AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Lucien Brunel (Éditeur scientifique)
EAN : 9782743619589
397 pages
Payot et Rivages (11/02/2009)
4.33/5   3 notes
Résumé :

De tous les ouvrages de Voltaire. le plus précieux. le plus intéressant pour l'histoire, mais aussi aux yeux de la critique. c'est sa Correspondance. Les lettres de Voltaire ne font qu'un avec sa vie, elles la racontent jour par jour. On s'explique sans peine quelle peut être la valeur d'un pareil document. où nous est présentée l'existence d'un homme qui a vécu quatre-vingt-quatre ans. qui à vingt-cinq ans éta... >Voir plus
Que lire après Lettres (1711-1778)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un ouvrage magnifique la correspondance De Voltaire est splendide et son propos tres moderne, la lecture est facile et rapide et les sujets variés, un très beau livre en tout cas !
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
16. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Du fond d’un yacht, ce 19 décembre.

Je suis parti hier lundi, à huit heures du matin, avec M. de M ***. Lefèvre nous accompagna jusqu’à Rotterdam, où nous prîmes un yacht qui doit nous conduire à Anvers ou à Gand. Je n’ai pu vous écrire de Rotterdam, et Lefèvre s’est chargé de vous donner de mes nouvelles ; je pars sans vous voir, ma chère Pimpette, et le chagrin dont je suis rongé actuellement est aussi grand que mon amour. Je vous laisse dans la situation du monde la plus cruelle ; je connais tous vos malheurs mieux que vous, et je les regarde comme les miens, d’autant plus que vous les méritez moins. Si la certitude d’être aimé peut servir de quelque consolation, nous devons un peu nous consoler tous deux ; mais que nous servira le bonheur de nous aimer, sans celui de nous voir ? C’est alors que je pourrais avec raison me regarder comme le plus heureux de tous les hommes. Comme j’aime votre vertu autant que vous, n’ayez aucun scrupule sur le retour que vous devez à ma tendresse. Je fais humainement tout ce que je puis pour vous tirer du comble des malheurs où vous êtes. N’allez pas changer de résolution, vous en seriez cruellement punie, en restant dans le pays où vous êtes. Le désir que j’ai de vous procurer le sort que vous méritez me force à vous parler ainsi ; quelque part que je sois, je passerai des jours bien tristes si je les passe sans vous ; mais je mènerai une vie bien plus misérable si la seule personne que j’aime reste dans le malheur ; je crois que vous avez pris une ferme résolution que rien ne peut changer ; l’honneur vous engage à quitter la Hollande : que je suis heureux que l’honneur se trouve d’accord avec l’amour ! Écrivez-moi à Paris, à mon adresse, tous les ordinaires ; mandez-moi les moindres particularités qui vous regarderont : ne manquez pas à m’envoyer, dans la première lettre que vous m’écrirez, une autre lettre s’adressant à moi, dans laquelle vous me parlerez comme à un ami et non comme à un amant ; vous y ferez succinctement la peinture de tous vos malheurs : que votre vertu y paraisse dans tout son jour sans affectation. Enfin servez-vous de tout votre esprit pour m’écrire une lettre que je puisse montrer à ceux à qui je serai obligé de parler de vous : que notre tendresse cependant ne perde rien à tout cela ; et si, dans cette lettre dont je vous parle, vous ne me parlez que d’estime, marquez-moi, dans l’autre, tout l’amour que le mien mérite ; surtout informez-moi de votre chère santé, pour laquelle je tremble ; vous aurez besoin de toute votre force pour soutenir les fatigues du voyage sur lequel je compte ; et il faudra, ou que monsieur votre père soit aussi fou que M. B…[1], ou que vous reveniez en France jouir