Le roman gothique est un genre littéraire qui a eu un succès considérable en Angleterre entre 1760 et 1830, et qui a imprégné durablement la littérature de ce pays (et en Europe), tout le long du XIXème siècle, et au-delà. Faut-il y voir une manifestation du romantisme britannique qui, outre-Manche, pointait dès 1750 ? Peut-être, l'attrait pour les lieux désolés, le goût du sentimental mêlé à celui du morbide, pour ne pas dire du macabre, la mélancolie (le « spleen »), font partie du quotidien des poètes romantiques anglais (notamment
Edward Young). Il semble cependant que le roman gothique ait une existence propre, avec des spécificités particulières : le décor est immuable : vieux châteaux médiévaux, plus ou moins délabrés, abbayes sinistres, souterrains, oubliettes, cachots, ambiance sombre, plus inquiétante que mystérieuse, secrets inavoués qui remontent parfois loin dans le temps, phénomènes surnaturels, fantômes et spectres…Les personnages sont tourmentés, victimes de malédiction, les femmes, victimes expiatoires, sont systématiquement persécutées…
Horace Walpole (1717-1797) passe pour avoir écrit le premier roman « gothique » (« le château d'Otrante » - 1764), suivi par plusieurs auteurs (et surtout autrices, d'ailleurs) emballés par ce créneau littéraire pas vraiment nouveau, mais particulièrement attractif
Du malaise inquiet à l'horreur, il n'y a qu'un pas. William Thomas Beckford (1760-1844) (« Vathek » – 1786), Mathieu Gregory Lewis (1775-1818) (« le Moine » – 1796),
Ann Radcliffe (1764-1823) («
Les Mystères d'Udolphe » – 1794 – «
L'Italien ou le Confessionnal des Pénitents noirs » – 1797)
Charles Robert Maturin (1782-1824) («
Melmoth, ou l'homme errant » – 1820),
Mary Shelley (1797-1851) (« Frankenstein » – 1818) et
John Polidori (1795-1821) («
le Vampire » – 1819) donneront au genre ses lettres de noblesse. Après 1820, le genre tombe en désuétude, avant de revenir en fanfare à la fin du siècle avec
Sheridan le Fanu (1814-1873) («
Carmilla » – 1871) ;
Robert-Louis Stevenson (1850-1894) (« L'Etrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde » – 1886) et surtout
Bram Stoker (1847-1912) («
Dracula » – 1897).
Dans cette (riche) production
Mary Shelley et son « Frankenstein » tiennent une place à part. En 1814 (à 17 ans) elle devient la maîtresse du poète
Percy Bysshe Shelley, qu'elle épousera deux ans plus tard. En 1816, le jeune couple, auprès duquel vit Claire Clairmont, la demi-soeur de Mary, reçoit lord Byron, accompagné de son secrétaire
John Polidori. Pour passer le temps les cinq jeunes gens décident d'écrire chacun « une histoire de fantôme » : de ces cinq ébauches l'histoire en a retenu deux : Byron rédige un brouillon que
Polidori exploitera, en fera une nouvelle qu'il publiera sous le titre de «
le Vampire », c'est un des lointains ancêtres de
Dracula («
le Vampire », pas
Polidori).
Mary Shelley, elle, écrit « Frankenstein »
L'histoire, tout le monde la connaît tant elle a été popularisée par la littérature, le cinéma, la télévision la BD, et autres médias. Ce qui n'empêche pas certains de croire, même encore aujourd'hui que Frankenstein est le nom du monstre, alors que c'est celui de son créateur. En effet, Victor Frankenstein, un jeune savant, crée un être vivant à partir de chairs mortes, auxquelles il donne vie grâce à un procédé de son invention. Saisi d'horreur, à la fois par son geste et par la hideur de sa créature, il abandonne cette dernière. Mais celle-ci, douée d'intelligence, et pleine de rancoeur contre son géniteur (qui l'a abandonnée) et contre la société (qui l'a rejetée), va vouloir se venger…Si Frankenstein est le nom du savant, le monstre, lui n'a pas de nom, il est même curieux que l'autrice n'ait pas songé à lui en donner un (c'est peut-être volontaire, la création d'un être en dehors de la volonté divine étant un sacrilège).
« Frankenstein » est un roman épistolaire. C'est de plus un roman en abyme, les histoires s'insérant les unes dans les autres. Cette disposition pourrait être gênante pour la fluidité du récit, ce n'est pas le cas tant l'intérêt est soutenu par le sujet : c'est un roman purement gothique par la forme, mais il se double d'un roman d'horreur, un roman philosophique et métaphysique, explicité par le sous-titre : «
Frankenstein ou le Prométhée moderne » : le savant crée artificiellement un être vivant (comme Prométhée) mais il est saisi de remords en prenant conscience des conséquences de son acte.
Les illustrations du roman sont innombrables, celle de 1931restitue peut-être le mieux la poésie tragique dans laquelle baigne le roman : réalisée par James Whale, elle donne à Boris Karloff le rôle de sa carrière.