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sur 327 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Avec ce livre, il est opportun d'encore aborder la question de l'écriture, car son style a fait polémique. L'auteur suisse(1) (1878-1947), qui n'a jamais connu de grand succès de librairie, avait la reconnaissance de ses pairs, mais sa façon de malmener la syntaxe pour trouver une langue expressive lui valut des hostilités. D'autant qu'il allait à l'encontre de la langue des grammairiens. Ses partisans et détracteurs s'opposèrent dans Pour ou contre C.F. Ramuz (1926).

Il y répondit en expliquant son rapport à la langue française dans une lettre à Bernard Grasset, où il avoue que le "bon français" ne lui permet pas de s'exprimer comme il le souhaite. Il s'agit pour lui d'une langue apprise, donc morte pour les francophones de Suisse romande. "Nous avions deux langues: une qui passait pour la “bonne”, mais dont nous nous servions mal parce qu'elle n'était pas à nous, l'autre qui était soit-disant pleine de fautes, mais dont nous nous servions parce qu'elle était à nous." Ramuz a essayé d'écrire cette langue-là. Il adopte ainsi un point de vue cantonal et cherche un style qui exprime l'essence du pays vaudois.

Personnellement je n'ai pas trouvé gênante cette régionalisation de l'écriture, même si parfois elle prête à sourire. Ainsi, au chapitre VII, on trouve "Il vient toujours en sens inverse sous son voile..." pour dire que le personnage s'éloigne. À moins qu'il ne s'agisse d'un effet particulier recherché par Ramuz ?

Par contre, un autre trait stylistique m'a décontenancé: le changement de narrateur qui se produit sans avertissement. Il est parfois impossible de savoir qui raconte tel événement et où se situe ce narrateur indéterminé dans le temps et l'espace. Dans l'excellent appendice qui suit la fiction, l'auteur Philippe Renaud explique amplement que cette concurrence de narration brouille le système de communication (perte de repères) et contribue à épaissir le mystère. Une technique singulière, avec des glissements qui relèvent de l'expérimentation littéraire et d'une esthétique originale, dont l'exploration s'écarte de l'objet de cette chronique.

Au coeur de ces considérations, une fiction poignante. Elle raconte des événements survenus, à la fin du fin du 19è siècle, dans une communauté du Valais suisse qui vit en quasi-autarcie, chose inimaginable aujourd'hui, n'ayant pour seule ressource qu'un peu de seigle et du bétail, se déplaçant à pied ou à dos de mulet:" ... on vit de lait, on vit de viande; on vit de lait, de petit-lait, de fromage maigre, on vit de beurre; même le peu d'argent bon à mettre dans sa poche qu'on peut avoir vient du bétail."

Le maire décide qu'il faut reprendre la transhumance pour faire paître le bétail sur le plateau dans la montagne. Tous ont peur depuis la terreur survenue des décennies auparavant, avec la maladie (2) et le reste. Six d'entre eux se portent volontaires, des jeunes enthousiastes, rationnels, qui n'ont pas connu cet autrefois, et des vieux circonspects, superstitieux avec un mélange de croyances magiques et de syncrétisme catholique. Très vite, là-haut, on entend des bruits la nuit (le diable ?), des bêtes sont malades, la tension monte et la tragédie survient. Ce roman atteste des dons de Ramuz pour l'invention de sujets dramatiques et l'art de leur mise en scène. Force de l'atmosphère et sentiment d'angoisse sont remarquablement produits, quoi qu'on dise du style.

Ce récit tragique livre quelques clés dont la plus évidente est la force naturelle de la montagne, qui réunit une série d'évènements catastrophiques dans une implosion finale. La voix de la narration domine ce chaos, et l'auteur semble en être le poète fantôme tout puissant qui possède manifestement plus d'un tour dans son sac.


(1) Tout savoir sur C.F. Ramuz sur le site de sa fondation.

(2) La fièvre aphteuse: très contagieuse, elle ne frappe pas les hommes mais ils peuvent la propager.


Lu en format ePub sur Sony T1, merci au Club des Lecteurs Numériques.

Lien : http://marque-pages.over-blo..
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La grande peur dans la montagne

Une première rencontre avec RAMUZ pour moi aussi !
Tout d'abord , j'ai vite compris qu'il fallait que je" me décrispe" si je voulais partir là-haut , tout là haut et comprendre de quoi il retournait ! Car Ramuz fait fi de la syntaxe et des lois grammairiennes : il opte pour cette langue parlée issue du Pays Vaudois à une certaine époque , une "langue" usitée uniquement par ces gens du cru qu'il met en scène ; après "décrispation" , le charme agit !