du bien-être que vous méritez ; mais je me fais déjà les idées les plus agréables du monde de votre séjour à Paris. Vous seriez bien cruelle envers vous et envers moi si vous trompiez mes espérances ; mais non, vous n’avez pas besoin d’être fortifiée dans vos bons sentiments ; et, au regret près d’être séparé de vous pour quelque temps, je n’ai point à me plaindre. La première chose que je ferai, en arrivant à Paris, ce sera de mettre le P. Tournemine[2] dans vos intérêts, ensuite je rendrai vos lettres ; je serai obligé d’expliquer à mon père le sujet de mon retour, et je me flatte qu’il ne sera pas tout à fait fâché contre moi, pourvu qu’on ne l’ait point prévenu ; mais, quand je devrais encourir toute sa colère, je me croirai toujours trop heureux lorsque je penserai que vous êtes la personne du monde la plus aimable, et que vous m’aimez. Je n’ai point passé dans ma petite vie de plus doux moments que ceux où vous m’avez juré que vous répondiez à ma tendresse ; continuez-moi ces sentiments, autant que je les mériterai, et vous m’aimerez toute votre vie. Cette lettre-ci vous viendra, je crois, par Gand, où nous devons aborder : nous avons un beau temps et un bon vent, et par-dessus cela, de bon vin et de bons pâtés, de bons jambons et de bons lits. Nous ne sommes que nous deux, M. de M*** et moi, dans un grand yacht : il s’occupe à écrire, à manger, à boire, et à dormir, et moi à penser à vous : je ne vous vois point, et je vous jure que je ne m’aperçois point que je suis dans la compagnie d’un bon pâté et d’un homme d’esprit. Ma chère Olympe me manque, mais je me flatte qu’elle ne me manquera pas toujours, puisque je ne voyage que pour vous faire voyager vous-même. N’allez pas prendre pourtant exemple sur moi ; ne vous affligez point, et joignez à la faveur que vous me faites de m’aimer celle de me faire espérer que je vous verrai bientôt ; encore un coup écrivez-moi tous les ordinaires, et, si vous êtes sage, brûlez mes lettres, et ne m’exposez point une seconde fois au chagrin de vous voir maltraitée pour moi ; ne vous exposez point aux fureurs de votre mère ; vous savez de quoi elle est capable. Hélas ! vous ne l’avez que trop expérimenté ; dissimulez avec elle, c’est le seul parti qu’il y a à prendre : dites, ce que j’espère que vous ne ferez jamais, dites que vous m’avez oublié ; dites que vous me haïssez, et aimez-m’en davantage ; conservez votre santé et vos bonnes intentions. Plût au ciel que vous fussiez déjà à Paris : ah ! que je me récompenserais bien alors de notre cruelle séparation ! Ma chère Pimpette, vous aurez toujours en moi un véritable amant et un véritable ami ; qu’on est heureux quand on peut unir ces deux titres, qui sont garants l’un de l’autre ! Adieu, mon adorable maîtresse ; écrivez-moi dès que vous aurez reçu ma lettre, et adressez la vôtre à Paris ; surtout ne manquez pas à m’envoyer celle que je vous demande, au commencement de celle-ci : rien n’est plus essentiel. Je crois que vous êtes à présent en état d’écrire, et, comme on se persuade ce qu’on souhaite, je me flatte que votre santé est rétablie. Hélas ! votre maladie m’a privé du plaisir de recevoir de vos nouvelles ; réparons vite le temps perdu. Adieu, mon cher cœur ; aimez-moi autant que je vous aime : si vous m’aimez, ma lettre est bien courte. Adieu, ma chère maîtresse ; je vous estime trop pour ne vous pas aimer toujours.


Voyez page 18.
René-Joseph de Tournemine, jésuite, né à Rennes en 1661, mort le 16 mai 1739, à qui sont adressées trois lettres en 1735. Il écrivit, en 1738, au P. Brumoy, une Lettre sur la tragédie de Mérope ; voyez, tome IV, page 177.
Commenter  J’apprécie          10
4[1]. — À M. FYOT DE LA MARCHE.

