Michel OnfrayLes raisons de l'art
Je suis un passionné d'art moderne, et je fus un passionné de
Michel Onfray, à l'époque du « désir d'être un volcan » (1996) jusqu'à son livre sur Camus (2016). 20 ans de compagnonnage, mon livre sur Camus est même dédicacé…Depuis, il s'est un peu perdu, comme en témoigne son dernier ouvrage sur le Président Macron. Son idéologie a pris le pas sur sa pensée…
Mais bon, un ouvrage sur l'art fait par
Michel Onfray doit quand même valoir son pesant de cacahuètes. Même si on sait, avant même d'ouvrir le livre qu'il ne parlera « que » d'art pictural, ne serait-ce que parce que
Onfray déteste la musique, en fait, plus précisément, il est « a-musique », comme les chats…ce qui ne l'a pas empêché d'écrire dessus mais sur quoi n'a t il pas écrit ?
Pas grave, l'art pictural, c'est déjà très bien. Même si je suis démenti (provisoirement?) dès la page 6 où
Onfray parle de Boulez…tient, tient…bon cela ne se réitérera pas ou si peu…
J'ouvre donc le livre, en ce 11 mars 2022 (il est 13h30) et j'espère qu'
Onfray a su mettre de côté
La Boetie et Proudhon pour nous parler d'art…déjà, le livre est dédié à Geneviève et
Robert Combas. J'adore Combas ! Cela augure bien. A noter qu'au final aucune oeuvre de Combas dans le livre ce qui n'est pas très correct.
La citation de la page 4 sur l'art contemporain est entre guillemets. Elle n'est pas fausse, mais elle n'est pas sourcée…je n'aime pas ça…
Le postulat d'
Onfray est assez discutable (mais en même temps c'est
Onfray !). A la page 10, il indique que « les hommes préhistoriques (…) étaient des artistes du fait même de cette relation entretenue avec le Beau ». Il fait donc le lien entre l'Art et le Beau et indique que les détracteurs de l'art contemporain estiment que ce n'est pas de l'Art car cela ne reflèterait pas le Beau. C'est questionnant, car le Beau est de toute façon inhérent à une époque, il a ses repères qui varient selon les époques, les lieux, le contexte…si l'Art contemporain est critiqué, c'est moins à notre sens sur son approche du Beau que parce qu'il laisse accroire que « tout est Art », que n'importe qui peut être artiste et relativise la pensée et le mouvement artistique. On est rassuré à la page 14 où
Onfray reconnaît que ce lien entre « Art et Beauté » n'est arrivé qu'a posteriori et non a priori. Son postulat évolue donc et il émet l'hypothèse que l'art reflète avant tout l'élan vital, le lien entre l'absence et la présence. Ce serait donc le rapport au temps qui guide l'art, plus que le rapport au Beau. Voilà qui est sans doute mieux même si c'est affirmé comme une « trouvaille » étonnante, alors que bon…c'est quand même la base de penser que l'Art est une façon pour l'homme de conjurer son côté mortel (
Malraux).
Intéressant de noter comme le fait
Onfray (page 23) que, s'agissant des statues grecques, « la peau, l'oeil, l'iris, la pupille, les cheveux, les ongles apparaissaient dans leur vérité chromatique »; je l'ignorais…ainsi les statuts des grecs étaient en couleur ! Étonnant.
Tout aussi intéressant d'opposer la statuaire grecque des Dieux à la statuaire romaine qui reflète avant tout la réalité des hommes, ce qu'
Onfray appelle « le vérisme du temps figé » (magnifique et expression).
Du IVème siècle au XVème siècle, le postulat d'
Onfray est que l'Art cherche avant tout à projeter les figures de Jésus et fige le temps en un avant/pendant/après. Sa démonstration, même si elle vient d'un athée qui aime « manger du curé » est assez convaincante.
Puis vient le temps de la Renaissance;
Onfray s'attarde beaucoup dans ce chapitre sur les portraits de Simonetta Vespucchi (par Boticelli) puis le portrait de Louis XIV à l'âge de 63 ans par
Hyacinthe Rigaud. C'est le moment de l'allégorie.
Un peu plus tard, toujours au XVIIIè, vient le temps de l'immanence, des tableaux de nature morte. le peintre symbole de cette époque est selon
Onfray, Chardin que je connais mal.
Dans un chapitre sur la ressemblance,
Onfray évoque les débuts de la photographie, avant, étonnement d'évoquer Turner et les impressionnistes, qui ne voulaient rien moins que de « ressembler » à l'objet peint, préférant jouer sur la lumière.
Onfray le dit d'ailleurs, mais pourquoi dire cela dans un chapitre sur la « ressemblance » ? Au passage, pour celui qui veut connaître l'origine du mot « pompier » s'agissant de l'art, confer la page 63 !
