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EAN : 9782072907166
128 pages
Gallimard (04/03/2021)
3.08/5   18 notes
Résumé :
Les représentants du vieux Dieu mort et de la vieille littérature sont destitués, mais continueront à parler et à écrire comme si de rien n’était, ce qui est sans importance, puisque plus personne n’écoute ni ne lit vraiment. Les Banques, le Sexe, la Drogue et la Technique règnent, la robotisation s’accélère, le climat explose, les virus poursuivent leurs ravages mortels, et la planète sera invivable pour l’humanité dans trente ans. Malgré tout, un nouveau Cycle a d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Philippe Sollers est une de ces grandes figures de la littérature qui m'a porté vers celle-ci, sans pourtant que jamais je n'ouvre un de ses livres.
C'est qu'à l'heure de mon apprentissage du métier de lecteur, il était de ceux que j'aimais écouter à longueur d'Apostrophes, sans bien toujours saisir d'ailleurs ni le contexte, ni les nuances de ces passionnantes conversations.
Croisé par hasard chez mon libraire, "Légende" s'est donc imposé à mon esprit comme une évidence.
Annoncé comme un roman sur sa couverture, "Légende" ne l'est pas, ou peu, malgré un fil conducteur porté par le souvenir d'un amour de jeunesse.
Ce livre, assez court, est plutôt un billet d'humeur bondissant où la philosophie japonaise du XIIIème siècle voisine avec le fait divers sordide d'aujourd'hui, où le proverbe chinois côtoie Victor Hugo.
Il y a le talent dans la plume.
Il y a la culture qui dégouline du propos, pas toujours à bon escient, ni bien amenée d'ailleurs dans celui-ci.
Mais enfin tout cela pour ça !
Une bibliographie impressionnante, une vie vouée à la réflexion pour en arriver à ce petit bouquin un peu vain.
Daphné aurait dû se méfier du temps passé et ne pas ouvrir ce livre tant il est plein de verbiage idéologique.
Cet ouvrage aurait pu s'intituler "fragments chaotiques et décadents d'un monde en paradoxe".
Car l'auteur y affiche une certaine décadence, mondaine et sûre d'elle, il faut dire ; un certain cynisme et quelques petites obsessions aussi.
Un petit passage du livre, quelques pages de celui-ci m'ont sorti de l'ennui de ma lecture : celles consacrées à Victor Hugo, qui échappent à la médiocrité du reste du livre.
Car le style ici tente de masquer la pauvreté du fond.
Et, pour y parvenir la plume emprunte des méandres tortueux et des circonvolutions un peu floues.
Ce livre est finalement très égocentré sur un complexe de mâle dominant et un mysticisme torturé.
Au final, Philippe Sollers nous fait un leg, celui d'un dieu mort et d'une vieille littérature destituée.
Merci d'avance !
Et, comme il le propose en dernière ligne puisque les masques sont tombés : à vous de juger.
Me concernant, c'est chose faite ...
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Ouvrage difficile à commenter. Je ne connais pas l'oeuvre littéraire de M. Sollers et ne sais pas non plus si c'est un dandy rive droite ou rive gauche, étant étranger à cette métropole. D'après les définitions qu'il en donne dans ce livre, il cumule les deux.
On assiste à une réflexion assez nostalgique sur l'état de la pensée contemporaine, essentiellement axée sur le sexe, mais parlant de la place de l'être humain dans notre représentation moderne de la société, comme le montre cette citation prise au hasard mais représentative de la « nouvelle prière des filles conçues artificiellement par amour » :
« Je te salue, mère no 1, et toi aussi, mère no 2 ! Vous êtes restées pures de tout contact physique avec le violeur millénaire ! Que vos ovocytes soient sanctifiés ! Que le temps des Mères sans Nom s'accomplisse ! Au nom des Mères, des Filles et du Corps Médical, Amen ! »
ou bien un peu plus loin :
« La nouvelle Trinité s'appelle Liberté, Égalité, Fraternité, à quoi il faut ajouter Maternité, Sororité, LGBTITÉ, PMA, GPA, Mariage pour tous et toutes »
Il semble s'interroger sur les nouveaux paradigmes de notre société occidentale déchristianisée, convoquant pour cela nombre de penseurs, artistes et écrivains : Céline, Mallarmé, Manet et bien d'autres. Pour commenter l'effondrement, c'est Nietzsche bien sûr qui dès 1885 décrivait le « grand homme » ainsi :
« Il aime mieux mentir que dire la vérité, il en coûte plus d'esprit et de volonté. Il porte en lui une solitude inaccessible à la louange et au blâme, une juridiction qui lui est propre et ne reconnaît aucune instance au-dessus d'elle. »
Car finalement, c'est de cela dont il s'agit, et en cela il fait penser à quelques philosophes médiatiques qui ont proclamé la fin de la civilisation occidentale. Sans acrimonie, sans haine, avec une forme de contemplation liée à l'âge et à l'absence de besoin matériel.
La nouvelle civilisation qui vient est ce que nous en faisons, ou plutôt ce que nous en disons.
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"Légende" : un titre programme. du latin "legenda" qui doit être lu, ce qui tend à faire de ce roman un livre incontournable dans la masse de production littéraire actuelle ; Texte qui accompagne une image : le livre serait un commentaire des images de notre époque ; mythe : Sollers travaille à forger sa propre légende. Il fait d'ailleurs partie du "panthéon" des grands écrivains français qu'il rejoint par différents aspects : la tendance à l'épure d'une Amélie Nothomb qui semble réduire chaque livre successif au minimum dans une quête de dépouillement (dont l'effet pour le lecteur est un rapport qualité/prix peu avantageux !) ; l'impression de relire toujours le même livre mais pas tout à fait comme avec Modiano : c'est jamais toujours la même chose ; l'érudition brillante, parfois abstruse, d'un Pascal Quignard... En l'occurrence ce nouvel opus qui prend des allures crépusculaires de bilan-testament, revêt le même protocole immuable : une liaison amoureuse avec une femme idéale, fantasmée ? (toujours belle,, toujours exceptionnelle, supérieure socialement, mentalement, sexuellement), des chapitres fragments organisés thématiquement, des figures artistiques tutélaires (ici moins affirmées, Hugo n'apparaît que fugitivement, ce que j'ai regretté car c'est là, quand il parle littérature, art... que Sollers est le meilleur), le tout sur fond de critiques mi-amusées mi-excédées sur notre époque : ici le féminisme radical qui vise un monde sans hommes, ou presque... le résultat n'est pas inintéressant, peut-être pas aussi bon que des livres précédents (ma préférence va vers le magnifique "beauté"), un peu répétitif à la longue et on est parfois agacé par le sentiment de supériorité élitiste de l'auteur qui n'évite pas toujours une vision caricaturale des choses - et de lui-même en artiste vigile, en "agent secret" de la littérature...
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Mon père, fils d’ouvrier, ayant fait fortune dans l’édification d’une usine, était sombre, préoccupé, levé très tôt, pour aller à son bureau. Il se taisait beaucoup et son athéisme était radical. Il a fait, à mon égard, quelques gestes significatifs : m’amener, très jeune, voir un télescope, m’offrir un microscope, m’emmener visiter une grotte préhistorique, attirer mon attention sur la pensée anarchiste...
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Entretien avec Philippe Sollers