Ce 23 juillet[2].
Que je suis ravy, mon cher amy, que vous n’ayez point succombé à la tentation de ne me point écrire ; étois-ce la lecture de ma dernière lettre qui vous avoit inspiré une telle pensée ? N’étois-ce point quelque démon plus méchant sans doute que le lutin Complégor, je dis plus méchant, car il me seroit plus sensible d’être privé de vos lettres que d’être assassiné des couplets de M. Dauphin[3]. Vos lettres sont des témoignages de votre amitié, ses satires sont des marques de sa légèreté : lesquelles des deux doivent me toucher davantage ; je sçay que quelquefois ce n’est point l’amitié qui dicte les lettres, comme ce n’est pas souvent la simple légèreté qui éguise les traits de la satire ; mais je ne puis douter icy que la prose que vous m’écrivez et que les vers que forgeoit notre poète ne partent de ces principes. J’ai veu hier votre ancien précepteur qui m’a fait craindre qu’une autre raison que le prétexte de m’importuner ne vous empêchât de me donner de vos nouvelles ; j’ay été un peu fâché, je vous l’avoue, d’apprendre d’un autre que de vous que vous aviez été malade, et j’allois mettre la main à la plume pour m’informer à vous de votre santé, lorsque j’ay receu votre lettre, qui a dissipé et le chagrin que j’avois de votre indisposition et la crainte où j’étois que vous ne m’eussiez un peu oublié. Pardonnez moy ce petit soupçon dont je vous fait part si témérairement. N’est-il pas juste qu’une personne qui vous aime autant que je le fais se plaigne d’avoir été quinze jours sans recevoir de vos nouvelles : pardonnez moy cette plainte, et je vous pardonneray votre petite négligence ; il faut que tout soit égal dans l’amitié, et pour réparer notre faute, je ne me plaindray plus, et pour vous votre pénitence sera de m’écrire dès que vous aurez receu ma lettre. Que je vous impose avec plaisir cette pénitence ! Je souhaite que vous la receviez de mesme ; le mot de pénitence me fait ressouvenir d’une chose assez plaisante que me dit M. Blanchard, qui me vint voir ces jours passez : il m’apprit que vous aviez fait partie avec moy de vous faire relligieux ; je répondis que je n’avois pas assez de mérite pour tourner de ce costé là, et que vous aviez trop d’esprit pour faire une pareille sottise. En effet je ne crois pas que nous ayons grande envie d’imiter certains écoliers du collége des jésuittes, qui dans une conversation pieuse et badine, je n’ose pas dire ridicule, ayant fait réflexion sur les dangers du monde dont ils ne connoissoient pas encor les charmes, et sur les douceurs de la vie religieuse dont ils ne prévoyoient pas les dégoûts, conclurent enfin qu’il falloit renoncer au monde ; il ne leur restoit plus que l’embarras de choisir l’ordre où ils prétendoient recueillir les fruits de leur conversation ; choisir étoit trop pour eux ; tout genre de vie leur paroissoit bon pourveü qu’ils quittassent le pays du crime : c’est ainsi qu’ils appeloient tout ce qui n’étoit point cloître ou moinerie ; tous les ordres considérez l’un aprez l’autre en un quart d’heure leur paroissoient si doux qu’ils ne pouvoient s’attacher à aucun sans regretter les autres, et ne se fussent jamais déterminez, ainsi que l’âne de Buridan, qui mourut entre deux picotins d’avoine ; enfin comme la raison ne pouvoit décider, ils résolurent de faire le sort maître du party qu’ils devoient prendre pour le reste de leur vie ; l’habit des successeurs d’Élysée échüt à l’un, l’autre eüt pour son partage le bonnet et la robe des faiseurs d’évesques : ainsi un coup de dez détermina la vocation d’un carme et d’un jésuite. Pour moy ma vocation est d’être toujours de vos amis ; je renoncerois à beaucoup d’autres en faveur de celle là. Soufrez que je réitère à la fin de ma lettre une prière que je vous ay fait au commencement, c’est celle de me récrire ; et afin que vous n’ayez aucun scrupule, je vous apprends que je ne soutiens point de demy acte[4] ; mon père a changé de résolution, et mon mal de teste qui m’empêche d’étudier m’a fait aussi changer d’envie ; ainsi vous n’aurez plus aucun prétexte de délay. Et moy, flatté de l’espérance que je vois[5] recevoir une de vos lettres dans quatre ou cinq jours d’icy, je mets à la fin de la mienne avec bien du plaisir : je suis votre très-humble serviteur et amy

Arouet.

