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EAN : 9782757848234
448 pages
Points (20/11/2014)
3.38/5   16 notes
Résumé :
A propos de ce recueil, Natalia Dmitrievna , veuve du Prix Nobel de littérature , précise ; ' L'idée de composer des récits ' binaires ' , en deux parties , était venue depuis longtemps à l'esprit de mon mari , mais il lui était impossible de s'y atteler avant d'en avoir terminé avec l'épopée historique de la Roue Rouge . Il commença à rédiger ces histoires dans la première moitié des années 1990, qui coïncident avec notre retour chez nous , En Russie . Chacun de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
« La confiture d'abricots » est un recueil de neuf récits d'Andreï Soljénitsyne rédigés entre 1993 et 1998.

Plusieurs épisodes de l'histoire de la Russie au XXème siècle sont évoqués dans ce recueil : la "dékoulakisation", les révoltes paysannes, la Grande guerre patriotique, la transition économique. Aucune histoire ne traite directement des camps de travail forcé en Urss, thème qui lui a permis d'acquérir une renommée internationale.

Les récits sont composés de deux parties et obtiennent tout leur sens dans le contraste entre les deux histoires.

Le lecteur trouve cette construction duelle dans le premier récit, qui a donné son titre au recueil. Un adolescent adresse une lettre à un écrivain proche des autorités soviétiques pour lui faire part de son sort et lui demander une aide alimentaire. Fils de "koulaks" déportés, il a été incorporé dans l'Armée territoriale et se voit contraint de participer à la construction d'une usine dans des conditions inhumaines. Affamé, il garde le souvenir des confitures d'abricot de son enfance. Installé dans une datcha confortable, l'écrivain, lui, s'enthousiasme auprès de ses hôtes pour le langage populaire utilisé dans ce courrier, sans être touché par le destin tragique de son auteur. La discussion se tient autour d'un thé et d'exquises confitures.

Autre exemple avec un récit au titre plein de sens "C'est égal" puisqu'il met en parallèle le vol d'une dizaine de pommes de terre par de jeunes soldats pendant leur service militaire (leur officier se demandant comment les sanctionner, une discipline trop lourde risquant de les priver d'effectif pour la guerre) et la privatisation d'une entreprise de l'industrie du bois : l'émissaire du ministre venu en province régler cette vente écoute sans état d'âme les doléances des habitants et responsables locaux. Désastre écologique, catastrophe sociale, gâchis économique, investissements perdus, peu importe, la privatisation sera lucrative. Pour reprendre la conclusion d'un officier du premier texte : "La vie va son chemin(...). C'est égal, on a beau faire, on ne l'en détournera pas aussi simplement. La nature humaine ne se transformera pas, même avec le socialisme."

Soljénitsyne évoque dans ses récits la révolte de Tambov. Cette révolte, l'une des les plus importantes contre le régime bolchévik, démarra en 1920 à la suite de la réquisition forcée du grain et fut durement réprimée.

Le recueil comprend aussi deux récits sur la Grande guerre patriotique : "Au Hameau de Jeliabouga" et "Adlig Scwenkitten". Commandant d'une batterie de repérage par le son pour l'artillerie, Soljénitsyne narre deux épisodes guerriers auxquels il a participé, l'un en Prusse orientale, l'autre en Russie centrale, et qui sont pour lui l'occasion d'exalter le courage des soldats et des officiers de terrain, mais aussi de stigmatiser la vilenie des commissaires politiques et l'incapacité des états-majors. de retour sur le terrain au cours d'une commémoration, les habitants du hameau font part de leur détresse au vétéran Soljénitsyne.

Dans la nouvelle "Sur le fil", l'auteur se met dans la peau du Maréchal Joukov, le militaire soviétique le plus célèbre et le plus titré du pays (il a reçu sur la place Rouge la Parade de la Victoire en lieu et place de Staline). Joukov, déchu, isolé dans sa datcha, rédige son autobiographie. Il se remémore les principaux épisodes de sa vie. Communiste convaincu, sincère, il souffre des trahisons successives des dirigeants soviétiques jalousant sa puissance et sa popularité. Il se souvient également des erreurs stratégiques de Staline et de ses conseillers. Il faut rapprocher ces critiques de celles qui ont coûté si cher Soljénitsyne puisqu'on trouve dans sa biographie :
***En 1945, il est condamné à huit ans de prison dans les camps de travail pour « activité contre-révolutionnaire », après avoir critiqué dans sa correspondance privée la politique de Staline ainsi que ses compétences militaires. Dans une lettre interceptée par la censure militaire, Soljénitsyne reprochait au « génialissime maréchal, meilleur ami de tous les soldats » (selon les qualificatifs officiels) d'avoir décapité l'Armée rouge lors des « purges », d'avoir fait alliance avec Hitler et refusé d'écouter les voix qui le mettaient en garde contre l'attaque allemande, puis d'avoir mené la guerre sans aucun égard pour ses hommes et pour les souffrances de la Russie.***
L'ancien Zek semble exprimer son admiration pour le dignitaire (certes déchu) aux innombrables décorations, même s'il ne cache pas son rôle dans la répression de la révolte de Tambov. le Maréchal, diminué par la maladie, sera contraint de corriger en profondeur son autobiographie pour obtenir sa publication.

