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EAN : 9782815906579
108 pages
L'Aube (24/10/2012)
4/5   10 notes
Résumé :
"L'automne mariait soleil et brumes. Les arbres effeuillés de la forêt laissaient voir de lointains nuages et un ciel d'azur, profond. La nuit frôlait l'horizon, les étoiles tremblaient, tressaillaient dans les buissons qui entouraient notre campement. Nous tenions le feu allumé jour et nuit afin d'éloigner les loups. Au loin, de l'autre côté du lac, ils poussaient de faibles hurlements, inquiets de la fumée, des cris et des rires des hommes."
"Un de ces peti... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Voici un petit recueil regroupant onze courtes nouvelles de Constantin Paoustovski. Vous y êtes immergé dans la réalité rurale de la Russie soviétique des années 1930-40.

En fait, ce sont plutôt des narrations d'anecdotes en lien avec la nature et les animaux. Cette nature des forêts et des lacs y est magnifiée. On se retrouve toujours auprès d'une isba au fond des bois, on nous y parle qui d'un chien, qui d'un chat, qui d'un coq ou d'un cheval, sans oublier, bien sûr, les poissons, notamment celle qui donne son titre au recueil.

Je pensais retrouver quelque chose de la magie que j'avais adoré chez Iouri Kazakov mais il me faut confesser que sans être du tout désagréables à lire, ces petites nouvelles gentillettes n'ont pas grand-chose à voir avec l'épaisseur et le lyrisme de Kazakov.

Paoustovski est un grand amoureux de la nature et il nous le retransmet bien. Son amour des animaux est tout à fait palpable mais est-ce que cela fait une nouvelle pour autant ? Là je suis un peu plus sceptique. Peut-être sommes-nous dans la contemplation, mais alors, à une seule dimension, loin du spectacle total, loin de l'expérience sensitive absolue de Kazakov.

Il y a quatre nouvelles que j'ai bien aimées dans ce recueil, le Dernier Diable ; le Lièvre Aux Pattes Brûlées ; La Vieille Barque et L'Hongre À La Robe Grise. Les autres m'ont semblé plus quelconques, à réserver aux amoureux de la nature. Ceci dit, ceci n'est qu'un avis de tanche même pas en or, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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J'ai l'impression que de nos jours quand on dit d'un livre qu'il est charmant c'est avec une pointe de condescendance. Et moi j'ai trouve celui-ci charmant, dans le sens d'envoutant. Envoutant par la simplicite de sa prose, sa trompeuse simplicite. Envoutant par la douceur des descriptions paysagistes, par la delicatesse des sentiments exprimes dans les rapports avec les hommes et les animaux.

Paoustovski, avec son ami Rouvim [l'ecrivain Rouvim Isaievitch Fraïerman (1891-1972)], passe les etes a la campagne, dans la region de Riazan, au sud-est de Moscou, a se promener, pecher, lire, et converser avec les paysans du coin.

A premiere vue, les nouvelles de ce recueil (qui forment un tout, avec des personnages et des animaux de compagnie sautant de l'une a l'autre) semblent etre l'oeuvre d'un neo-romantique amoureux de terres sauvages et exaltant bucoliquement la vie rurale. Mais on saisit assez vite que pour Paoustovski la chaleur de ses descriptions de la nature russe traduisent sa particuliere idee de patrie. C'est l'observation de la nature qui peut lui enseigner la purete morale, l'integrite spirituelle, une attitude attentionnee envers les hommes et les animaux, envers leurs parlers et leurs facons de vivre, envers leurs passes et leurs devenirs. Paoustovski est un patriote de la nature russe, loin des politiques moscovites, bien que ces politiques se soient servies de ses ecrits.