Publiée dans Voltaire au collège.
1711.
Dauphin, condisciple de Voltaire et de M. de La Marche. Le 2 juillet 1711, dans une lettre adressée à son ancien élève de La Marche, le P. Paullou raconte l’histoire de ces couplets auxquels fait allusion Voltaire : « Quelque temps auparavant, M. Dauphin s’étoit fait renvoyer du collège pour avoir fait une satyre de trois à quatre cents vers françois, dont la matière surpasse de beaucoup tout ce que les ennemis les plus envenimés de Rousseau luy ont jamais attribué. Il semble que ses meilleurs amis ayent été le but principal de ses fureurs et de ses calomnies ; mais ce qui a sauvé ses amis n’a servi qu’à mettre le comble à sa perte. On se persuade icy que sa famille ne le renverra point à Paris ; mais comme il pourroit encor oser vous écrire, il est bon que vous sçachiez qu’il est désormais absolument indigne de votre amitié. » De son côté, un autre condisciple de M. de La Marche, nommé Pellot, parent des Leclerc de Lesseville, lui écrivait à la date du 25 juillet 1711 : « Pour l’affaire de Dauphin, je n’en sçay pas plus que vous. Je n’ay ny vu ny lu les vers qu’il a faits ; tout ce que je sçay, c’est qu’il est sorty du collège assez promptement, et qu’Arouet depuis ce temps-là m’a paru fort triste. » (Lettres inédites.)
Ces vers du jeune Dauphin lui avaient été évidemment inspirés par l’affaire des fameux couplets imputés à Rousseau. Celui-ci suivait alors en effet sa procédure contre Saurin, à qui il attribuait la satire colportée au café Laurent, afin de se décharger des accusations dont il était l’objet lui-même. C’est seulement le 7 avril 1712 qu’un arrêt du parlement de Paris déclara Jean-Baptiste Rousseau dûment atteint et convaincu d’avoir composé et distribué des vers « impurs, satiriques et diffamatoires », et le bannit à perpétuité du royaume. Rousseau s’était déjà volontairement expatrié dès l’année précédente. L’abbé Chérier a été soupçonné d’être l’auteur des couplets dont nous parlons.

Arouet connaissait déjà J.-B. Rousseau à cette époque. Ce dernier raconte lui-même avoir assisté au mois d’août 1710 à la distribution des prix du collège Louis-le-Grand, et y avoir remarqué un jeune écolier « d’assez mauvaise physionomie, mais d’un regard vif et éveillé, qui vint l’embrasser de fort bonne grâce». C’était Voltaire. (H. B.)

C’était l’épreuve publique qui terminait l’année scolaire pour l’écolier qui se disposait à quitter le collége. La famille, les amis, les protecteurs, étaient conviés à ces solennités littéraires, qui avaient un certain retentissement dans le monde de l’Université et quelquefois au delà. M. Edmond, dans son Histoire du collége Louis-le-Grand, a cité un compte-rendu de la thèse soutenue par le fils de Louvois en 1681. (H. B.)
Pour : vais. Voltaire, comme vous voyez, est bien loin de son orthographe.
Commenter  J’apprécie          00
30. — À M. DE LA FAYE[1].

1716
La Faye, ami de tout le monde.
Qui savez le secret charmant
De réjouir également
Le philosophe, l’ignorant.
Le galant à perruque blonde ;
Vous qui rimez, comme Ferrand[2],
Des madrigaux, des épigrammes.
Qui chantez d’amoureuses flammes
Sur votre luth tendre et galant ;
Et qui même assez hardiment

Osâtes prendre votre place
Auprès de Malherbe et d’Horace,
Quand vous alliez sur le Parnasse
Par le café de la Laurent[3].

Je voudrais bien aller aussi au Parnasse, moi qui vous parle : j’aime les vers à la fureur ; mais j’ai un petit malheur, c’est que j’en fais de détestables, et j’ai le plaisir de jeter tous les soirs au feu tout ce que j’ai barbouillé dans la journée.

