnaud qui "aime le rock mongoloïde désespéré", va perdre sa virginité avec Sabine, sa monitrice d'auto-école, ou avec Tiffany, page 48 et 49 du catalogue des 3Suisses, dans "Un chef-d'oeuvre d'humour juif " (n°2). Si tu préfères les ambiances plus tragiques, va faire un tour en bord d'océan avec un jeune homme atteint de sclérose en plaques, qui se réveille en plein lendemain de cuite au moment où la marée monte, déjà à moitié immergé. Suspense : Luna, sa sex-thérapeute, l'a-t-elle abandonné à son triste sort ? on suit l'affaire dans "Death on two legs" (n°5, le titre est un morceau de Queen).
Et pour finir en fanfare, dans "Continuer ou non à se laver les dents" (n°11) nous retournons à Strasbourg où tout avait commencé, mais cette fois près de sa superbe cathédrale (désolée, je suis un peu chauvine). Les rues y sont pavées et souvent encombrées de touristes, ce qui va causer l'accident du narrateur cycliste. Accident fatal pour le vélo, mais qui va entraîner toute une série de conséquences ubuesques pour son propriétaire, ponctuées par des rencontres avec : Her Keller, son ancien prof d'allemand de 4ème, un garçon de café en rollers, un orateur prophète de l'apocalypse qui n'est pas un inconnu, des personnages de roman, un militaire de l'Opération Sentinelle qui se sent sous-employé, Cyril, ex-responsable de plate-forme téléphonique reconverti en présentateur-animateur de fusillade et pour finir en beauté (!), la romancière-chroniqueuse Christine Angot. Je n'en dirais pas plus, n'insistez pas !
Un conseil : ne vous cassez pas la tête à chercher le rapport entre les titres et les histoires, à mon avis il faudrait creuser dans le cerveau de l'auteur pour le trouver, mais laisser-vous emporter sans complexes dans son univers loufoque et borderline. Tout ne m'y a pas plu sans réserve, mais je ne regrette franchement pas le voyage, même si j'ai du le faire en plusieurs étapes, entrecoupées d'autres lectures histoire de m'aérer un peu les neurones entre deux nouvelles. Une chose est sûre, quand j'ai coché ce titre, je ne m'attendais pas à cette découverte plus que surprenante.
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Ce recueil de nouvelles met en scène des personnages plus singuliers les uns que les autres – originaux, anticonformistes, quelque peu dérangés parfois aussi ou subissant le dérangement momentané ou définitif d'autrui. Ainsi ce pauvre homme victime d'une odieuse tentative de chantage (non je ne spoilerai pas). Ainsi ce petit gars délicieusement prénommé Masturbin (n'insistez pas). Ainsi ce pauvre Arnaud Modat décédant finalement sous le regard bienveillant de Christine Angot à cause d'une banale double crevaison à vélo (oups, j'ai spoilé). Ainsi cette brave dame vendue par son mari sur Ebay (de toute façon c'est écrit sur la quatrième de couverture).
Ah là là, l'est pas joli-joli l'univers d'Arnaud Modat (tiens, encore lui), mais si on le découvre avec des yeux émerveillés de second degré et pétillants de subversion, on s'amusera comme une épileptique sur le parvis de la médiathèque Olympe de Gouges (à Strasbourg, bande d'ignares).
Alors moi je dis : « D4, touché coulé ». Et merci Arnaud Modat. Ah non il ne peut pas me lire, il est mort à la fin. Où avais-je la tête ?

(Merci à Masse Critique et aux Editions Paul & Mike de m'avoir permis de découvrir cet ouvrage.)
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La démence sera mon dernier slow porte le titre d'une des nouvelles qui le compose, et si ce choix de titre est très élégant, et correspond d'ailleurs assez bien à l'ambiance générale du recueil, assez morbide et dingo, ce n'est pas ce récit que j'ai préféré. L'auteur fait dire à un personnage à propos de cette nouvelle « un texte démentiel et malaisant », et sur le deuxième terme au moins je suis assez d'accord. Je n'ai pas bien compris le but de la manoeuvre, si ce n'est d'essayer de choquer pour choquer, une posture moins subtile que celle adoptée dans la plupart des autres textes, qui varient plus habilement les tonalités.

En effet, si l'ensemble du recueil reste sous l'égide de la noirceur et de l'absurde, comme l'auteur strasbourgeois nous y a habitués, on trouve tout de même un certain panel de sujets abordés. Les titres des textes, presque toujours repris d'une citation de la nouvelle correspondante, sont de bien peu de secours pour comprendre de quoi il est question, et apparaissent plutôt comme des fausses pistes. Ce qui produit un effet assez amusant : à chaque nouveau texte, j'ai essayé de deviner comment Arnaud Modat allait réussir à retomber sur ce titre. Mais l'auteur a assez d'imagination pour avoir toujours réussi à déjouer mes suppositions – il faut croire que je n'ai pas l'esprit assez farfelu, mais j'aime assez qu'un livre fasse travailler mes méninges. Surprenantes, les nouvelles le sont certainement, et certaines sont particulièrement bien construites, laissant dans l'ombre un élément clé pour le révéler aux lecteurs/trices au moment opportun pour produire son petit effet (« Death on two legs » par exemple). Dans la forme également, l'auteur sait tromper nos attentes, alternants récits, monologues, dialogues, personnages semblant être ses doppelgängers et autres narrateurs/trices. On retrouve néanmoins assez régulièrement ses avatars masculins un peu mous et désabusés qui parcouraient déjà Arrêt non demandé.