Et c'est d'une prose savoureuse, fraiche, directe et ingenue. Ce qui m'a frappe dans ses descriptions c'est tout d'abord sa palette de couleurs, son rendu des sons et des odeurs. Melangeant tout cela il arrive a presque humaniser choses et animaux. Quelque exemples :
“Il nous fallut prendre la vieille barque et gagner, au centre du lac, l'endroit ou les lys blancs achevaient leur fleuraison et ou l'eau noire, profonde, avait l'apparence du goudron. Nous pechames des perches multicolores qui, posees sur l'herbe, fretillaient et etincelaient autant que les coqs des contes japonais : un gardon gris etain, des gremilles avec deux petites lunes en guise d'yeux, des brochets qui faisaient cliqueter vers nous leurs dents fines comme des aiguilles”.
“Aussitot, la panique s'installa sur le lac et dans la foret. Les grenouilles se mirent a coasser de frayeur, les oiseaux a pousser des cris d'alarme. Tout pres de la rive, un brochet de trente livres frappa la surface de l'eau. Un vrai coup de canon”.
“Tous les matins, nous disposions des miettes de pain et du gruau sur la table en planches du jardin. D'habiles mesanges venaient s'y poser par dizaines et, lorsqu'elles picoraient les miettes toutes ensemble, leurs joues blanches et duveteuses donnaient l'illusion de dizaines de petits marteaux s'abattant sur la table. Les mesanges se disputaient, piaillaient, et leurs cris qui rappelaient de petits coups d'ongle rapides contre un verre se transformaient en une joyeuse melodie. On aurait cru entendre une boite a musique vivante gazouiller sur la vieille table du jardin”.
“Nous etions accueillis par de sombres murs de rondins calfeutres de mousse jaune, par des buches qui flamboyaient dans le poele, et par une odeur de cumin. Curieusement, la vieille maison exhalait une senteur de cumin et de poussiere de bois”.

Mais ce sont les habitants de ces parages qui l'interessent le plus et qu'il rend le mieux. Les moissonneuses qui le narguent chemin de la peche; le gamin qui les y accompagne; cet autre gamin, Vania Maliavin, qui deterre un jeune bouleau pour leur en faire cadeau; le jeune Petia, qui adopte un vieil hongre en fin de carriere pour lui eviter la boucherie; et Mitri, le vieux Mitri, dit “dix pour cent" parce que c'est ce qui lui reste de son ancienne force, qui leur en remontre a chaque instant tout en faisant tinter sa canne par terre: “Mon p'tit gars, dit-il a Rouvim, attends d'avoir mon age et tu pourras discuter. T'arretes pas de me contredire et, pourtant, question meninges, on voit bien que t'es pas encore au point. Reflechir, c'est dans nos cordes a nous, les vieux”.

En fait, tout est amour dans ce livre. Amour du calme, de l'ordre et de la beaute de la nature, un amour qui dedaigne le luxe sinon la volupte. Il m'a enchante.
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« Je dirai le visage de ce pays qui dort
Entre le lac tranquille et les montagnes bleues,
Je dirai les blés murs et les avoines d'or
Et les chemins couchés près des talus poudreux,
 Je dirai les sentiers qui courent en forêt,
Les fleurs pâles qui s'ouvrent dans des ronds de lumière,
La mousse humide et sombre, et les étangs secrets
Cachés dans les roseaux à l'orée des clairières ».

D'or / dort, m'est tout de suite revenue cette chanson de Michel Buhler.
Tanche d'or, chante et dort, je suis encore enveloppé de ouate après la lecture des onze nouvelles qui composent ce recueil de Constantin Paoustovski.
Douceur, quiétude, harmonie. S'il ne restait que trois mots, ce serait ceux-là.
Peinture du paysage et des éléments qui le composent, faune, flore, humains, la fraternité des grands espaces qui côtoie l'intimité de la description.
J'ai passé un court mais magnifique moment avec les phrases de cet auteur russe. Elles sont simples mais se suffisent à elles-mêmes.

