Limpide fontaine de Vinchiaredo
Limpide fontaine de Vinchiaredo,
eaux modestes, bois pleins de tendresse,
aujourd’hui à vingt ans, je vous vois et j’écoute
votre sempiternel bouillonnement indifférent.
Dans le pré, l’eau rejaillit à mes pieds
voltige, reprend son cours
et au loin recompose son chant.
Cette onde chante pour moi : mais je reste sourd
à sa joie profonde, à son frais sourire,
je m’obstine à la regarder, et soudain : je découvre
des jeunes filles célestes, des jeux anciens,
des courses, des voix… Ah, pourtant rien de tout cela
dans les alentours ignorés
dans le murmure impassible des eaux.
/ Traduction Olivier Apert et Ivan Messac
Le ciel transparent m’envoie un signe
Le ciel transparent m’envoie un signe
léger… Ce n’est qu’une ombre blanche
un nuage. (Je reconnais cette ombre
la parole indicible… la blessure…
Ah, ma conscience, seule comme le ciel).
La grange et les pavés reflètent dans les yeux
la lumière bleutée de la lune.
Qui me confronte ainsi à ma vie ?
Et déjà une brise céleste a balayé
les nuages au-dessus de moi : plus une ombre
dans le ciel nu.
/ Traduction Olivier Apert et Ivan Messac
Dans mes yeux, et mes cheveux…
Dans mes yeux, et mes cheveux
en bataille sur le front, toi petite lumière,
insouciante tu rougis mon papier.
Adolescent je me consumais des nuits entières
en compagnie de ta faible lueur, et c'était étrange
d'entendre le vent, les grillons solitaires.
Alors, dans les chambres, la famille
privée de mémoire dormait, et mon frère
restait étendu de l'autre côté de la cloison.
À présent où qu'il soit, toi rouge lumière
sans rien dire, tu illumines, et le grillon
soupire dans les campagnes inanimées;
et ma mère se coiffe au miroir,
ancienne coutume comme ton éclat,
en pensant à son fils sans vie.
/ traduction de l'italien par Olivier Apert et Ivan Messac
Ma chambre a des charmes de palmier...
Ma chambre a des charmes de palmier.
Le lit blanc et pur, défait,
les innocents cahiers : la présence
en moi de cette joie physique
que donne la vie qui se vit en soi.
Puis des moineaux se dispersent comme
un vol confus de papillons ; la terre, au soleil
passionnée et indifférente…
Et dans les vignes brûlées de soleil
et les maisons aux enduits incandescents,
un son de cloche obsédant.
Comme un naufragé…
Comme un naufragé indemne je me retourne
et je vois derrière moi, attendris
par le passé, des océans de rares
violettes, de primevères silencieuses.
Mais ce paysage de jeunes pousses azurées
que le clair Avril adoucissait
est déjà un songe plus lointain que le ciel.
Le temps se dissipe sans vague :
papillons aux vols pudiques,
fleurs violentes, paix hérissée…
Et saurais-je encore m’effrayer si
un son désaccordait la musique ténue
des champs ? Lever les yeux comme un enfant
angoissé par les gouffres célestes
que voile le cours paisible des nuages ?
Et si dans l’azur aride
l’irascible rossignol exhalait son chant diurne
je l’écouterais avec ferveur, mais sans espoir.
Je ne rêve pas, je ne veille pas…
PIER PAOLO PASOLINI / UNE VIE VIOLENTE / LA P'TITE LIBRAIRIE