"Applique-toi à étudier. Quand tu entreras à l'université, je t'achèterai des crabes.
- À quoi ça sert ? a répondu Xiaoguo en ravalant ses sanglots. Toi et mon père vous êtes allés à l'université, et après ?
- Alors qu'est-ce que tu vas faire ?
- Je serai un Gros-Sous, et je t'achèterai des crabes. Des tonnes de crabes, je le jure. C'est ce que j'ai promis sur la carapace de crabe.
-
Confucius dit…
- Fait chier !"
Construite au début du XXe siècle, la
cité de la Poussière Rouge est un ensemble de maisons traditionnelles au coeur de Shanghai.
Ses habitants ont coutume de se réunir le soir pour converser dans ses allées, "avec leurs fauteuils de bambou, leurs tabourets en bois, leur thé, leurs cigarettes et leurs éventails de papier."
"Qu'y a-t-il de remarquable, direz-vous, à ce que les voisins parlent de là où ils vivent ? Eh bien, ce qui rend ces conversations tout à fait singulières, c'est leur caractère imaginatif, peut-être dû au feng shui de la Poussière Rouge – l'habitude de bâtir une histoire à propos de tout, une manière de voir le monde dans un grain de sable."
De 1949 à 2005, on suit donc la vie de la cité à travers celle de ses habitants, de l'effondrement du gouvernement nationaliste "non pas dans un grand bruit mais dans un crissement de grillon" et l'instauration du régime communiste, à l'intégration totale au système économique libéral mondial.
Vingt-trois nouvelles rendent compte des transformations de la société chinoise, subies par tous mais aussi soutenues par certains, et de la place de la Chine dans le "concert des nations".
Drôles ou tragiques, absurdes ou émouvantes, chacune évoque un habitant de la cité, confronté à ce tirage permanent entre tradition et modernité, aux ravages durables des "Grand bond en avant" et "Révolution Culturelle" sur la société chinoise, aux conflits dans lesquels le pays est engagé, et à la poursuite ou à l'abandon de ses propres aspirations.
Toutes sont précédées du dernier bulletin d'information de la Poussière Rouge de l'année, resituant le contexte, première bombe atomique chinoise, visite de Nixon, Reagan, Clinton, mort de Mao, procès de la Bande des Quatre…
Qiu Xiaolong connaît bien Shanghai, où il est né en 1953. Il a vécu de près les conséquences de la Révolution Culturelle, son père ayant été victime des Gardes Rouges en 1966 et lui-même ayant été interdit d'études pendant de nombreuses années.
Les confrontations de ses personnages avec la broyeuse révolutionnaire font écho à sa propre expérience.
Avec ces nouvelles,
Qiu Xiaolong, maître du polar, laisse provisoirement son inspecteur Chen et trouve une voie différente pour dépeindre la société chinoise et ses mutations.
J'ai pris grand plaisir à poser mon tabouret de bois à côté des voisins de la
cité de la Poussière Rouge et à écouter leur histoire commune prendre forme à travers les destins de quelques-uns d'entre eux.