Le charme de "ses contes et légendes d'autrefois" , racontées au coin du feu .....avec ses procédés narratifs redondants pour créer une athmosphère , retranscrire une ambiance .......et je me suis amusée à en lire quelques passages à haute voix et là j'ai senti que la clé résidait !


RAMUZ a écrit:
"Il faisait rose .Il faisait rose dans le ciel du côté du couchant .Quant on était au pied de l'église , on voyait que sa croix était noire dans ce rose .
En haut du grand clocher , il avait le croix de fer ; d'abord elle a été noire dans le rose , ce qui faisait qu'on le voyait très bien , puis elle s'est mise à descendre .
On voyait la croix descendre , à mesure qu'on montait ; on l'a vue venir contre les rochers , le longs desquels elle glissait de haut en bas , elle est venue , ensuite , se mettre devant les forêts noires comme elle , et elle n'a plus été vue ".

Ce court passage en lecture silencieuse me parait hermétique , car l'écriture ne s'adapte pas à celle_ci : Dès lors que la musicalité des mots apparait , le sens du texte se réveille !
Et comme il s'en passe des choses dans cette montagne ......Les hommes n'y font pas loi :
RAMUZ a écrit:
"C'est que la montagne a ses idées à elle , c'est que la montagne a ses volontés"

Dans un milieu aussi fermé et une nature aussi hostile , la conscience collective prend une dimension essentielle ! Alors dès lors que le danger guette l'équilibre fragile de ces "micro-sociétés" , c'est l'imaginaire qui prend le dessus lorsque la connaissance scientifique est absente !
C'est la naissance des superstitions , celles qui font briller les yeux des petits enfants lorsqu'ils écoutent ces histoires du temps passés dans nos campagnes , dans nos montagnes ....celles-là même qui terrorisaient les gens de terroir car témoignant toujours de malheur , famine et catastrophe !


Aujourd'hui encore , "cette grande peur dans la montagne" continue à exister .....autrement ....

Car les alpages existent toujours , les pierriers et glaciers aussi toujours aussi imprévisibles , les orages qui pourraient faire croire à la colère d'un dieu....
et les maladies qui déciment un troupeau en quelques jours aussi !!!! (et dans le contexte Alpin , lorsque vous devez marcher plusieurs heures dans cette montagne aussi diabolique qu'enchanteresse pour retrouver la civilisation , c'est aussi tragique et angoissant ! ).....

Ce texte m'a parlé car je cotoie au quotidien ces rudes montagnards peu éloignés de ceux que nous décrit Ramuz ; quant à la trame romanesque : je l'ai vécue comme un prétexte pour parler de "ces gens de là-haut" et de leur enfermement dans cette montagne qui peut passer du rose .....au noir ..en quelques secondes , ne laissant aucune chance à celui qui n'a pas anticipé ou aurait enfreint ses lois immuables .... je ne m'y suis pas attachée !
En revanche , j'ai eu un immense plaisir à me saisir de certains passages descriptifs leur donnant vie avec la voix : c'était magique , j'entendais presque l'écho derrière ..........

Je pense continuer avec cet écrivain lentement mais sûrement , adoptant le pas du montagnard ....et je suis sûre que la musique sera encore là .....
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Je remercie Babelio et les éditions Thélème de m'avoir offert l'occasion de découvrir cet auteur, qui plus est sous un format original : un livre audio.
Je ne connaissais pas du tout Ferdinand Ramuz et j'ai apprécié découvrir son univers sous cette forme.
L'histoire tout d'abord qui nous transporte au début du siècle dernier dans un petit village de montagne en Suisse.
La trame : un pâturage abandonné vingt ans plus tôt, à cause d'une série de malheurs qui ont frappé les bergers. le pâturage est maudit, d'après les anciens du village. Or, les plus jeunes, eux, ne croient plus à « ces histoires » et décident d'aller l'exploiter à nouveau.

Ici la montagne n'est pas pittoresque mais bien minérale, venteuse, rude comme peuvent l'être les montagnards. A cet environnement abrupt viennent s'ajouter les vieilles croyances, les peurs ancestrales, les traditions très ancrées dans les vallées.
Et progressivement, le mystère puis la peur qui s'installent pour se terminer par une chute tragique.