Parfois je lis une belle strophe de votre ami M. de Lamotte, et puis je me dis tout bas : « Petit misérable, quand feras-tu quelque chose d’aussi bien ? » Le moment d’après, c’est une strophe peu harmonieuse et un peu obscure, et je me dis : « Garde-toi d’en faire autant. » Je tombe sur un psaume ou sur une épigramme ordurière de Rousseau ; cela éveille mon odorat : je veux lire ses autres ouvrages, mais le livre me tombe des mains. Je vois des comédies à la glace, des opéras fort au-dessous de ceux de l’abbé Pic[4], une épître au comte d’Ayen qui est à faire vomir, un petit voyage[5] de Rouen fort insipide, une ode à M. Duché fort au-dessous de tout cela ; mais, ce qui me révolte et ce qui m’indigne, c’est le mauvais cœur qui perce à chaque ligne. J’ai lu son épître à Marot, où il y a de très-beaux morceaux ; mais je crois y voir plutôt un enragé qu’un poète. Il n’est pas inspiré, il est possédé : il reproche à l’un sa prison, à l’autre, sa vieillesse ; il appelle celui-ci athée, celui-là, maroufle. Où donc est le mérite de dire en vers de cinq pieds des injures si grossières ? Ce n’était pas ainsi qu’en usait M. Despréaux, quand il se jouait aux dépens des mauvais auteurs : aussi son style était doux et coulant ; mais celui de Rousseau me paraît inégal, recherché, plus violent que vif, et teint, si j’ose m’exprimer ainsi, de la bile qui le dévore. Peut-on souffrir qu’en parlant de M. de Crébillon, il dise qu’il vient de sa griffe Apollon molester ?

Quels vers que ceux-ci :

Ce rimeur si sucré
Devient amer, quand le cerveau lui tinte,
Plus qu’aloès ni jus de coloquinte !

(Epître à Cl. Marot.)
De plus, toute cette épître roule sur un raisonnement faux : il veut prouver que tout homme d’esprit est honnête homme, et que tout sot est fripon ; mais ne serait-il pas la preuve trop évidente du contraire, si pourtant c’est véritablement de l’esprit que le seul talent de la versification ? Je m’en rapporte à vous et à tout Paris. Rousseau ne passe point pour avoir d’autre mérite ; il écrit si mal en prose que son factum est une des pièces qui ont servi à le faire condamner. Au contraire celui de M. Saurin est un chef-d’œuvre.

. . . . . Et quid facundia posset
Tum patuit . . . . .

(ovid., Métam., XIII, v. 382.)

Enfin voulez-vous que je vous dise franchement mon petit sentiment sur MM. de Lamotte et Rousseau ? M. de Lamotte pense beaucoup, et ne travaille pas assez ses vers : Rousseau ne pense guère, mais il travaille ses vers beaucoup mieux. Le point serait de trouver un poète qui pensât comme Lamotte, et qui écrivît comme Rousseau (quand Rousseau écrit bien, s’entend) ; mais

Pauci, quos æquus amavit
Jupiter, aut ardens evexit ad æthera virtus,
Dîri geniti, potuere…

(En., VI, 129.)
J’ai bien envie de revenir bientôt souper avec vous et raisonner de belles-lettres : je commence à m’ennuyer beaucoup ici[6]. Or il faut que je vous dise ce que c’est que l’ennui :

Car vous qui toujours le chassez,
Vous pourriez l’ignorer peut-être :

Trop heureux si ces vers, à la hâte tracés,

Ne l’ont pas déjà fait connaître !
C’est un gros dieu lourd et pesant,
D’un entretien froid et glaçant,
Qui ne rit jamais, toujours bâille.
Et qui, depuis cinq ou six ans,
Dans la foule des courtisans
Se trouvait toujours à Versaille.
Mais on dit que, tout de nouveau,
Vous l’allez revoir au parterre.
Au Capricieux[7] de Rousseau :
C’est là sa demeure ordinaire.

Au reste je suis charmé que vous ne partiez pas si tôt pour Gênes[8] ; votre ambassade m’a la mine d’être pour vous un bénéfice simple. Faites-vous payer de votre voyage, et ne le faites point : ne ressemblez pas à ces politiques errants qu’on envoie de Parme à Florence, et de Florence à Holstein, et qui reviennent enfin ruinés dans leur pays, pour avoir eu le plaisir de dire : le roi mon maître. Il me semble que je vois des comédiens de campagne qui meurent de faim après avoir joué le rôle de César et de Pompée.

