« Dans toute vie, un jour vient le besoin de confier ses secrets. » La promesse est tenue : ce livre révèle les principes de la pratique d'éthnopsychiatrie telle que
Tobie Nathan l'exerce depuis cinquante ans. Dans le cheminement autobiographique de l'apprentissage des thérapeutiques traditionnelles par ses nombreux voyages et observations ethnographiques en Afrique, dans les Caraïbes, dans ses souvenirs des rites ésotériques pratiqués par sa grand-mère paternelle au Caire durant son enfance, par son expérience clinique qui se déroule conjointement à des collègues d'origines et horizons divers, l'auteur accorde une place importante à ces éléments de croyance si étranges et difficiles à accepter par le rationalisme qui préside à notre mythologie médicale occidentale : les êtres, les puissances invisibles, les objets animés et « chargés » par les rituels et les sacrifices, les fétiches, les amulettes... La question transcende ici leur capacité thérapeutique, notamment vis-à-vis de patients appartenant à d'autres cultures et d'autres systèmes symboliques : dans une sorte de méta-mythologie, Nathan, qui embrasse le postulat fort qu'aucun thérapeute ne peut guérir sans agir, c'est-à-dire sans se mettre en relation avec les « puissances invisibles » dont il sert de médiateur, propose des analogies inédites entre ces « concepts » et des éléments de notre modernité : ainsi le Coronavirus est conçu comme un « être », une « puissance », et les objets informatiques connectés – notamment le smartphone – sont conçus comme des fétiches intelligents ; ces deux analogies peuvent nous contraindre à concevoir de manière inédite le vivant et l'intelligence.
Le discours, toujours très accessible et extrêmement lisible, mêle donc des réflexions métaphysiques, des récits thérapeutiques et des observations ethnographiques, des souvenirs personnels et une myriade de connaissances venant surtout de la tradition et de l'herméneutique juives. La mise en page de l'ouvrage, très soignée, accorde une place importante à des aphorismes, phrases contenues dans le texte et reprises en exergue sur une page entière (ce qui est surprenant mais non inutile) et à un grand nombre de belles illustrations photographiques en noir et blanc. le volume se clôt sur un hommage au maître que Nathan a toujours vénéré, jamais renié :
Georges Devereux. Il nous accompagne en voyage en Roumanie dans une recherche généalogique du « nom » (le nom de famille) occulté par son maître, qui dissimulait également son identité juive hongro-roumaine. Cet ouvrage de synthèse et de mémoire constitue, me semble-t-il, la meilleure source d'« initiation » à la pensée, à la pratique clinique et même à cet essence de la personne du maître transmise au disciple qui constitue, selon lui, le fondement de cette sorte spécifique de transmission de savoirs et de questionnements. En cela, il s'agit donc d'un ouvrage fondamental.
Table :
I. Une vie à la folie :
- Focale
- Apprendre et transmettre
II. Les êtres :
- le si plein et le presque vide
- Clinique de la transe
- L'assomption de Sarah
- Les esprits du Caire, années 1950
- Essaouira, capitale mondiale des djinns
- Un être invisible, le Covid-19
III. Les choses :
- Objets animés, avez-vous vraiment une âme ?
- La légende du Golem
IV. Les fétiches :
- Boli, le placenta des événements
- Une vie avec le fétiche
- Puissance des objets actifs
V. Les amulettes :
- Lilith et les amulettes juives
- Modernité des objets actifs
VI. Les ancêtres :
-
Georges Devereux, mon maître
- Voyage à Lugoj
- Soigner avec tous les dieux
- Faire de l'étranger un complice.