C'est un livre que je conseille à tous ceux qui veulent découvrir Ramuz et sa prose si particulière. J'avoue que le format audio m'a quelque peut déconcertée, mais c'est surtout du fait que je ne suis pas une habituée de ce type de lecture.
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Je n'ai pas eu la version audio mais la version papier.

Lors d'une réunion municipale, les "jeunes" décident de retourner mettre en pâture les vaches sur une montagne "abandonnée" depuis 20 ans, suite à des événements mystérieux. Décision est prise, cette année, les vaches iront paitre là-haut. Un groupe est constitué et c'est le départ. Va-t-il se passer des choses étranges ?

L'écriture est assez austère et j'ai parfois eu du mal à rester concentrée. Mais, parfois, des descriptions sublimes arrivent et toute ma concentration revenait. La vie montagnarde, le folklore, tout ça est bien décrit par l'auteur.
J'ai finalement aimé cette histoire malgré l'écriture qui m'a parfois un peu rebuté.
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Autant le dire tout de suite, ce petit livre est plutôt difficile d'accès. Je me souviens l'avoir lu il y a quelques années ; j'avais dû lire passivement puisque j'ai eu le sentiment de découvrir totalement l'histoire, et lorsque je vois le niveau d'exigence de cette lecture, je pardonne bien volontiers au plus jeune moi.

Je ne sais pas ce qui relève du parler suisse ou du style de l'auteur, mais l'écriture est vraiment très particulière, étoffée de points-virgules, de répétitions en variant les temps, de passages du coq à l'âne entre deux actions parallèles (dans une même phrase bien sûr), de pronoms peu explicites, d'ellipses, de points de vue ambiguës et imbriqués, de choix de verbes surprenants ... Il y a des images et des procédés d'une grande beauté, et l'on ne peut qu'être sensible à la finesse des observations de l'auteur, apte à conférer un intérêt esthétique aux détails les plus communs du quotidien (le jeu de la lumière sur le sol pendant l'ouverture d'une porte, par exemple). Ce talent figuratif permet d'atténuer, sans pour autant trahir, les scènes les plus terribles d'une histoire où l'on ne fait que progresser péniblement à travers une dense atmosphère de tristesse et d'âpre fatalité. En représentant, dans un récit dont le réalisme manque à chaque page de basculer dans le surnaturel, une montagne personnifiée qui fait payer comptant à l'homme ses transgressions même bien intentionnées, Ramuz opère un renversement du rapport de forces qui n'est pas inintéressant au regard des préoccupations actuelles.

Cela étant dit, je ne suis pas parvenu à apprécier pleinement cette écriture trop manifestement à la recherche de la performance, qui veut trop se démarquer du naturel. Par ailleurs, je n'ai pas ressenti cette forme d'angoisse qui fait si singulièrement et si plaisamment accélérer le rythme de votre coeur, que promettait pourtant un titre suggestif. Au bout du compte, ce sont quelques dizaines de pages, certes très belles, dont vous sortez accablé, assombri, convaincu de votre insignifiance.
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Dans ce roman, l'auteur fait revivre un village suisse au début du XXème siècle. Ici, le Président (imaginons un maire de notre époque) et quelques habitants plutôt jeunes décident d'ignorer une histoire ancienne et souhaitent exploiter un alpage d'altitude malgré les protestations des aînés qui se souviennent encore… Finalement, une petite équipe est choisie, constituée entre autres d'un maître fromager et de son neveu, du vieux Barthélemy (qui prend la malédiction très au sérieux) ou du jeune Joseph qui a besoin d'argent tout simplement. Et on s'installe là-haut avec des vaches… Puis la maladie va frapper le bétail… Et les rumeurs courent et la peur s'installe…
C'est effectivement un air d'antan qui souffle dans ces pages, grâce à la langue employée, à la psychologie des personnages et aux descriptions de la nature. le style d'écriture est original – j'ai un peu du mal à trancher, car par moment il m'a enthousiasmée, par moment agacée. Néanmoins, les nombreuses répétitions de mots aident à créer une ambiance pesante, à faire ressentir le malheur qui va (on le sens dès le départ) s'abattre sur le village, à souligner l'immensité de la montagne face aux Hommes.
J'ai apprécié notamment les villageois, parfois naïfs comme Joseph avec son amoureuse Victorine qui se soucie de bien préparer les couronnes de fleurs pour les vaches afin de les accompagner au départ du village. Parfois calculateur comme le Président qui veut décider du haut de sa fonction, mais cherche toujours à être couvert dans ses décisions (assez intemporel comme personnage !). Et au-dessus de tout le monde cette montagne, fière, imprévisible qui inspire le respect, qui crée une ambiance de peur et de superstition…