Non, cette brillante folie
N’a point enchaîné vos esprits :
Vous connaissez trop bien le prix
Des douceurs de l’aimable vie
Qu’on vous voit mener à Paris
En assez bonne compagnie ;
Et vous pouvez bien vous passer
D’aller loin de nous professer
La politique en Italie.

Cette lettre, dont l’auteur parle dans celle de juillet 1732 à Formont, est sans date dans une édition de 1732. Les allusions qu’elle contient autorisent à croire qu’elle est de 1716, ou des premiers mois de 1717. Quant aux premiers vers de cette lettre, on les retrouve, avec de légers changements, dans la Fête de Bélébat, où ils sont adressés au président Hénault. (Cl.) — Sur La Faye, voyez la note 4. tome XIV, page 88.
Sur Ferrand, voyez tome XIV, page 71.
Sur ce café, voyez tome XXII, page 333.
Voyez tome XXII, page 16.
Il est intitulé Lettre à M. de La Fosse, poète tragique, écrite de Rouen ; en vers de huit syllabes.
À Sully-sur-Loire, lieu de son exil.
Mauvaise pièce de Rousseau qu’on voulait mettre au théâtre, mais qu’on fut obligé d’abandonner aux répétitions. (Note de Voltaire.) — Cette note est de 1732. Le Capricieux avait été joué le 17 décembre 1700.
M. de La Paye était nommé envoyé extraordinaire à Gênes. (Note de 1732.) — La Faye figure dans l’Almanach royal de 1716 et de 1717 comme envoyé extraordinaire à Gênes, et non dans celui de 1718. (Cl.)
Commenter  J’apprécie          00
6. — À MADEMOISELLE DUNOYER[1].

1713.
Lisez cette lettre en bas, et fiez-vous au porteur.
Je crois, ma chère demoiselle, que vous m’aimez ; ainsi préparez-vous à vous servir de toute la force de votre esprit dans cette occasion. Dès que je rentrai hier au soir à l’hôtel, M. L.[2] me dit qu’il fallait partir aujourd’hui, et tout ce que j’ai pu faire a été d’obtenir qu’il différât jusqu’à demain ; mais il m’a défendu de sortir de chez lui jusqu’à mon départ ; sa raison est qu’il craint que madame votre mère ne me fasse un affront qui rejaillirait sur lui et sur le roi. Il ne m’a pas seulement permis de répliquer, il faut absolument que je parte, et que je parte sans vous voir. Vous pouvez juger de ma douleur ; elle me coûterait la vie, si je n’espérais de pouvoir vous servir en perdant votre chère présence. Le désir de vous voir à Paris me consolera dans mon voyage. Je ne vous dis plus rien pour vous engager à quitter votre mère, et à revoir votre père[3], des bras duquel vous avez été arrachée pour venir ici être malheureuse.... Si vous balanciez un moment, vous mériteriez presque tous vos malheurs. Que votre vertu se montre ici tout entière ; voyez-moi partir avec la même résolution que vous devez partir vous-même. Je serai à l’hôtel toute la journée. Envoyez-moi trois lettres, pour monsieur votre père, pour monsieur votre oncle, et pour madame votre sœur[4] ; cela est absolument nécessaire, et je ne les rendrai qu’en temps et lieu, surtout celle de votre sœur : que le porteur de ces lettres soit le cordonnier, promettez-lui une récompense ; qu’il vienne ici une forme à la main, comme pour venir accommoder mes souliers ; joignez à ces lettres un billet pour moi : que j’aie en partant cette consolation ; surtout, au nom de l’amour que j’ai pour vous, ma chère, envoyez-moi votre portrait, faites tous vos efforts pour l’obtenir de madame votre mère ; il sera bien mieux entre mes mains que dans les siennes, puisqu’il est déjà dans mon cœur. Le valet que je vous envoie est entièrement à moi ; si vous voulez le faire passer, auprès de votre mère, pour un faiseur de tabatières, il est Normand, et jouera fort bien son rôle : il vous rendra toutes mes lettres, que je mettrai à son adresse, et vous me ferez tenir les vôtres par lui ; vous pouvez lui confier votre portrait. Je vous écris cette lettre pendant la nuit, et je ne sais pas encore comment je partirai ; je sais seulement que je partirai : je ferai tout mon possible pour vous voir demain avant de quitter la Hollande. Cependant, comme je ne puis vous en assurer, je vous dis adieu, mon cher cœur, pour la dernière fois : je vous le dis en vous jurant toute la tendresse que vous méritez. Oui, ma chère Pimpette, je vous aimerai toujours : les amants les moins fidèles parlent de même ; mais leur amour n’est pas fondé, comme le mien, sur une estime parfaite : j’aime votre vertu autant que votre personne, et je ne demande au ciel que de puiser auprès de vous les nobles sentiments que vous avez. Ma tendresse me fait compter sur la vôtre ; je me flatte que je vous ferai souhaiter de voir Paris ; je vais dans cette belle ville solliciter votre retour : je vous écrirai tous les ordinaires par le canal de Lefèvre, à qui je vous prie de donner quelque chose pour chaque lettre, afin de l’encourager à bien faire. Adieu encore une fois, ma chère maîtresse ; songez un peu à votre malheureux amant, mais n’y songez point pour vous attrister ; conservez votre santé, si vous voulez conserver la mienne ; ayez surtout beaucoup de discrétion ; brûlez ma lettre, et toutes celles que vous recevrez de moi : il vaut mieux avoir moins de bonté pour moi, et avoir plus de soin de vous ; consolons-nous par l’espérance de nous revoir bientôt, et aimons-nous toute notre vie. Peut-être viendrai-je moi-même vous chercher : je me croirais alors le plus heureux des hommes ; mais enfin, pourvu que vous veniez, je suis trop content ; je ne veux que votre bonheur ; je voudrais le faire aux dépens du mien, et je serai trop récompensé quand je me rendrai le doux témoignage que j’ai contribué à vous remettre dans votre bien-être. Adieu, mon cher cœur ; je vous embrasse mille fois.