– Dans quel sens comprendre le titre Légende ? Au sens étymologique de « ce qui doit être lu ? Ou encore au sens de « texte qui accompagne et explique une image » ?

— Ce qui doit être lu sonne comme une nouveauté considérable au moment où l’on peut dire qu’une multitude de livres ne demandent pas d’être lus. Lire est une activité de plus en plus ruinée par le numérique, et, ne serait-ce que pour cela, le titre a été choisi consciemment. Le texte qui accompagne et explique une image me convient aussi dans la mesure où le livre est le commentaire d’une image constante en mouvement. Mais, plus sérieusement encore, c’est un volume métaphysique en dialogue avec La Légende des siècles de Victor Hugo, ce dernier étant convoqué à plusieurs reprises en tant que personnage romanesque.





– Peut-on lire ce livre comme un manuel de survie face au rétrécissement de nos vies imposé non seulement par le(s) confinement(s) actuel(s), mais aussi, plus profondément, par la robotisation, la déshumanisation technologique ?

— Je crois que vous avez tort de parler de « nos vies ». J’évite autant que possible de résister à la tendance réaliste actuelle d’employer le « nous ». Parler de « nos vies » me paraît absolument scandaleux. Il n’y a qu’une seule vie pour chacune et chacun. Si quelqu’un accepte le rétrécissement de sa vie en dehors des besoins matériels, ça veut tout simplement dire qu’il « survit » et ne vit pas.