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Ramuz use et abuse des descritpions de la montagne, qui est " l'héroïne " de son roman. Il veut démontrer que les hommes qui l'habitent ne la connaissent pas, et que c'est elle qui domine tout. Son style me plait beaucoup bien qu'il manque d'homogénéité ; il semble s'être inspiré du parler des montagnards. Finalement ses personnages sont plus victimes de leurs ignorance, et de leurs superstitons que de la montagne elle-même !
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L'alpage. Oublié depuis vingt ans. L'alpage désert, rendu à la Montagne. Son herbe tendre, rare. le troupeau qui serait au paradis là-haut. Et puis les hommes. Ces hommes du village. Ces hommes trop jeunes pour avoir connu le drame. le drame d'il y a vingt ans. Seuls les anciens savent. Les anciens comme Munier. Lui sait. Lui y était. Lui a réchappé à la tragédie. Une calamité. Mais la volonté/le profit des hommes qui ne savent pas est la plus forte. On vote. On a voté. La décision est prise. On emmènera le troupeau dès les beaux jours. On choisira sept hommes. Comme autant de jours dans la semaine. Comme un nombre magique dans certaines peuplades lointaines. Sept hommes qui vont monter là-haut. Tout là-haut dans l'alpage. L'alpage oublié. L'alpage déserté des hommes. L'alpage rendu à la montagne. Terre vierge. Où l'homme ne peut vivre. Où l'homme est rejeté. Par ce Dieu qu'est la Montagne. C'est elle qui décide. C'est elle qui tient les rênes. Elle qui jette les dés. Elle qui règne. Mais cela, les hommes ne peuvent le savoir. A part quelques anciens. Comme Munier. Et puis Barthélémy aussi. Lui a pris la précaution d'emporter un talisman. Un papier écrit. Un porte-bonheur. Un papier qui le protège. Qu'il porte autour du cou. Il ne lui arrivera rien. Par ce papier fétiche, il s'est protégé du malheur. Et puis il y a Clou. Borgne un peu fou. Marginal. On s'en méfie. Mais le Président n'a pas le choix. Rare sont les volontaires. Clou accompagnera les bêtes. Il accompagnera les hommes. Il n'en fera qu'à sa tête. Lui aussi sait. Il y a Romain. L'inconséquence de son adolescence lui sera fatale. Il y a Joseph. Amoureux. Mais l'amour fait faire des sottises. Tout le monde le sait. Tout le monde le dit. Joseph et Victorine n'y échapperont pas. Là-haut sur l'alpage. Une cabane qui se confond avec la pierre. Qui est pierre. Juste un toit posé sur trois murs. le quatrième est la roche de la falaise où la cabane se presse. Elle fait partie de la montagne. Pas les hommes. Eux ne devraient pas être ici. Etre ici avec leur bêtes. Un troupeau en sursis. Car la malédiction a frappé. Elle frappera de nouveau. Ces parois grises. Grises à deux teintes. Grises clair éclatant sous le soleil. Grises mornes dans la face ombragée, faisant dos au soleil. Et cette chaleur qui lénifie les volontés, étourdit les esprits, anesthésie les corps. Et puis le torrent. Les sentiers escarpés. le danger est sournois. Il se cache. Surgit sans prévenir. Tant de beauté mais les hommes ne semblent pas la voir. Les hommes ne savent rien. Jamais. Entre superstition et ignorance, ils vont subir le jugement de la Montagne. Alors la malédiction peut s'accomplir. C'était écrit.