Les deux textes que j'ai préférés sont assez radicalement opposés : « Les limites de la philosophie chinoise », qui ouvre le recueil, m'a fait éclater de rire toute seule dans le métro (une constante avec les livres d'Arnaud Modat, décidément), par ses formulations alambiquées et son sens du décalage très finement manié. Quant à « La vilaine propagande des vendeurs de croisière », il nous offre un beau personnage de femme âgée, assez rare dans la fiction, et rappelle par son lien humain-animal le bizarre Nécrologie du chat d'Olivia Resenterra. J'ai beaucoup aimé la voix d'Agathe, sa poésie terrienne et sa résolution dénuée de sentimentalisme.

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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
INCIPIT
Les limites de la philosophie chinoise
Je disais: «Regardez-moi, Mademoiselle.»
Je disais même: «S’il vous plaît, continuez à me regarder…»
Je me montrais direct parce que la fille était vulnérable et, à vrai dire, sur le point de tomber dans le coma mais c’était l’essentiel du message que je souhaitais transmettre, en réalité, à toutes les femmes que je rencontrais à cette époque. Sophie ouvrait les yeux de temps à autre mais cela ne durait jamais assez longtemps pour que je puisse ajuster mon sourire le plus touchant. «Mademoiselle, est-ce que vous entendez ma voix?» La trouvez-vous sensuelle? Potentiellement radiophonique? Ne vous transporte-t-elle pas déjà vers les états émotifs d’un siècle disparu? J’avais mille questions à lui poser mais elle préférait convulser, plutôt que de se livrer à moi.
Je pensais: «Ne dépouillez pas la femme de son mystère» (Friedrich Nietzsche).
Nous nous trouvions sur les marches de la médiathèque municipale. La fille, Sophie, ne m’était pas littéralement tombée dans les bras. Elle avait d’abord esquissé les pas d’une danse connue d’elle seule, puis elle avait perdu la vue. Son attitude générale avait certainement attiré l’attention de ceux qui, comme moi, fumaient là une cigarette. Encore une de ces nanas défoncées au crack, avais-je pensé, faisant montre comme toujours d’une belle ouverture d’esprit. J’étais pourtant loin d’être irréprochable.
La ville de Strasbourg m’avait en effet adressé une demi-douzaine de courriers de relance et menaçait à présent de me traquer jour et nuit jusqu’aux contrées les plus sauvages si je ne retournais pas dans les plus brefs délais un certain nombre de documents empruntés à la médiathèque deux années plus tôt (sur un coup de folie). Sachant le bâtiment climatisé et meublé d’intrigants fauteuils design, je profitai donc d’une journée caniculaire de juillet 2008 pour régulariser ma situation auprès de la culture et des arts. Il était intolérable, en effet, que je prive indéfiniment mes contemporains assoiffés de connaissance de 1064 exercices pour bien débuter aux échecs, par Stéphane Escafre, aux éditions Olibris, et de Destins Yaourt, bande dessinée signée Édika chez Fluide Glacial. Inquiet de l’accueil que l’on me ferait suite à la restitution outrageusement tardive de ces pièces, je fumais une dernière cigarette sur le parvis, dans une sorte de couloir de la mort mental, quand Sophie s’était subitement trouvée mal. La pauvre avait d’abord chancelé, puis son visage s’était contracté de manière étrange, ses épaules avaient été secouées de spasmes, enfin elle avait placé ses mains tremblantes devant elle, manifestement aveuglée, craignant de percuter un mur.
Habitants d’une ville moyenne, rompus à l’indifférence, nous ignorons quel comportement adopter lorsqu’un de nos concitoyens se trouve dans une situation de détresse absolue. Tandis que Sophie expérimentait les premières manifestations de son malaise, nous étions une dizaine de badauds à l’observer du coin de l’œil, sans oser prendre part d’une manière ou d’une autre aux tribulations déroutantes de cette jeune femme qui, à y regarder de plus près, n’avait rien d’une nana défoncée au crack (je peux au moins me vanter d’être un homme capable de réajuster son jugement). Chacun attendait, il me semble, que son voisin immédiat sorte du rang et s’écrie : « Écartez-vous. Il se trouve justement que je suis l’un des plus grands spécialistes européens des affections neurologiques ! » Mais personne ne leva le petit doigt pendant une longue minute au cours de laquelle il paraissait de plus en plus clair que Sophie courait un sérieux péril. Nous prenions le temps, sans doute, d’analyser la situation sous ses aspects les plus étranges, alors même que les mots crise d’épilepsie carabinée clignotaient un peu partout autour de la jeune femme. Nous étions des gens sans histoires, préférant assister à une suffocation publique plutôt que de nous illustrer aux yeux d’une foule critique. Mais alors que Sophie menaçait de s’écrouler purement et simplement sur les marches de la médiathèque Olympe de Gouges, il me revint à l’esprit que j’avais passé mon brevet de secouriste deux semaines plus tôt et que je m’exposais par conséquent à des poursuites judiciaires aggravées en cas de non-assistance à personne en danger. Il m’apparut alors que je savais exactement quoi faire.
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