– Vous écrivez (dans le chapitre « Désennui », p. 37) « L’enfer est moderne, le paradis est classique ». Un rappel des valeurs humanistes, de la nécessité d’un retour à l’essentiel pour retrouver le sens de la vie ?

— Surtout pas des « valeurs humanistes ». Je me moque sans cesse de l’auteur actuel le plus propagandisé et que j’appelle précisément Nosvaleurs. Nosvaleurs a réponse à tout. Nosvaleurs est républicain, Nosvaleurs est progressiste, Novaleurs est de gauche, Nosvaleurs est moral et vous explique tout d’une façon moralisante, Nosvaleurs s’indigne tous les jours. Et je ne parle pas seulement de Pierre Nosvaleurs, auteur considérable, mais peut-être surtout de Caroline Nosvaleurs, qui est aussi pénible que son mari. Je n’ai absolument pas besoin d’un retour à l’essentiel pour retrouver le sens de la vie. L’essentiel je le respire chaque jour.



– Vous évoquez un ouvrage alchimique du XVIIe siècle, Les douze clefs de la philosophie, en convoquant au passage André Breton et René Guénon. Voyez-vous dans l’ésotérisme un continent perdu de savoirs et de sagesses qu’il est temps d’explorer ?

— Merci pour cette question qui est absolument centrale. Je crois être le seul romancier à participer du savoir que vous évoquez et qui est en général parfaitement méconnu et refoulé. Ce n’est pas par hasard que j’ai fait dans Désir, mon précédent roman, l’étude de Louis-Claude de Saint Martin, dont vous vous souvenez qu’il a été appelé « le philosophe inconnu ». Je ne pense pas qu’on puisse « explorer » l’ésotérisme. C’est un continent en effet perdu, mais que l’on peut convoquer comme une force indestructible. J’ai toujours en tête la dédicace qu’André Breton m’a envoyée en 1962 pour la réédition des Manifestes du surréalisme: « Pour Philippe Sollers, aimé des fées ». C’était un expert. Je parle beaucoup de cette magie des rencontres.



– Vous publiez simultanément un autre ouvrage, à caractère autobiographique celui-ci, Agent secret – cet « agent secret » n’étant nul autre que vous-même. De quelle manière Légende et Agent secret se répondent-ils (ou se complètent-ils) ?

— Agent secret est un récit biographique qui comporte beaucoup de photos de pans entiers de mon existence, surtout enfantine. S’y ajoute le récit de quelques une de mes rencontres les plus singulières qui ont pris chaque fois une forme de révélation. Autre envoi qui m’a singulièrement touché, lorsque Lacan photographié ici avec moi en 1975 au sortir de son séminaire sur Joyce, m’a envoyé ses Ecrits avec la dédicace suivante : « On n’est pas si seuls somme toute. » C’était pour souligner, bien sûr, à quel point on est seul, ce qui est la particularité d’un agent secret, c’est-à-dire de quelqu’un qui doit pouvoir se glisser dans plusieurs identités, y compris contradictoires, et devenir ainsi une légende.



PHILIPPE SOLLERS

Bulletin Gallimard, mars-avril, 2021
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DÉMONS

Le cinéma a mis très longtemps à s’emparer de la sexualité supposée du Christ, mais Hollywood veille à tout, et surveille sans cesse le Vatican, capitale obs­ cure des anges et des démons, quand ce n’est pas de Sodome. Le film le plus amusant est, malgré tout, La Dernière Tentation du Christ, où Jésus devient marié et père de famille, en compagnie de la grande énigme de sa vie fascinante, Marie-Madeleine. On sait qu’il était suivi d’un grand nombre de femmes, d’où le succès futur. Saint Luc, dans son Évangile, lâche une information cruciale : Marie-Madeleine, parmi beaucoup d’autres, avait été « guérie ». « Marie, appelée la Magdaléenne de laquelle étaient sortis sept démons. »

Vous vivez plus de deux mille ans après ces histoires, mais vous aimeriez en savoir davantage sur ces démons. Ils sont très bizarres, vivent dans des tombeaux, sont doués d’une force surhumaine, qui leur fait briser leurs liens ou leurs chaînes. Mieux : ils reconnaissent immédiatement le Christ comme le Fils de Dieu et le Sauveur du monde, ils le crient jusque dans les synagogues, ils se plaignent que Jésus veuille les persécuter avant la fin des temps, et demandent à être transférés dans des troupeaux de porcs, qui vont se suicider en se jetant dans la mer.