Ramuz offre une prose rêche, un style paysan, sans détour, une syntaxe sommaire. Cette écriture brut de décoffrage épate ou bien rebute. On pense naturellement au « Rapport aux bêtes » de Noëlle Revaz. Même rugosité, même rudesse, même rusticité un brin farouche. Il joue avec les temps, donnant l'impression que celui-ci est élastique, un zoom temporel déstabilisant. La montagne apparait comme une entité noble mais intransigeante. Comme un Dieu omnipotent contre lequel on ne peut rien, rien d'autre que devoir le respecter.
On adore. On déteste. On ne peut rester indifférent.
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Parce que l'horreur et la peur ne sont pas que des thèmes anglo-saxons! Cette histoire nous tient et l'angoisse des personnages est contagieuse.
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« La Grande Peur dans la montagne » (1989, Thélème, 193 p.) est un roman de Carles Ferdinand Ramuz, écrivain suisse (1878-1947) qui a beaucoup utilisé et répandu le parler vaudois dans la littérature. En 2005, Charles Ferdinand Ramuz fait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade (2005, Gallimard, La Pléïade, 3696 p.) avec 2 tomes de « Romans », soit 22 titres. C'est cette édition publiée sous la direction de Doris Jakubec, que j'ai retenu.
CF Ramuz est le troisième enfant d'une famille d'épicier et de marchands de vins de Lausanne. Né après le décès en bas âge de ses deux frères ainés, Charles et Ferdinand, il hérite des deux prénoms, qu'il nomme des « prénoms d'archiduc » et qu'il déteste. Il se fera appeler plus simplement C.F. l'histoire ne dit pas si l'archiduc (1868-1915), avec ses prénoms Ferdinand Charles Louis Joseph Jean Marie, se faisait appeler FCLJJM, ou simplement Féfé dans l'intimité. D'ailleurs, ces archiducs d'Autriche menaient une vie assez débauchée, dont des unions morganatiques, ce qui n'est pas un exemple pour la jeunesse.
Bref, Ramuz écrit son livre (1925), avec pour sujet une petite communauté villageoise de montagne. Les jeunes du village ont décidé de réhabiliter un alpage, délaissé pendant une vingtaine d'années, sur lequel plane une malédiction, selon l'opinion des anciens du village.
A lire ainsi Ramuz, après « Horcynus Orca », de l'écrivain sicilien Fortunato Stefano D'Arrigo, traduit de l'italien par Monique Baccelli et Antonio Werli (2023, Le Nouvel Attila, 1372 p.), et sachant qu'il y a eu, pour ce texte, trois ou quatre moutures qui ont duré près de dix-neuf années, on peut s'attendre à une lecture plus facile et moins mouvementée. C‘est effectivement le cas, du moins dans les premières pages. « le président parlait toujours. / La séance du conseil général, qui avait commencé à 7 heures, durait encore à 10 heures du soir ». Précision horlogère suisse.
Pour préciser les choses, il convient de rappeler que Sasseneire est un pâturage de haute montagne à deux mille trois cents mètres. Mais il est délaissé depuis une vingtaine d'années. « le Président disait « C'est des histoires. On n'a jamais très bien su ce qui s'était passé là-haut, et il y a vingt ans de ça, et c'est vieux » ».
« Ils votèrent d'abord pour savoir si on allait voter, en levant la main ; puis ils votèrent par oui et non ». C'est bien là une prise de décision suisse.
Donc, ils partent, ou du moins les hommes volontaires du village partent pour l'alpage ave un troupeau. Il y a là Barthélemy qui « faisait face à la paroi, […], entre Joseph et Romain, puis venaient à sa droite Clou et le boûbe, et le maître et le neveu du maître étaient à sa gauche ». le boûbe c'est un peu l'idiot du village, mais pas que, et le jeune pas encore déniaisé. C'est un petit gars à tout faire. le Clou est un personnage complexe, mi-ivrogne, mi-alcoolique, mi-clochard, mi-filou, mais tout cela à la fois. Il y a encore le maître du troupeau et son neveu, ainsi qu'un muletier et son mulet, qui assureront le ravitaillement. le Clou, quand il avait su qu'il allait monter à l'alpage, « alla tout de suite à l'auberge se commander trois décis de goutte ; et se mit à boire, buvant à crédit sur la somme qu'il devait retirer à la fin de la saison ». Mieux vaut tenir que courir. Joseph, c'est « un jeune amoureux séparé à grand tourment de sa mie, qui y va pour se faire un