Me vient à l'esprit d'autres écrivains qui ont raconté leur environnement.
Louis Pergaud a utilisé de longues phrases pour décrire les bêtes sauvages du Jura dans « De Goupil à Margot », Maurice Genevoix a poétisé les animaux dans ses trois « Bestiaires », Henri Vincenot a exalté les saveurs de la vie rustique en Bourgogne dans « Récits des friches et des bois », Hermann Hesse a magnifié l'état d'âme intérieur dans « Description d'un paysage », Iouri Kazakov a sublimé les sens dans « La petite gare ».
Le début du vingtième siècle fut propice aux aventuriers de la proximité, aux narrateurs de la minutie des détails en lien avec la nature. Plus près de nous, je pense également à Jacques Lacarrière et « Le pays sous l'écorce » où l'imaginaire a côtoyé le réel.
Là, avec Paoustovski, je parlerai de simplicité et de délicatesse. C'est peut-être imparfait, mais ça dit le passé simple de la plus belle façon. Et ces deux temps constamment employés rendent à merveille une certaine douceur nostalgique.

« Le vent arrachait les feuilles humides et parfumées des bouleaux. Assis près du feu, j'avais l'impression que, derrière moi, quelqu'un fixait son regard sur ma nuque. Puis j'entendis distinctement un bruit de pas dans le bois mort : on marchait dans un fourré ».

Parfois, des phrases sans verbe, ou l'une déclinée au présent.

« Du haut du remblai jusqu'à l'horizon, la forêt, rien d'autre. Au-dessus, mangeant la moitié du ciel, un immense nuage noir immobile. Un vol d'oiseaux blancs qui passent, pareils à des semences de pissenlit ».

L'alternance entre description et récit est bien marquée, sans compter les dialogues du cru qui pimentent les situations.

« - Alors, mon p'tit pigeon, ricana l'une d'elles, où on va comme ça ? T'as beau être un as… elle s'ra vide, ta nasse !!! »

Et je ne trouve pas que ces nouvelles soient juste mignonnes ou charmantes. Elles relatent la vie rurale de la Russie de l'époque, après la grande guerre et la révolution bolchevique. Une sorte de sublimation de la nature, face à l'oppression politique et militaire. Une simplicité désarmante et directe, sans à priori, qui se savoure avec authenticité. Sans aller vers le fantastique, l'auteur met les animaux et les objets au même rang que les humains, pour montrer la fraternité qui se dégage des relations entre toutes les composantes de l'environnement.

« Tous les matins, nous disposions des miettes de pain et du gruau sur la table en planches du jardin. D'habiles mésanges venaient s'y poser par dizaines et, lorsqu'elles picoraient les miettes toutes ensemble, leurs joues blanches et duveteuses donnaient l'illusion de dizaines de petits marteaux s'abattant sur la table. Les mésanges se disputaient, piaillaient, et leurs cris qui rappelaient de petits coups d'ongle rapides contre un verre se transformaient en une joyeuse mélodie. On aurait cru entendre une boîte à musique vivante gazouiller sur la vieille table du jardin ».

Un blaireau curieux qui se brûle le museau, un chat roux chapardeur qui passe de maraudeur à gendarme, un diable de pélican qui fait des siennes sans ménagerie, un chien turbulent qui se fait mener en bateau, une énorme tanche à qui on tend la perche, un lièvre à l'oreille cassée qui sauve un papy de l'incendie, une boîte à musique qui se montre récalcitrante, un vieil hongre qui bat en retraite, voilà tout un panel de personnages qui apparaissent au fil des pages. Certains se retrouvent dans plusieurs nouvelles, ce qui donne une certaine cohérence au récit et un ensemble moins disparate.

Avec comme fil rouge l'immensité des paysages, l'eau et la sève sources de vie. L'eau des lacs et de la Volga, les forêts qui souffrent « déjà » de la sécheresse, deux milieux naturels à préserver d'urgence.
Le Constantin s'affirme comme l'empereur de la description.

« Une chaleur inouïe pesait sur les forêts cet été-là. Des bourrasques brûlantes soufflaient sans interruption depuis maintenant deux semaines. La résine coulait le long des pins et formait des pierres d'ambre jaune. Chauffée à blanc par le soleil, la forêt semblait se consumer lentement et, même, exhaler un désagréable effluve de brûlé ».

