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EAN : 9782702570500
Editions de Minuit (30/11/-1)
4/5   4 notes
Résumé :
La Route des Flandres (suivi de L. Dällenbach, « Le tissu de mémoire »). Minuit, 1983 (Double)

Le capitaine de Reixach, abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? Un de ses cousins. Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité. Aidé de Blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. Après la guerre, il finit p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Le Nouveau Roman a été un moment particulier où le désir d'expérimenter était devenu impératif comme pour exorciser les deux grandes guerres mondiales et leur cortège de souffrances enracinées dans les consciences. Claude Simon se situe dans ce tâtonnement des mots dans l'obscurité idéologique des années 1960, date de la première parution de ce roman.

Il me fallait revenir un jour à Claude Simon, avec L'herbe, et surtout La route des Flandres que j'avais lus en ressentant l'envoûtement sans comprendre la véritable portée du texte... La deuxième lecture me permet d'accéder à l'inouï d'une oeuvre tenant du chef-d'oeuvre. J'ai lu que des drogues peuvent créer des rêves parcourant des dizaines d'années, c'est ce qu'on expérimente ici par la lecture – d'une certaine manière – sans effet nuisible pour la santé, bien au contraire... Aucune fumée hallucinatoire mais des phrases qui se vaporisent dans la conscience (si on accepte le voyage quelquefois assez déstabilisant…) pour remonter le temps, s'immerger directement dans d'autres vies, d'autres époques. Jamais aucun livre ne m'a semblé si apte à approcher la tragique réalité des hommes embarqués dans la guerre et ses désastres, ici à travers les réminiscences de batailles contre les espagnols lors de la Convention (évocations de l'ancêtre de Reixach) et aussi à travers un de ses descendants, capitaine à cheval fuyant sur les chemins l'avance allemande victorieuse, de nuit sous la pluie, dans la retraite de mai 1940, aussi avec l'histoire d'amour vécue, rêvée ? avant et après la guerre, là où toutes les cartes sont rebattues.

A lire d'une traite ou avec le moins de coupures possibles car reprendre n'est pas simple. Qui parle ? Georges, Blum ou Iglésias ? de quel épisode ? Celui des cavaliers, où celui de la vie d'avant, où le capitaine de Reixach et sa jeune femme Corinne, leur jockey Iglésias (amant de Corinne – rival du mari dans le civil, aide de camp à la guerre), de leur passion commune pour les chevaux, ou bien du trajet de Georges, Blum dans le train vers un camp de prisonnier ? Il paraît que Claude Simon utilisait des fils de couleurs pour s'orienter dans les différents récits imbriqués de façon complexe…

La thématique du cheval est présente tout au long du roman, reliant chacun des récits particuliers : chevaux des soldats dans leur retraite, chevaux de courses du couple Corinne - de Reixach et de leur jockey Iglésias. J'inclus les pages de la course hippique, où de Reixach veut monter lui-même l'impétueuse jument alezane, dans les plus belles pages qu'il m'ait été donné de lire ! Arrêt sur image, ralenti interminable décomposant d'infimes mouvements qui ont pourtant lieu dans une course à pleine allure, couleurs, sons, réminiscences imbriquées, tout concours à une expérience hors du commun, musique de mots, virtuosité d'un auteur repoussant les limites littéraires.

Ce roman avait pour premier titre « Description fragmentaire d'un désastre ». Expression par l'écrivain de la guerre fractionnant la pensée. Véritable patchwork – frôlant l'abstraction parfois – d'éléments juxtaposés pour leurs qualités esthétiques. Une écriture en continu – à scander comme du rap ? – usant d'abondance de participes passés, de métaphores, du je au il, de phrases laissées en suspend, de passages mystérieux... dans un repos impossible, une quête de sens sans issue : le capitaine s'est-il laissé abattre à cause d'un amour trahi par Corinne ? Georges retrouvera à son retour Corinne pour tenter de faire coïncider les fantasmes avec une réalité fuyante. Peut-il y parvenir et l'écrivain à travers lui ?

Ma deuxième lecture a été la bonne, celle où on goûte le pouvoir immense des mots même quand l'auteur prétend les disperser. Des thèmes d'une richesse inouïe, rapports de classe, trivialité des hommes dans la guerre et pas seulement... Un livre qui, par la richesse complexe de la langue – véritable claque au "Big Brother de 1984" et l'appauvrissement de sens souvent de mise actuellement –, est à lire et à relire, à savourer pour l'imaginaire offert et sa place particulière dans l'histoire de l'écrit.