pécule de mariage ». le couple Joseph et Victorine, ils s'y voient déjà, mais ils sont attendrissants. de joseph à Victorine « Sais-tu, j'ai fait les comptes… Il va nous manquer deux cents francs si on veut se marier à l'automne… Ou bien si tu ne veux plus ? […] Écoute, ma petite Victorine, il nous faut être raisonnables… J'ai eu une idée… Ces deux cents francs… Écoute, je me suis dit que j'allais monter à Sasseneire. Ils cherchent du monde. Ma mère pourra faire seule, parce qu'on enverra les deux bêtes là-haut. Je n'aurai qu'à aller parler au Président… Et les deux cents francs seront trouvés, parce que tu sais qu'on n'est pas riche ; et on pourra acheter le lit, le linge, tout ce qui nous manque encore, on pourra faire réparer la chambre avant l'hiver ; tout serait prêt pour le mois de novembre, puisqu'on avait parlé de ce mois-là, à moins que tu n'y tiennes plus ; en ce cas, on pourrait attendre, mais, moi, j'aimerais mieux ne pas avoir besoin d'attendre… Et toi ? ».
Barthélémy, c'est un vieux rescapé de l'expédition précédente qui veut bien y retourner, lui, puisqu'il a survécu et qu'il a « le papier », un visa sensé le protéger des mauvais sorts. « Dans sa chemise un lacet noir de crasse qui lui pend autour du cou ; il a fait venir à lui une espèce de petit sac ; il a dit :- C'est là-dedans. C'est un papier ». Vieux de la vieille, il est déjà monté à Sasseneire, il y a vingt ans. « Et j'en suis revenu, comme vous voyez ; et si vous voulez, j'y retourne ».
Le conseil ayant voté, la fromagerie ayant fait son compte de bon fromage au lait fleuri par les herbes, les uns poussés pas la volonté des autres de ne pas rester à rien faire, et les autres entrainés par le désir d'être à la hauteur. Ils partent. C'est alors que Ramuz donne libre cours à ses descriptions de la montagne et du glacier. « On les a vus ainsi avancer les cinq par secousses, par petites poussées, et ils ont été longtemps cinq points, cinq tout petits points noirs dans le blanc. Ils ont été dans une nouvelle coulée de neige, ils ont été dans des éboulis ; en avant, et à côté d'eux, les grandes parois commençaient à se montrer, tandis qu'ils s'élevaient vers elles par des lacets et, elles, elles descendaient vers eux par des murs de plus en plus abrupts, de plus en plus lisses à l'oeil. Ici, il n'y avait plus d'arbres d'aucune espèce ; il n'y avait même plus trace d'herbe : c'était gris et blanc, gris et puis blanc, et rien que gris et blanc ».
C'est que ce n'est pas tout près. « On compte quatre heures pour la montée, en temps ordinaire, et trois pour la descente en temps ordinaire, mais le commencement de mai n'était pas encore un temps très favorable et les quatre heures se trouvèrent largement dépassées ».
La vie et le train-train s'organisent. « Ils se mettaient à traire avant cinq heures du matin, besogne qu'ils faisaient en commun ; ensuite le maître et son neveu allumaient le feu sous la grande chaudière en cuivre suspendue à un bras mobile. Ils étaient trois alors qui partaient avec le troupeau, levant leurs bâtons derrière le troupeau ; c'étaient d'ordinaire Joseph, Romain et le boûbe. le maître et son neveu restaient dans le chalet pour les travaux de l'intérieur ; eux trois, partaient avec les bêtes, parce qu'on ne les laisse pas brouter à leur fantaisie, ni où elles veulent, et on a soin de les changer de place chaque jour, de manière que toute l'herbe soit utilisée ; — deux hommes donc dans le chalet et puis trois avec le troupeau ; restaient Barthélemy et Clou qui étaient occupés, eux, dans le voisinage du chalet. Barthélemy, ce matin-là, allait et venait avec sa brouette ; Clou, lui, était un peu en dessous du chalet, avec son outil. C'était une place où l'eau qui descendait de la paroi avait une tendance à séjourner, gâtant les racines de l'herbe ; alors il fallait lui percer une issue qui lui permît d'aller plus bas où on en manquait. Il y a ainsi un grand nombre de ces petits travaux de toute sorte dans les montagnes ; il y en a plus que de quoi vous occuper tout le long du jour, si on veut se donner la peine de les bien faire : mais Clou pour le moment ne faisait rien. Comme un mouvement de terrain empêchait qu'on pût le voir, il s'était assis, fumant sa pipe, et était en train d'examiner minutieusement les rochers en face de lui, les parcourant des yeux d'un bout à l'autre, à cause des cachettes qu'il y avait là sûrement, mais il faut d'abord connaître où on aurait le plus de chances d'en trouver ; — pendant que Barthélemy donc allait et venait devant le chalet, et que le maître et son neveu étaient en train de faire la cuite ».
