Silverberg est un des géants de la science-fiction, ce qui a pour avantage et inconvénient d'amener des éditeurs à collecter et à publier tous ses écrits, son simple nom étant vendeur. Il est peu douteux que ce recueil de nouvelles fasse partie de cette tendance. Pour autant, faut-il renoncer à le lire ?
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Différentes nouvelles donc :
- "La maison en os" relate l'histoire d'un homme "moderne" projeté au milieu d'une tribu de sauvages de la préhistoire. Aujourd'hui cette histoire, profondément humaniste, pourrait nous sembler moins originale qu'à l'époque, pourtant elle conserve un grand charme et une réflexion...intemporelle. J'ai beaucoup aimé.
- "En attendant le cataclysme" s'attache aux 15 derniers jours de la vie d'un homme resté sur une planète avant l'arrivée d'un tremblement de terre qui le tuera. Tout l'intérêt tient à l'évolution du regard du "héros" sur sa vie, sur l'évolution au fil des siècles du monde que les humains ont colonisé, sur les extraterrestres encore présents. Sujet inhabituel et traité de façon originale là encore.
- "Gianni", c'est Giovanni Battista Draghi, grand musicien mort trop jeune qui est ramené à la vie pour pouvoir créer la grande oeuvre qui l'attendait. Réflexion sur la fatalité, par l'auteur de
l'homme stochastique, à laquelle j'ai moyennement adhéré mais qui a ses mérites.
- "La substitution" est un hommage à Dick. Un homme en vacances au Mexique se retrouve dans un monde, parallèle mais proche du sien, où ceux et celles qui l'entourent le prennent pour un autre. Quels vont être ses choix ? le sujet est assez classique en SF, sans doute mieux traité par Dick, mais, pour autant, les personnages sont attachants et la nouvelle se lit, il me semble, de façon plaisante.
- "Le rémissionnaire" est l'occasion de présenter une autre facette de Silverberg. Un pirate informatique, dans un monde oppressif dominé par des extraterrestres, se trouve confronté à un adversaire inattendu comme à son passé. Les pages d'affrontements informatiques peuvent sembler faibles, comparées par exemple, à Hypérion, mais il faut se souvenir que cette nouvelle date des années 80. C'était vraiment novateur. Reste qu'est juste ébauché un monde complexe et intéressant, au profit d'une focalisation sur l'évolution des sentiments du héros. Cela peut plaire ou pas.
- "L'amant de Jennifer" raconte l'histoire de Jennifer qui a un amant (Je me surpasse !). Non, plus exactement cette nouvelle s'intéresse à l'évolution psychologique du mari de Jennifer, comme à celle de ses deux enfants, face à l'arrivée d'un amant venu du futur puis à la disparition de la mère/épouse. Là encore la SF est plus prétexte à une analyse "intime" qu'à un récit centré sur un univers autre que le nôtre. Sans prétendre à une profondeur psychologique inouïe c'est agréable à lire et plutôt inspiré.
- "Notre Dame des Sauropodes" (1980) s'intéresse aux aventures d'une jeune femme qu'un sabotage amène à faire naufrage sur un monde artificiel où a été recréé un pan du crétacé avant sa disparition par une météorite. Bienvenue chez les dinosaures ! Mais non, ce n'est pas (le mièvre) Jurassic Parc avec 10 ans d'avance ! Ou alors seulement pour quelques paragraphes au début... Tout le récit est construit autour d'une idée à la fois follement originale et quelque peu loufoque... que je vous laisse découvrir. L'enfant en moi a positivement adoré !
- "la compagne secrète", prix Locus 1988 du roman court me semble un récit... trop long. Nous sommes dans un vaisseau spatial où des âmes sont mises en attente avant l'arrivée sur une nouvelle planète et l'une d'entre elles, qui n'en peut plus de cette situation, va se réfugier dans la tête du capitaine du vaisseau (qui est aussi le plus jeune et le moins qualifié de l'équipage). Étude psychologique là encore plus que roman d'action mais je me suis un peu ennuyé. Sujet traité de nombreuses fois ailleurs, moindre originalité. Cette novella reste plaisante mais qu'elle ait été primée m'étonne quelque peu.
(Ordre de préférence personnel ici : "Notre Dame des Sauropodes" et "La maison en os" sur la première marche, médaille de bronze pour "En attendant le cataclysme" tant le sujet est original et abordé avec justesse).
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Globalement ce recueil a sa cohérence. Les récits semblent avoir été avant tout sélectionnés dans l'immense production de l'auteur parce qu'ils se centrent sur l'évolution interne/psychologique du personnage principal. Les mondes qui les entourent, pourtant souvent très créatifs, sont avant tout une occasion permettant au récit, et au héros, d'avancer. Pour autant ce "décor" ne semble jamais plat ou artificiel et c'est un des talents majeurs de Silverberg, ici comme ailleurs, que de savoir mettre en place des mondes fascinants et d'avoir 10 idées par page là où tant d'auteurs actuels de "sagas" en ont plutôt une par trilogie. Ces nouvelles sont donc à la fois l'occasion de voyager et de rêver dans des univers improbables et une mise en abyme nous amenant à nous interroger sur diverses réalités de nos vies (l'infidélité, ce qui fait notre humanité, la fatalité, la trahison, l'amitié, le sens d'une vie...), sans que jamais ces réflexions ne deviennent par ailleurs pesantes ou moralisatrices.
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Si Silverberg a, sans conteste, écrit des romans plus marquants, je conseille sans grande réserve ce recueil. Il est inégal mais va, à mes yeux, du "plutôt bon" au "remarquablement original voire inoubliable" et est toujours plaisant à découvrir. Que demander de plus pour une lecture somme toute courte ?!