Puis vint l'orage salvateur. Il était temps...

« Tel l'hercule qui, à son réveil, détend ses robustes épaules, le tonnerre s'étirait paresseusement derrière l'horizon et, sans le vouloir, faisait trembler la terre. Des rides grises apparurent à la surface de la rivière. Sans bruit, de violents éclairs fondirent sournoisement sur les prairies ; bien au-delà de la ville, ils avaient déjà embrasé une meule de foin. de grosses gouttes de pluie s'abattirent sur le chemin qui ressembla bientôt au sol lunaire, chaque goutte creusant un petit cratère dans la poussière ».

J'éprouve le besoin de sentir le pétrichor, ce sang de pierre qui s'exhale après l'orage estival. Je le sens imprégner mes narines, je suis devenu un des personnages, je pense à tous ces pays du Nord qui se croyaient à l'abri des dévastations de la canicule. Sibérie, Suède, Canada, même combat.

« Don't it always seem to go
That you don't know what you've got till it's gone »

Cela n'a-t-il pas l'air de toujours se passer ainsi :
Vous ne savez pas ce que vous avez jusqu'à ce que vous l'ayez perdu !

Ces mots de la Canadienne Joni Mitchell datent de 1970. Huit ans après « Le printemps silencieux » de Rachel Carson. La préservation de l'environnement n'était encore qu'à ses balbutiements.
Je ne vous ai pas parlé de ce jeune bouleau donné en cadeau, mis en pot pour passer l'hiver à l'abri afin qu'il puisse garder ses feuilles pour que les habitants du lieu se croient encore en été. Mais l'arbrisseau, qui ne l'était pas sot, perdit son feuillage pour ne pas faire du tort à ces collègues restés dehors.

« C'est la loi de la nature. Si les arbres ne perdaient pas leurs feuilles avant l'hiver, mille morts les guetteraient : le poids de la neige qui s'accumulerait et finirait par briser les branches les plus solides ; une multitude de sels, toxiques pour l'arbre, qui s'insinuerait dans ses feuilles jusqu'à l'automne ; la vapeur d'eau, enfin, que le feuillage continuerait à rejeter même au coeur de l'hiver alors que les racines ne peuvent plus en puiser dans la terre gelée. Ce serait pour les arbres une mort inexorable, la sécheresse de l'hiver les ferait périr de soif ».

Quelle belle leçon de choses, la science assortie de mots simples, la connaissance apprise par l'observation, le bon sens paysan.
Ce recueil est pétri d'amour, de bienveillance, d'empathie. Une sorte de médecine du coeur contre les aberrations du monde actuel.
Qu'est-ce qu'il m'a fait comme bien !

Et comme dirait encore Michel, l'Helvète chanteur, qui a mangé la terre et bu l'air :