Bien entendu, il se passe des choses anormales, des bruits sur le toit, des galopades du troupeau. « Là-haut, le ciel faisait ses arrangements à lui. Il se couvrait, il devenait gris, avec une disposition de petits nuages, rangés à égale distance les uns des autres, tout autour de la combe, quelques-uns encapuchonnant les pointes, alors on dit qu'elles mettent leur bonnet, les autres posés à plat sur les crêtes. Il n'y avait aucun vent. le ciel là-haut faisait sans se presser ses arrangements ; peu à peu, on voyait les petits nuages blancs descendre. de là-haut, le chalet n'aurait même pas pu se voir, avec son toit de grosses pierres se confondant avec celles d'alentour, et les bêtes non plus ne pouvaient pas se voir, tandis qu'elles s'étaient couchées dans l'herbe et elles faisaient silence ».
On en arrive à la moitié du roman. « La maladie ! / le mot avait été écrit tout à coup dans la tête de Romain, et il lut le mot dans sa tête, puis s'arrêta net, dans le même moment que le maître, l'ayant enfin vu venir, lui criait : « Halte ! » ayant tourné la tête vers lui sans se redresser. / - Reste là… Bouge plus… Laisse le mulet où il est ». « Alors, le lendemain, Pont s'est mis en route avec le garde, ayant un litre de forte eau-de-vie dans son sac de soldat, ayant un voile noir dans son sac, une vieille blouse, un pantalon de toile qu'il pouvait passer par-dessus le sien, des souliers de rechange ». le style a changé, plus de ces descriptions idylliques de la montagne et du glacier.
Et tout bascule au chapitre VIII. « C'était un homme qui se connaissait particulièrement aux maladies des bêtes, et à cette maladie-là, ce Pont ; il monta donc avec le garde, et Romain aurait dû être avec eux, mais on ne l'avait trouvé nulle part. [ ] Et cette maladie est une maladie terrible à laquelle on ne connaît aucun remède. Elle se met d'abord dans les sabots des vaches et dans leur bouche, puis la fièvre les prend, elles maigrissent, elles perdent leur lait ; elles crèveraient bientôt, si on ne prenait les devants sur la mort. Il y a ordre de les abattre sitôt que la maladie est constatée, et il y a aussi des règlements pour les enfouir ; il faut que le trou ait deux mètres de profondeur au moins ; on tâche ainsi à diminuer, sinon à supprimer, les chances de contagion, malgré la perte qu'on fait, mais il vaut mieux perdre quelque chose que tout perdre ».
On l'a compris, c'est le « foot-and-mouth disease », soit le « mal du pied et du museau ». Si bien utilisé par James Joyce dans « Ulysse ». Ce qui pousse Stephen à faire publier un article mettant en garde les éleveurs contre cette maladie « Mal du pied et du museau. Connu sous le nom de préparation de Koch. Sérum et virus. Pourcentage de chevaux immunisés. Rinderpest. Chevaux de l'Empereur à Mürzsteg, basse Autriche. Vétérinaires. M. Henry Blackwood-Price. Offre courtoise un essai loyal. Les impératifs du bon sens. Problème ultrimportant. Dans tous les sens du terme, prendre le taureau par les cornes. Avec mes remerciements pour l'hospitalité de vos colonnes ».
En réalité, Joyce s'est investi dans cette cause à propos de la fièvre aphteuse. Il a écrit deux éditoriaux sur la question pour le Freeman's Journal du 12 septembre 1912. de toute évidence, Joyce n'était pas plus qualifié qu'un autre pour écrire sur les aspects scientifiques de la maladie, ce qui expliquerait en partie sa réticence à s'impliquer. Il se concentre plutôt sur les implications politiques de l'épidémie. Il faut savoir qu'en 1912, la fièvre aphteuse était très répandue en Irlande et la Grande-Bretagne. Ce qui avait pour conséquences de réduire drastiquement les importations irlandaises.
En 1912, elle était si répandue en Irlande que l'Angleterre a imposé un embargo sur le bétail irlandais. D'où des conséquences dévastatrices pour l'économie irlandaise.