J’ouvre l’Évangile de Matthieu, et je lis :
« Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques, et il chassa les esprits d’un mot, et guérit tous les malades. » D’un mot, mais lequel ? En tout cas, ça suffit. Un démoniaque, particulièrement inspiré, crie et s’agite beaucoup. Jésus lui demande son nom, et nous avons sa réponse : « Légion, car nous sommes beaucoup. » Il est évident que ce mot vise les légions romaines, mais deux mille porcs suffiront-ils à noyer tous ces démons ? Tout cela n’est pas gentil pour les porcs, mais comme j’ai horreur des tombeaux, et que je viens de manger des travers de porc délicieux, j’en conclus que je ne suis pas démoniaque.

C’est quand même à Marie-Madeleine qu’est dévolu le rôle de découvrir le tombeau vide du Christ. Elle arrive, le cadavre a disparu, elle voit deux anges près d’un suaire. Elle se relève, stupéfaite, et voit un homme qu’elle prend pour un jardinier. Elle ne le reconnaît que lorsqu’il lui parle, en lui demandant de ne pas le toucher, car il n’est pas encore remonté vers son Père. C’est elle qui va prévenir les apôtres, qui courent comme des fous pour constater l’événement qui va transformer l’Histoire.

Marie-Madeleine était donc une démoniaque qui avait une grande habitude des tombeaux. Sept démons, c’est quand même beaucoup. A-t-elle empoisonné des maris violents qui la battaient jour et nuit ? C’est possible. Dans une autre séquence, on présente à Jésus une femme adultère que la foule brûle de lapider. Il reste silencieux, en écrivant on ne sait quoi par terre, et finit par dire : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. » La foule se retire peu à peu, les hommes sont pleins de péchés sexuels, et ils savent bien que leur cœur est creux et plein d’ordures. Le texte ne dit rien sur les femmes. La Bible est très précise sur Sodome, mais, comme c’est curieux, pas un mot sur Gomorrhe.

Si Marie-Madeleine avait été arrêtée pour sept meurtres successifs, le récit de sa vie infernale avec ses bourreaux ferait d’elle, aujourd’hui, une icône du féminisme. Récemment, une femme a été graciée par un président de la République française, quand, après quarante ans de mauvais traitements, elle a soudain décroché une carabine pour tuer son mari, en lui tirant dans le dos. Marie-Madeleine, la femme de Jésus selon Hollywood, avait un sacré caractère. Cette mère de sept enfants savait y faire. Il est plus compliqué d’inventer une fille vierge qui, par l’opération du Saint-Esprit, devient mère de Dieu, puisqu’elle est, à ce moment-là, unique, la fille de son fils. Téléphonez à Dante et à sa Divine Comédie, si vous ne voulez pas me croire.
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MYTHE
Les séances de spiritisme et de tables tournantes de Victor Hugo nous font rire, mais nous avons tort. Il doute, il cherche, il pleure, il se redresse, le gouffre le guette, la bouche d’ombre le suit comme son ombre. Il est très loin de ce livre-ci, puisqu’il a écrit : « Dieu bénit l’homme, non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché. » Dieu parle à Hugo, l’infini l’habite, des craquements mystérieux se font entendre dans les murs de sa chambre, les morts le recherchent, il est à leur service, il est en grand deuil de sa fille de 20 ans noyée, dès son mariage, en même temps que son mari. Il est inconsolable, il adore les enfants, ses fréquentations dans l’au-delà sont prestigieuses, ce qui ne l’empêche pas d’être progressiste et tout dévoué au peuple.
Le désespoir le ronge, mais l’amour triomphe. « Amour » est le mot qui revient sans cesse pour le sauver. Cinquante ans de liaison avec Juliette Drouet, et voilà un roman sublime, mais ce qui intrigue le plus, chez Hugo, c’est la surpuissance sexuelle dont Dieu semble l’avoir doué. Il note toutes ses cabrioles hétéros, est surpris par la police en plein adultère, mais comme il est pair de France, il est aussitôt relâché. La France a été séduite par ce grand pécheur innocent, qui, aujourd’hui, comme Gide, aurait des problèmes avec l’opinion. On retient, pour le faire acquitter, qu’il est contre la peine de mort, pour la liberté de la presse et, constamment, pour l’amnistie des Communards. Sa mort et son transfert au Panthéon ont mis dans la rue une foule immense, vite alcoolisée et orgiaque, puisque même les prostituées (dont Hugo faisait grand usage) ont, cette nuit-là, souvent opéré gratis.