Arouet.
Lefèvre vient de m’avertir ce matin qu’on lui a ordonné de rendre à Son Excellence les lettres que je lui donnerais à porter ; ainsi, sans doute, on interceptera les lettres qui viendront par son canal : choisissez donc quelqu’un à qui l’on puisse se fier, s’il en est dans le monde ; vous me manderez son adresse ; surtout envoyez-moi ce soir vos lettres, et instruisez bien votre commissionnaire ; ne chargez point Lisbette de ce message ; tenez-vous prête demain de bonne heure : je tâcherai de vous voir avant de partir, et nous prendrons nos dernières mesures.

Arouet.

Les quatorze lettres de Voltaire à Mlle Olympe ou Pimpette Dunoyer (voyez tome XV, page 127) ont été publiées pour la première fois dans l’édition de 1720 des Lettres historiques et galantes de Mme Dunoyer. On les comprit dans le tome V d’une Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire, Amsterdam, 1704 ; mais elles n’étaient point dans les éditions faites à Kehl. M. Renouard les admit, en 1821, dans son édition des Œuvres de Voltaire. Les lacunes qu’elles présentent donnent à penser que Mme Dunoyer a supprimé les passages qui n’étaient pas flatteurs pour elle. (B.)
Il faut lire : Monsieur l’Ambassadeur, le marquis de Châteauneuf. Ces abréviations furent faites par la mère de Mme Dunoyer, qui publia ces lettres d’amour.
Le père de Mlle Dunoyer vivait en France. La fille avait suivi sa mère, qui, protestante, s’était expatriée.
La sœur avait épousé un lieutenant de cavalerie déjà âgé, M. Constantin.
Commenter  J’apprécie          00
17. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Paris, ce jeudi matin, 28 décembre.