L'auteur évoque aussi la transition économique en évoquant le parcours d'hommes ambitieux et voraces qui dépècent des industries pour mieux les revendre ou qui créent des banques à partir de rien, avec en arrière-fond, le banditisme.

Les autres récits illustrent la cruauté de ces temps tragiques : capturé par les bolchéviks, un meneur est déchiré entre deux choix : doit-il trahir ses anciens camarades de combat ou sacrifier sa famille? Un professeur est interrogé par un tchékiste. Il reconnaît un de ses anciens élèves, de niveau médiocre mais d'origine prolétarienne, pour qui il s'était montré indulgent...

Les récits sont d'une qualité inégale. le lecteur peut se perdre dans la liste des liaisons successives de Nastenka, ou dans le détail d'un mouvement de batterie d'artillerie. Mais le recueil est riche d'enseignements sur l'histoire russe et sur ces destins d'hommes écrasés par leur époque tragique. J'ai découvert un autre Soljénitsyne, dans un registre différent du témoignage sur le Goulag, mais qui a gardé un oeil critique sur son époque, bien plus ouvert que pouvaient laisser présager les critiques sur ses écrits publiés à son retour en Russie. le recueil m'a semblé plus complet que celui intitulé "la maison de Matriona". Petite surprise d'un des traducteurs : j'ai trouvé un "Jeannot" dans le texte, traduction de Vania, alors que les diminutifs des prénoms russes sont toujours conservés tel quel dans le texte français.
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Neuf nouvelles, de quelques dizaines de pages. Centrées sur des personnages, dans la tourmente de l'histoire. La révolution russe, la seconde guerre mondiale, mais aussi dans certaines les transformations politiques liées à la fin de l'URSS. La plupart du temps l'individu broyé par des mécanismes qui lui échappent. 

Une écriture maîtrisée, une grande puissance d'évocation, des thématiques puisées dans le réel le plus brûlant, avec l'art d'en saisir l'essentiel. Une capacité à articuler le collectif, sociologique, historique à l'individuel, au vécu intime. En un mot on retrouve dans ces nouvelles tout ce qui fait le grand art de Soljenitsyne. Après, comme dans tout ensemble de nouvelles, il y en a que l'on trouve supérieures à d'autres. J'avoue avoir été un petit déçue par les trois premières, que j'ai trouvé un peu systématiques, peut être un peu induit par la forme de la nouvelles et sa durée réduite, ne donnant du coup qu'un seul point de vue. Mais ce sentiment de déception s'est vite dissipé avec les nouvelles suivantes, d'autant plus que certaines revenaient à des événements évoqués dans les premières, mais d'un autre point de vue, d'où le retour du plus complexe et nuancé. 