La connexion avec Joyce est plus complexe. Henry N. Blackwood Price, un ami irlandais de Joyce, s'intéressait au le traitement de la fièvre aphteuse et cherchait à rallier son Joyce à cette cause. Avant la visite de Joyce en Irlande, en 1912, Price lui remit une lettre destinée au président de la « Cattle Traders' Society », William Field MP, détaillant les méthodes de traitement de la maladie que Price avait observée en Autriche. Cela pourrait mettre fin à l'épidémie et lever l'embargo. Price avait besoin de Joyce pour l'aider à obtenir l'adresse de William Field, un député qui était président de l'Irish Cattle Traders' Society. Tout comme Stephen aide M. Deasy, Joyce transmet la lettre de Price à Field, qui est ensuite publiée dans le Telegraph. Dans un second éditorial, Joyce fait référence à un remède à la fièvre aphteuse d'Anna Blackwood Price.
Pour en revenir à Sasseneire, très vite le site, les propos du vieux Barthélemy créent un climat de crainte et de superstition. Puis la « maladie » ravage le bétail. Mis en quarantaine, les hommes de l'alpage sont prisonniers au pied du glacier menaçant. Tout alors bascule. C'est la grande peur dont Ramuz fait le récit dans cette forte et célèbre chronique montagnarde.
« C'était ce qui restait du troupeau, c'était la petite moitié de troupeau qui restait, - parce qu'on l'avait oubliée ». « Ils ne faisaient plus de fromage, se contentant de mettre la baratte à beurre sous la fontaine, où elle tournait toute seule par le moyen d'un chéneau de bois d'où l'eau tombait sur la roue à palettes ».
Les nouvelles vont vite se propager dans le village, ravivant les peurs et accentuant la malédiction prédite par les anciens. Adieu, veau, vaches, couvées. Finies, les récoltes de lait fleurant bon les alpages. Terminés, les projets de vie future heureuse. Et de Joyce, Ramuz saute à Shakespeare et « Hamlet ». Il tient son Ophélie. « L'eau l'a gardée tout le mercredi, tout le jeudi, tout le vendredi et tout le samedi matin encore, bien qu'on eût été fouiller partout avec des perches et des crocs, mais on n'avait rien découvert, parce qu'elle a dû tourner ces trois jours sur place ou bien elle était restée prise à des racines sous un surplomb ; alors elle aura balancé là tout ce temps et jusqu'au moment où ses cheveux auront cédé ou bien peut-être que c'est sa jupe ».
Ophélie, après sa noyade, continue de flotter. Selon la légende, son corps va flotter intact pendant mille ans, entouré de fleurs. le complexe d'Ophélie est créé, elle passe ainsi d'un monde à un autre à travers la mort.
Sur le fond, le roman de Ramuz décrit l'incarnation du Mal comme avant tout une présence maléfique. Ses manifestations sont progressives, et son incarnation demeure incomplète. Ramuz ne nous le montre pas. Ce sont surtout les effets de sa présence qui sont observés. D'abord, les hommes de la montagne l'entendent marcher la nuit autour du chalet où habite le groupe, et sa porte est forcée. Puis le troupeau est affecté par une étrange maladie qui finit par toucher les villageois. Enfin, un éboulement provoquant une inondation anéantit presque la population. Sur le fond, c'est leur cupidité et leur témérité qui recrée le Mal, puisque pendant les vingt ans durant lesquels le lucratif pâturage n'avait pas fait l'objet de querelle, il ne s'était pas manifesté.
L'autre cas de force du Mal est illustré par « L'Ogre » de Jacques Chessex (2003, Grasset, 208 p.), même si le thème central est la mort du père, le docteur Calmet. Il reprend la réflexion sur les forces du Mal omniscient et punisseur. le fils Jean Calmet a la quarantaine et est professeur de latin au lycée de Lausanne. le père était, en fait, un tyran familial, une force de la nature. Plus porté sur le vin blanc de Lavaux et les servantes d'auberge que sur les versions de Tacite. Cette évolution est parlante quant à l'interprétation que se font les auteurs de l'autorité et figure, selon nous, un nouvel état du littéraire. Dans les deux cas, la querelle mise en scène est celle des anciens et des modernes ou celle du père et du fils.
« Et jamais plus, depuis ce temps-là, on n'a entendu là-haut le bruit des sonnailles; c'est que la montagne a ses idées à elle, c'est que la montagne a ses volontés ».


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