J’aime le Hugo direct et très simple : « On vit, on parle, on a les nuages sur la tête. » Ou bien : « On était peu nombreux, le choix faisait la fête. » Je l’aime aussi quand il délire, et il délire sans arrêt : « L’abîme semble fou sous l’ouragan de l’être. » J’ai parlé de son courage, qui est évident. Ainsi d’une de ses premières notations, en exil, après le coup d’État de Napoléon le Petit, à Bruxelles, en décembre 1851 :
« Une fois ceux que j’aime en sûreté, qu’importe le reste : un grenier, un lit de sangle, une chaise de paille, une table et de quoi écrire, cela me suffit. »
Quant aux délires récurrents, le voici à Guernesey, à Hauteville House, dans une nuit d’avril 1856 :

« Réveillé au milieu de la nuit par trois coups vifs, secs et distincts, sur mon mur en dedans de ma chambre. Rien ensuite. Rendormi. »

La plus belle nuit est celle du 9 au 10 avril :
« Je suis rentré et je me suis couché à minuit. Sitôt ma bougie soufflée, la chambre a été comme remplie d’un bruit singulier. C’était comme si les papiers jetés dans ma cheminée et ceux entassés sur ma table entraient en mouvement tous à la fois. Il y avait au dehors quelques souffles de vent, mais quand les fenêtres sont fermées, même un vent très violent n’agite les papiers ni sur ma table ni dans ma cheminée... Le bruit était si vif, si persistant, si compliqué de frémissements étranges, quelques-uns dans l’intérieur même du mur, qu’il m’a tenu éveillé, et, en l’écoutant, je priais pour les êtres qui souffrent. Plusieurs fois, j’ai dit dans ma pensée : “Si quelqu’un est là, qu’il frappe trois coups sur le mur”, alors j’entendais non des frappements distincts comme ceux que j’ai déjà constatés, mais de petits battements obscurs, fébriles, dépassant de beaucoup le nombre trois, et comme impatients. Le bruit durait encore quand je me suis endormi, vers trois heures. J’ajoute qu’à un certain moment j’ai cru sentir un bercement dans mon lit, mais très vague. »

Toute sa vie, Hugo sera poursuivi par des bruits bizarres, en général trois coups, comme frappés au marteau, dans le mur de ses chambres, ou sur le montant de ses lits. Il a un corps sonore qui perturbe l’espace. Trois coups, donc, comme au théâtre, le rideau se lève, et vous assistez au mythe Hugo. À son retour d’exil, comme s’il rentrait vivant de Sainte-Hélène, Napoléon le Grand s’appelle Victor Hugo. Les foules l’acclament mais lui, habilement, crie « Vive la République ! ». La République, c’est lui. En 1873, il note :
« Que suis-je ? Seul, je ne suis rien. Avec un principe, je suis tout. Je suis la civilisation, je suis le progrès, je suis la Révolution française, je suis la révolution sociale. »

Le mythe a marché, il marche toujours. De nos jours, il aurait sans doute des ennuis avec les réseaux sociaux à cause de son agitation sexuelle. Son Dieu humaniste est mort, mais sa bonne pensée généreuse est respectée partout. Pour le monde entier, c’est le sage et voyant Grand-Père.
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LÉGENDE

Entretien avec Philippe Sollers





– Dans quel sens comprendre le titre Légende ? Au sens étymologique de « ce qui doit être lu ? Ou encore au sens de « texte qui accompagne et explique une image » ?

— Ce qui doit être lu sonne comme une nouveauté considérable au moment où l’on peut dire qu’une multitude de livres ne demandent pas d’être lus. Lire est une activité de plus en plus ruinée par le numérique, et, ne serait-ce que pour cela, le titre a été choisi consciemment. Le texte qui accompagne et explique une image me convient aussi dans la mesure où le livre est le commentaire d’une image constante en mouvement. Mais, plus sérieusement encore, c’est un volume métaphysique en dialogue avec La Légende des siècles de Victor Hugo, ce dernier étant convoqué à plusieurs reprises en tant que personnage romanesque.