Nous avons dans ce livre, un panorama de la société russe pendant presque un siècle, d'une justesse et pertinence exceptionnelles. Et une galerie de personnages universels d'une richesse fabuleuse.
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Il faut lire ce recueil de nouvelles pour avoir une idée de ce que fut le stalinisme et le khrouchtchevisme. Je n'en dirai pas plus: les critiques précédentes ayant fort bien résumé le contenu. Je dirai juste que l'on retrouve l'art littéraire et narratif de Soljenitsyne et sa profondeur de pensée; mais une pensée exprimée au second degré presque entre les lignes car la nouvelle reste un récit et non un essai ni un traité de philosophie. de ce point de vue là, j'ose attribuer 5 étoiles ce qui signifie pour moi "chef d'oeuvre" car le style et le contenu de cet ouvrage sont -toujours selon ma fragile opinion- un sommet de la littérature du XX°S.
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Un recueil dont les nouvelles se déroulent dans la Russie de Staline ou de l'après-Staline. Elles se passent dans l'armée comme dans le civil et l'on y suit des personnages tantôt favorables tantôt opposés au système politique, chacun avec ses motivations, son contexte. le dénominateur commun, s'il en est un, c'est probablement un mélange de misère au sens large et de terreur. N'étant pas un grand amateur du format de la nouvelle, j'ai préféré le traitement d'Axionov dans sa « Saga moscovite ». Intéressant et bien écrit cependant.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Quand on est un enfant, tout est facile. Ils continuaient de rire et de courir pendant les récréations. Mais toi-même, tout au long de cette année si pénible, comment avancer, comment mener filles et garçons jusqu’à des temps meilleurs, tout en sauvegardant en eux une fraîche perception du Pur et du Beau ? Comment leur apprendre, au milieu de la difformité présente, à discerner le bon droit et la nécessité de l’Ère nouvelle ? Nastenka se rappelait nettement l’enthousiasme de Chourik. Aujourd’hui encore, elle en éprouvait la contagion : en voilà un qui savait voir !

Nastenka
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Et vous savez ce qui m’a sorti de l’impasse ? La lecture des actes judiciaires du XVII et des siècles précédents. Pendant les interrogatoires et les séances de torture, les officiers de justice notaient avec exactitude et concision les paroles des accusés. Tandis que le malheureux recevait le knout, souffrait sur le chevalet ou qu’on promenait sur lui un faisceau de branches enflammées, ce qui s’échappait de sa poitrine était une langue absolument dépouillée, qui lui sortait des tripes. Et ça, c’est une nouveauté fumante ! Voici déjà mille ans que les Russes parlent cette langue-là, mais aucun écrivain ne l’a encore utilisée. Tenez » – et il faisait tomber à la petite cuiller dans une soucoupe de verre le jus épais de la confiture d’abricots –, « c’est cet ambre transparent, c’est cette couleur et cette lumière inattendues qu’il faudrait pouvoir retrouver dans la langue littéraire. »

La confiture d'abricots
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C’est dans le désarroi qu’Ektov vécut les années de la guerre civile : à voir ses concitoyens s'entr’égorger avec férocité et à sentir peser la semelle de fer de la dictature bolchevique, il ne trouvait plus de sens à la vie de la Russie ni à la sienne propre. Jamais le pays n’avait rien connu d’approchant. La vie humaine avait perdu son cours normal, elle n’était plus l’activité d’êtres doués de raison ; sous les bolcheviques elle était réduite, tapie dans l’ombre et défigurée, à se frayer en petits ruisselets des chemins détournés ou finement calculés.

Ego
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Les ordres émanant de l’état-major de Tambov n’étaient pas strictement militaires : telle zone de reconnaissance, telle ou telle opération à mener – mais toujours et uniquement : « attaquer et anéantir ! », « encercler et liquider ! », « sans s’embarrasser de rien ! »
Et on ne s’embarrassait pas. Seul problème : comment attraper les bandits ? comment obtenir des renseignements ? C’est que le pouvoir soviétique avait disparu des villages, ses représentants s’étaient enfuis, se terrant dans les villes ; qui interroger ? Le commandant d’armée ordonne donc de convoquer une assemblée de village. Les moujiks sont alignés sur un seul rang. « Lesquels d’entre vous sont des bandits ? » Silence. « Qu’on fusille chaque n° 10 ! » Et on le fusille sur place, devant la foule. Les femmes poussent des grands cris, hurlent. « Resserrez le rang. Lesquels d’entre vous sont
des bandits ? » On recompte, on met à part les gens à exécuter. Alors ils n’y tiennent plus, ils commencent à donner des noms. D’autres se sont enfuis à toutes jambes, dans toutes les directions, impossible de les abattre tous.

Sur le fil
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C’est déjà le début de juillet. Les tilleuls sont en fleur. S’en emplir les poumons, encore, encore.
Combien nos poètes et nos écrivains ont-ils été à le rappeler ? Comme le monde est beau, mais comme les hommes le rapetissent et l’empoisonnent avec leurs haines inépuisables ! Quand donc tout cela s’apaisera-t-il ? Quand donc les gens pourront-ils vivre dans la lumière et la raison, sans entraves ni mutilations ?… Les générations en rêvent l’une après l’autre.

Ego
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Vidéo de Alexandre Soljenitsyne
Histoire de la conception, du parcours...jusqu'en France en 1968 du livre . Nombreux témoignages de personnalités en France et aussi en URSS.
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