Onfray consacre ensuite 20 pages à l'exposition organisée par les Nazis en 1937 sur l'art « dégénéré »; on sent la verve politique revenir par la fenêtre…passage trop long à et qui gâche tout ce qu'il aurait pu présenter sur la période la plus récente.
Puis dans le même chapitre, il parle d'arts premiers en indiquant que tous les artistes de l'époque étaient férus de l'art africain. Je reste dubitatif sur cette approche, qui semble exagérer la portée de l'art africain sur les mouvements picturaux du XXè siècle…concession au wokisme peut être ?
Onfray consacre ensuite plusieurs dizaines de page à l'art des Nazis et des Bolchéviques, mis dans le même bain. C'est un peu long, car est-ce vraiment de l'art ? Cela lui permet cependant de sortir de la peinture pour entrer dans le cinéma (Eisenstein) et dans la musique, où il évoque la seconde école de Vienne (Schoenberg, Webern, Berg) et le dodécaphonisme. Bien sûr, au fronton de ses exemples le fameux 4'33 de
John Cage…
Onfray ne juge pas d'ailleurs, même s'il évoque « l'impasse de ce morceau »…ce sera le seul moment où il parle de musique et on regrette qu'il n'y ait pas eu une véritable approche de la musique contemporaine : Debussy sans doute mais Satie très certainement !
Puis c'est le moment de l'abstraction, avec Kandisky, Picasso,
Hans Hartung, Georges Mathieu. Pas sûr, contrairement à ce qu'affirme
Onfray que ce mouvement se soit développé spécifiquement par rapport à la photographie, mais c'est une thèse comme une autre. Il aurait été intéressant d'avoir le point de vue de Soulages sur la question, puisque
Onfray l'a rencontré et qu'il nous décrit assez inutilement sa magnifique maison. Mais on ne l'aura pas.
Page 124,
Onfray affirme (et nous aussi) que
Marcel Duchamp « invente l'art contemporain ». C'est tellement vrai ! Il invente aussi quelque part les imposteurs de l'art contemporain et le marketing…bon pour la chronologie on repassera, pourquoi Duchamp apparaît après les chapitres consacrés à l'art des dictatures (si on peut dire…) ?
Onfray parle de « coup d'Etat esthétique », j'adore la formule.
A partir de la page 150,
Michel Onfray tente une expérience risquée : il veut « distinguer l'oeuvre de qualité » et en définir les critères…très hardi ! Cela dit ces pages (150-151) sont bien écrites et très objectives. On se prend à rêver qu'
Onfray parvienne à avoir une discours aussi nuancé, cherchant à distinguer le marché qui corrompt de l'art qui crée, dans les autres sphères de son « expertise ».
Pour
Onfray, il y a deux critères : la forme plastique et la force du message. On peut critiquer cette approche qui met de côté la sensibilité de chacun, son propre parcours (le « regardeur » qu'évoquait Duchamp), bref sa subjectivité. Comme si une oeuvre devait forcément avoir une forme plastique. Et comme si une oeuvre devait forcément avoir un message. Rien n'est plus faux et c'est bien ce qui caractérise l'Art moderne. Les pages qui suivent sont cela dit brillantes, qui cherchent à distinguer les suiveurs de Duchamp de ceux qui trompent le monde en voulant le singer. Mais c'est oublier aussi (y compris chez Duchamp) la force de la communication dans une oeuvre d'art. C'est autant l'oeuvre que ce qu'on en dit et qui fait partie intégrante de l'oeuvre d'art…ainsi de Bansky par exemple (qu'
Onfray ne cite pas, étonnement d'ailleurs par plus qu'il ne cite
David Hockney).
En conclusion
Onfray souhaite se justifier de sa légitimité à parler d'art contemporain et à ne pas aimer ceux qui professent une forme d'art « scatologique » (Kapoor,
Jeff Koons), peut être en oubliant que l'on peut aussi ne pas avoir d'avis sur la question…car avoir un avis c'est intégrer cet art comme en étant un et donc renforcer la côte de ces « artistes »; en rejetant un certain nombre d'artistes,
Onfray oublie sa propre phrase (page 175) : « l'artiste a fait son travail : il fait penser quiconque regarde une oeuvre produite par ses soins ». C'est sans doute là la plus belle définition de l'art pour qui accepte de ne pas juger trop vite, même s'il ne s'agit pas de tout aimer…
Onfray termine son livre par la phrase « bon sens ne saurait mentir »; à l'évidence la vraie expression est « bon sang ne saurait mentir ». On ne peut penser que l'ami
Onfray se soit trompé, donc l'hypothèse est qu'il a fait un jeu de mots, donc de l'humour…incroyable, c'est la première fois de ma vie que je vois
Onfray faire de l'humour.
Ah, au fait, à part 10 lignes, rien sur la musique. On vous avait prévenu…