« C'est votre simple histoire, et c'est toute une vie ».
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Coup de coeur pour ce petit recueil de onze nouvelles,parues entre 1930 et 1940,de l'écrivain russe Constantin Paoustovski.
La plupart de ces nouvelles sont des épisodes de la vie de l'auteur et de son ami Rouvim,durant leurs séjours à la campagne.La nature et les animaux à forte personnalité,y occupent une place aussi importante que les humains et constituent bien souvent,l'objet,voire le sujet du récit.Ainsi croise-t-on,Maraudeur,un chat qui avait perdu tout sens moral,Stepan,la chat noir arrogant,Fountik,un basset à pattes Louis XV qui manque de subtilité,un pélican,échappé d'une ménagerie,qui fait la manche....c'est truculent!Les descriptions de la nature,les arbres,les lacs,les fleurs,la neige...sont pleines de poésie.C'est beau,simple et Magique!
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Ce recueil de nouvelles a une certaine unité tant de lieu (le sud de la Russie,les abords de l'Oka ou de la Volga) que de temps (l'été, et pour les deux dernières nouvelles, le début de l'automne et les premiers flocons). L'auteur raconte des anecdotes, de petits événements arrivés pendant ses vacances à la campagne et ses parties de pêche, le plus souvent avec un ami. En tout onze nouvelles qui mettent la nature à l'honneur. L'écriture est belle, bucolique et fluide, très agréable à lire. C'est très beau, cependant il faut bien avouer que les sujets de ces nouvelles ne sont guère passionnants à l'exception de quelques unes. La plus surprenante est le dernier diable. le lièvre aux pattes brûlées est aussi très réussie. Mais dans beaucoup de ces nouvelles, il ne se passe pas vraiment grand-chose. Pour moi Paoustovski est une énigme : étudié en Russie dès l'école primaire, couvert de récompenses, pas moins de quatre musées lui sont consacré en Ukraine (né et mort à Moscou, il était cependant Ukrainien), il a traversé le XXième siècle sans jamais être inquiété et a été nominé quatre fois pour un Nobel de littérature. En tout cas je ne conseille pas de commencer par ce livre pour découvrir l'auteur.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
« Tu ne me reconnais pas ? demanda Vassili en éclatant d'un rire sonore. Moi, j' t'ai reconnu immédiatement. De ma télègue, tout là-bas. Allez, raconte, quel bon vent t'amène ?
— Vassili ! » s'écria le garde forestier avant de sortir sur la plate-forme. D'un bond, il fut sur le sable et serra le vieil homme dans ses bras. « Alors, toujours en vie ?
— Comme tu vois, répondit Vassili en s'épongeant le visage d'un revers de manche. Je vieillis, la mort piétine autour de moi mais elle n'a pas encore eu l'idée de venir frapper à la porte de ma maison. Tu nous avais oubliés, hein, Piotr Matviev, que tu nous avais oubliés ? Sans toi, je te le dis franchement, elle est bien triste notre vie à nous ici…
— Comment cela ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Ne me dis pas que tu ne sais pas, Vassili ? Allez, parle. Et cesse de tourner autour du pot !
— Je ne tourne pas autour du pot. On en a parlé je ne sais combien de fois dans les journaux par ici, soupira Vassili. On en a parlé, reparlé, mais il faut bien l'admettre : on s'est démené pour rien. C'est pas en écrivant des lettres qu'on fait bouger les choses, qu'on protège la forêt.
— Qu'est-ce que tu me chantes là ? Allez, vas-y, parle donc ! »
Vassili ôta son bonnet et le jeta rageusement sur le sable maculé de pétrole.
« Ta forêt, Piotr Matviev, ta pinède… Elle en a plus pour longtemps !
— Elle a brûlé ? demanda le forestier, épouvanté.
— Brûlé ? Mais non. On a pas eu d'incendie, DIeu nous en préserve. Depuis le printemps, on a des chenilles qui bouffent la forêt comme si elles étaient en service commandé. Et, pour l'heure, elles en sont sûrement à la moitié, ces saloperies ! Le nouveau garde forestier, y s'en sort pas ! Faut voir ça ! On donne pas suite à ses lettres, on lui donne pas de poison. Et lui, y continue d'écrire par-ci, d'envoyer des cahiers entiers par-là. Et chaque fois qu'on l' voit, c'est pour l'entendre dire : " Toujours pas de réponse… " Et nous, on reste assis, le cul sur une chaise ! Pas de réponse, pas de réponse… Et la forêt, alors ?! » Un sanglot avait percé dans la voix de Vassili. « Tous ces pins qu'on a plantés tous les deux, Piotr Matviev, arbre après arbre… Que Dieu les protège ! Tu m' croiras sûrement pas, mais chaque fois que je vais dans not' forêt, j'oublie tout le reste. Je me découvre et je pense en moi-même : " Que t'es belle, quand même ! " »
Vassili ramassa son bonnet, l'examina, et l'enfonça sur ses cheveux gris emmêlés.
« Qu'est-ce que tu comptes faire, Vassili ? » demanda le forestier en se retournant. Natacha descendait les marches du wagon ; le front plissé, elle écoutait le vieil homme se lamenter.
« Lorsqu'un père abandonne ses enfants, dit tristement Vassili, et même s'il s'en mord les doigts, le tribunal le condamne. Est-ce qu'on fait cela pour les arbres ? Les arbres, ça ne crie pas. Qui irait s'apitoyer sur leur sort ? Qui, sinon un vieil imbécile de garde forestier à cheval comme moi ? »