Claude Simon est né en 1913 et mort en 2005. Son roman La route des Flandres contient des éléments autobiographiques. Son père était capitaine d'infanterie (figure du père dans ce capitaine de Reixach fantomatique?). La passion de Claude Simon pour la peinture se retrouve dans son écriture très particulière. Il a été prisonnier (comme Georges et Blum du roman) durant la seconde guerre mondiale avant de s'évader et de s'engager dans la Résistance. Il a participé à la rédaction du Manifeste du Nouveau Roman publié dans la revue Esprit en 1958. Prix Médicis en 1967 pour « Histoire », prix Nobel de littérature en 1985 pour l'ensemble de son oeuvre. Il est pour moi un de nos très grands écrivains, certainement trop méconnu… Savez-vous que son prix Nobel avait déclenché un tollé dans les milieux conservateurs ? Cela n'a pas beaucoup changé quand on voit les réactions hargneuses au prix Nobel de littérature décerné cette année à Annie Ernaux. On ne sort pas comme cela des schémas narratifs préconçus qui ont l'avantage d'être efficaces et rassurants, qui ne font pas de vagues trop importantes.

Quelle place occupe le nouveau roman dans vos souvenirs de lecture, dans vos lectures actuelles ?
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Article complet avec illustrations sur Bibliofeel, lien ci-dessous

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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
(...) et tout ce qu’il percevait maintenant, c’était le bruit, le martèlement monotone et multiple des sabots sur la route se répercutant, se multipliant ( des centaines, des milliers de sabots à présent) au point, comme le crépitement de la pluie, de s’effacer, se détruire lui-même, engendrant par sa continuité, son uniformité, comme une sorte de silence au deuxième degré, quelques chose de majestueux, monumental : le cheminement même du temps, c’est-à-dire invisible immatériel sans commencement ni fin ni repère (...)
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[…] les yeux grands ouverts dans le noir, presque insensible maintenant (les étriers déchaussés, penché à présent sur le pommeau, les deux jambes passées par-dessus les sacoches pour soulager les genoux, se laissant ballotter comme un paquet) il croyait entendre tous les chevaux, les hommes, les wagons en train de piétiner ou de rouler en aveugles dans cette même nuit, cette même encre, sans savoir vers où ni vers quoi, le vieux et inusable monde tout entier frémissant, grouillant et résonnant dans les ténèbres comme une creuse boule de bronze avec un catastrophique bruit de métal entrechoqué, […]
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mais comment savoir, que savoir ? Environ donc deux heures de l'après-midi, le moment où les oiseaux s'arrêtent de chanter où les fleurs se recroquevillent et pendent à demi-flétries sous le soleil, où les gens finissent d'habitude de boire leur café où les vendeurs de journaux du soir proposent leur première ration de gros titres et pas encore Sport-complet ou La Veine, la cloche de la première course tintant seulement appelant au départ et en passant je vis sur un mur de briques une vieille affiche délavée déchirée annonçant Courses à la Capelle, là-bas dans le nord ils aiment les paris les combats de coqs les queues multicolores avec leurs plumes à reflets bleus et verts voletant éparpillées, pays de prés de bois d'étangs paisibles pour les pêcheurs du dimanche (mais où étaient les pêcheurs les baigneurs les gamins s'éclaboussant en caleçons rayés les buveurs des guinguettes à tonnelles à balançoires pour les petites filles – mais où étaient-elles, elles et leurs courtes robes blanches leurs maladroites et fraîches jambes nues…), Flamands, Flahutes, visages hauts en couleurs et les maisons sang de bœuf,…
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La vertu unificatrice de la scène itérative est particulièrement remarquable : seule à traverser toutes les strates temporelles et mémorielles, elle s'impose comme l'objet principal de la remémoration de Georges et apparaît comme le véritable centre obsessionnel du récit.
(Le Tissu de mémoire par Lucien DÄLLENBACH)
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Et son père parlant toujours, comme pour lui-même, parlant de ce comment s’appelait-il philosophe qui a dit que l’homme ne connaissait que deux moyens de s’approprier ce qui appartient aux autres, la guerre et le commerce, et qu’il choisissait en général tout d’abord le premier parce qu’il lui paraissait le plus facile et le plus rapide et ensuite, mais seulement après avoir découvert les inconvénients et les dangers du premier, le second c’est-à-dire le commerce qui était un moyen non moins déloyal et brutal mais plus confortable, et qu’au demeurant tous les peuples étaient obligatoirement passés par ces deux phases et avaient chacun à son tour mis l’Europe à feu et à sang avant de se transformer en sociétés anonymes de commis-voyageurs comme les Anglais mais que guerre et commerce n’étaient jamais l’un comme l’autre que l’expression de leur rapacité et cette rapacité elle-même la conséquence de l’ancestrale terreur de la faim et de la mort, ce qui faisait que tuer voler piller et vendre n’étaient en réalité qu’une seule et même chose un simple besoin celui de se rassurer, comme les gamins qui sifflent ou chantent forts pour se donner du courage en traversant une foret la nuit, ce qui expliquait pourquoi le chant en chœur faisait partie au même titre que le maniement d’armes ou les exercices de tir du programme d’instruction des troupes parce que rien n’est pire que le silence […] 
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Vidéo de Claude Simon
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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