– Peut-on lire ce livre comme un manuel de survie face au rétrécissement de nos vies imposé non seulement par le(s) confinement(s) actuel(s), mais aussi, plus profondément, par la robotisation, la déshumanisation technologique ?

— Je crois que vous avez tort de parler de « nos vies ». J’évite autant que possible de résister à la tendance réaliste actuelle d’employer le « nous ». Parler de « nos vies » me paraît absolument scandaleux. Il n’y a qu’une seule vie pour chacune et chacun. Si quelqu’un accepte le rétrécissement de sa vie en dehors des besoins matériels, ça veut tout simplement dire qu’il « survit » et ne vit pas.



– Vous écrivez (dans le chapitre « Désennui », p. 37) « L’enfer est moderne, le paradis est classique ». Un rappel des valeurs humanistes, de la nécessité d’un retour à l’essentiel pour retrouver le sens de la vie ?

— Surtout pas des « valeurs humanistes ». Je me moque sans cesse de l’auteur actuel le plus propagandisé et que j’appelle précisément Nosvaleurs. Nosvaleurs a réponse à tout. Nosvaleurs est républicain, Nosvaleurs est progressiste, Novaleurs est de gauche, Nosvaleurs est moral et vous explique tout d’une façon moralisante, Nosvaleurs s’indigne tous les jours. Et je ne parle pas seulement de Pierre Nosvaleurs, auteur considérable, mais peut-être surtout de Caroline Nosvaleurs, qui est aussi pénible que son mari. Je n’ai absolument pas besoin d’un retour à l’essentiel pour retrouver le sens de la vie. L’essentiel je le respire chaque jour.



– Vous évoquez un ouvrage alchimique du XVIIe siècle, Les douze clefs de la philosophie, en convoquant au passage André Breton et René Guénon. Voyez-vous dans l’ésotérisme un continent perdu de savoirs et de sagesses qu’il est temps d’explorer ?

— Merci pour cette question qui est absolument centrale. Je crois être le seul romancier à participer du savoir que vous évoquez et qui est en général parfaitement méconnu et refoulé. Ce n’est pas par hasard que j’ai fait dans Désir, mon précédent roman, l’étude de Louis-Claude de Saint Martin, dont vous vous souvenez qu’il a été appelé « le philosophe inconnu ». Je ne pense pas qu’on puisse « explorer » l’ésotérisme. C’est un continent en effet perdu, mais que l’on peut convoquer comme une force indestructible. J’ai toujours en tête la dédicace qu’André Breton m’a envoyée en 1962 pour la réédition des Manifestes du surréalisme: « Pour Philippe Sollers, aimé des fées ». C’était un expert. Je parle beaucoup de cette magie des rencontres.



– Vous publiez simultanément un autre ouvrage, à caractère autobiographique celui-ci, Agent secret – cet « agent secret » n’étant nul autre que vous-même. De quelle manière Légende et Agent secret se répondent-ils (ou se complètent-ils) ?

— Agent secret est un récit biographique qui comporte beaucoup de photos de pans entiers de mon existence, surtout enfantine. S’y ajoute le récit de quelques une de mes rencontres les plus singulières qui ont pris chaque fois une forme de révélation. Autre envoi qui m’a singulièrement touché, lorsque Lacan photographié ici avec moi en 1975 au sortir de son séminaire sur Joyce, m’a envoyé ses Ecrits avec la dédicace suivante : « On n’est pas si seuls somme toute. » C’était pour souligner, bien sûr, à quel point on est seul, ce qui est la particularité d’un agent secret, c’est-à-dire de quelqu’un qui doit pouvoir se glisser dans plusieurs identités, y compris contradictoires, et devenir ainsi une légende.



PHILIPPE SOLLERS

Bulletin Gallimard, mars-avril, 2021
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Vidéo de Philippe Sollers
Dialogue autour de l'oeuvre de Philippe Sollers (1936-2023). Pour lire des extraits et se procurer l'essai SOLLERS EN SPIRALE : https://laggg2020.wordpress.com/sollers-en-spirale/ 00:04:45 Début
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