LA VIEILLE BARQUE.
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Le vieil hongre remonta docilement sur la rive et s'arrêta près du feu. Il resta longtemps à nous regarder faire bouillir l'eau du thé dans la marmite. Puis il poussa un gros soupir qui semblait dire : « Vous ne comprenez donc vraiment rien à rien ! » Nous lui donnâmes un croûton de pain. Il le prit du bout de ses dents chaudes et le mastiqua en se servant comme d'une râpe de ses mâchoires qu'il faisait aller d'un côté et de l'autre. Il se remit à fixer le feu. Il méditait.
« Tu diras ce que tu veux, lança Rouvim en allumant une cigarette, là, il pense. Tu peux en être certain. »
J'eus alors l'impression que si le vieil hongre devait effectivement méditer, ce devait être sur l'ingratitude et la bêtise de l'homme. Qu'avait-il donc entendu toute sa vie durant, sinon les mêmes rebuffades, les mêmes reproches immérités : « Ho là, sale bête ! C'est qu'y vous mettrait sur la paille à bouffer comme ça ! », « R'gardez moi ça, lui faudrait de l'avoine à c' monsieur-là ! » Et s'il s'avisait de jeter un regard sur le côté lorsque les rênes venaient lacérer son flanc couvert de sueur, retentissait alors cette menace unique, immuable : « Essaie un peu de regarder, tu vas voir… » Avoir peur, même cela lui était interdit : les rênes tournoyaient aussitôt au-dessus de sa tête, et le charretier lui criait d'une voix faible mais pleine d'une joie mauvaise : « Ah, t'as peur… » Et le collier qu'on lui mettait toujours en appuyant contre lui une botte toute crottée, cette même botte qui lui labourait la panse pour l'empêcher de gonfler quand on lui passait la sous-ventrière !
Il n'avait aucune reconnaissance à espérer. Toute sa vie pourtant, dans le sable, la boue ou la glaise liquide des chemins, sur les sentiers " battus " et ceux à flanc de coteau, dans les raccourcis sinueux, il s'était escrimé.

L'HONGRE À LA ROBE GRISE.
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— À ce que je vois, dit-il en recrachant des bouts de tabac, vous utilisez du fil nylon. Pas comme ces corniauds qui font des lignes avec du crin de cheval. Ces salauds-là, ils vont finir par lui arracher toute la queue, au vieil hongre ! Et, à ce train-là, il ne va plus rien lui rester du tout pour chasser les mouches.
— Il a bien rempli sa tâche, le vieux.
— Pour ça, oui ! convint Petia. Il a peut-être de l'âge, mais c'est un bon cheval. Il a un bon fond.
Petia se tut. Le vieil hongre se retourna et poussa un petit hennissement.
— Chut, dit Petia. Ne t'énerve pas. Personne ne te demande d'aller travailler.
— Qu'est-ce qu'il a ? demanda Rouvim. Il est malade ?
— Mais non, répondit Petia, il n'a plus la force de tirer les charges, voilà tout. Il a fait son temps. Le directeur du kolkhoze — vous savez, l'autre, là, le manchot — il voulait l'envoyer à l'équarrissage, lui faire la peau. Mais je l'ai empêché. Pas que ça m'aurait fait de la peine, mais enfin… Faut avoir de l'indulgence pour les bêtes. Les hommes, eux, y z'ont la maison de repos. Les chevaux… je t'en fous ! Y s' crèvent toute leur vie et, quand arrive la vieillesse… des coups de couteau qu'on leur flanque ! « Non, Léonti Kouzmitch que je lui ai dit, t'as aucun sens de la justice. Pour toi, un sou, c'est un sou ; mais fais bien attention à ton âme. Ce vieil hongre, tu vas me le donner. Et le laisser paître chez moi, en toute liberté. Il n'en a plus pour longtemps. » Comme vous pouvez voir, il est déjà tout gris tout autour de la gueule.
— Et qu'est-ce qu'il a répondu, le directeur ? demanda Rouvim.
— Il a accepté. « Seulement, t'auras pas un demi-pound d'avoine pour le nourrir, ce serait du gaspillage. » « Ton avoine, que je lui ai répondu, tu peux te la garder ; je vais le nourrir à ma façon, ce cheval. » Et depuis, le voilà installé chez moi. La mère, au début, elle a râlé. « Qu'est-ce qu'on a besoin de garder cette bouche inutile ? » qu'elle disait. Mais maintenant, elle est bien habituée à lui et elle lui parle quand je ne suis pas là. Faut dire qu'elle a personne avec qui faire la conversation. Et lui, il est bien content de l'écouter…

L'HONGRE À LA ROBE GRISE.
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C'était un vieil original qui avait eu des tas de malheurs et qui répondait au surnom de " Dix pour cent " — un sobriquet bien mystérieux de prime abord.
« Mon gars, avait-il expliqué un jour, on m'appelle ainsi car j'ai plus que dix pour cent des forces que j'avais avant. J'ai été attaqué par un cochon. Dire qu'y faut appeler ça un cochon ! C'était un vrai loup, oui ! Qui avait qu'à mettre le nez dehors et grogner un coup pour faire le vide dans la rue ! Les bonnes femmes attrapaient leurs gosses et les faisaient vite rentrer. Les hommes sortaient qu'avec une fourche, et les moins francs, eux, y z'osaient plus sortir du tout ! Fort comme un Turc qu'il était, ce cochon-là. Et y savait se battre…
Mais écoute donc la suite. Un jour, c' cochon s' faufile dans ma maison. Y s' met à me renifler et à grommeler d'un air méchant. Moi, bien sûr, je lui flanque des coups de canne. « Allez, que j' lui dis, va donc voir dans la forêt si j'y suis ! » Mais voilà t'y pas qu'y s' dresse et qu'y s' jette sur moi ! Et qu'y m' renverse ! Couché sur le dos, j' hurle de toutes mes forces mais lui, y n'arrête pas de rugir et de me bourrer de coups. J'entends Vaska Jukov qui crie : « Vite, la lance à incendie ! C'est interdit de tuer le cochon en cette saison ! » Y se forme tout un attroupement. Ça crie de tous les côtés mais l' cochon, ça l'empêche pas de continuer à rugir et à me bourrer de coups. On a finalement réussi à le faire déguerpir à coups de chaîne. J'ai dû aller à l'hôpital. Le docteur, y n'en revenait pas. « Mitri, qu'y ma dit, médicalement, t'es plus valide qu'à dix pour cent. » Et depuis, je vivotte avec ces dix pour cent… Tu vois, fiston, la v'là, la vie qu'on vit… »

LE DERNIER DES DIABLES.
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Natacha pointa le nez à la fenêtre. Du haut du remblai jusqu'à l'horizon, la forêt, rien d'autre. Au-dessus, mangeant la moitié du ciel, un immense nuage noir immobile. Un vol d'oiseaux blancs qui passent, pareils à des semences de pissenlit.
Fracassant à l'autre extrémité de la terre, le tonnerre roula maladroitement par-dessus la forêt et gronda si longtemps qu'il donna l'impression d'arriver en faisant le tour complet du globe. Égaré dans les fourrés, il s'apaisa ; mais coupant les sentiers de traverse et les clairières, il rugit avec plus de mauvaise humeur encore qu'auparavant.

LA VIEILLE BARQUE.
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