Je suis parti de la Haye, avec M. de M***, le lundi dernier, à huit heures du matin ; nous nous embarquâmes à Rotterdam, où il me fut absolument impossible de vous écrire. Je chargeai Lefèvre de vous instruire de mon départ. Au lieu de prendre la route d’Anvers, où j’attendais une de vos lettres, nous prîmes celle de Gand. Je mis donc à Gand une lettre pour vous à la poste, à l’adresse de Mme Santoc de Maisan. J’arrivai à Paris, la veille de Noël. La première chose que j’ai faite, a été de voir le P. Tournemine. Ce jésuite m’avait écrit à la Haye, le jour que j’en partis : il fait agir pour vous monsieur l’évêque d’Évreux[1], votre parent ; je lui ai remis entre les mains vos trois lettres, et on dispose actuellement monsieur votre père à vous revoir bientôt : voilà ce que j’ai fait pour vous ; voici mon sort actuellement. À peine suis-je arrivé à Paris que j’ai appris que M. L***[2] avait écrit à mon père, contre moi, une lettre sanglante ; qu’il lui avait envoyé les lettres que madame votre mère lui avait écrites, et qu’enfin mon père a une lettre de cachet pour me faire enfermer ; je n’ose me montrer : j’ai fait parler à mon père. Tout ce qu’on a pu obtenir de lui a été de me faire embarquer pour les îles ; mais on n’a pu le faire changer de résolution sur son testament qu’il a fait, dans lequel il me déshérite. Ce n’est pas tout, depuis plus de trois semaines je n’ai point reçu de vos nouvelles ; je ne sais si vous vivez et si vous ne vivez point bien malheureusement ; je crains que vous ne m’ayez écrit à l’adresse de mon père, et que votre lettre n’ait été ouverte par lui. Dans de si cruelles circonstances je ne dois point me présenter à messieurs vos parents ; ils ignoreront tous que c’est par moi que vous revenez en France, et c’est actuellement le P. Tournemine qui est entièrement chargé de votre affaire. Vous voyez à présent que je suis dans le comble du malheur, et qu’il est absolument impossible d’être plus malheureux, à moins que d’être abandonné de vous. Vous voyez, d’un autre côté, qu’il ne tient plus qu’à vous d’être heureuse ; vous n’avez plus qu’un pas à faire : partez dès que vous aurez reçu les ordres de monsieur votre père ; vous serez aux Nouvelles-Catholiques avec Mme Constantin[3] ; il vous sera aisé de vous faire chérir de toute votre famille, et de gagner entièrement l’amitié de monsieur votre père, et de vous faire à Paris un sort heureux. Vous m’aimez, ma chère Olympe, vous savez combien je vous aime ; certainement ma tendresse mérite du retour. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous remettre dans votre bien-être ; je me suis plongé, pour vous rendre heureuse, dans le plus grand des malheurs : vous pouvez me rendre le plus heureux de tous les hommes ; pour cela revenez en France, rendez-vous heureuse vous-même, alors je me croirai bien récompensé. Je pourrai, en un jour, me raccommoder entièrement avec mon père ; alors nous jouirons en liberté du plaisir de nous voir. Je me représente ces moments heureux comme la fin de tous nos chagrins, et comme le commencement d’une vie douce et aimable, telle que vous devez la mener à Paris. Si vous avez assez d’inhumanité pour me faire perdre le fruit de tous mes malheurs, et pour vous obstiner à rester en Hollande, je vous promets bien sûrement que je me tuerai à la première nouvelle que j’en aurai. Dans le triste état où je suis, vous seule pouvez me faire aimer la vie ; mais, hélas ! je parle ici de mes maux, tandis que peut-être vous êtes plus malheureuse que moi : je crains tout pour votre santé, je crains tout de votre mère ; je me forme là-dessus des idées affreuses. Au nom de Dieu, éclaircissez-moi ; mais, hélas ! je crains même que vous ne receviez point ma lettre. Ah ! que je suis malheureux, mon cher cœur, et que mon cœur est livré à une profonde et juste tristesse ! Peut-être m’avez-vous écrit à Anvers ou à Bruxelles ; peut-être m’avez vous écrit à Paris ; mais enfin depuis trois semaines je n’ai point reçu de vos nouvelles. Écrivez-moi tout, le plus tôt que vous pourrez, à M. Dutilly, rue Maubuée, à la Rose rouge. Écrivez-moi une lettre bien longue, qui m’instruise sûrement de votre situation. Nous sommes tous deux bien malheureux, mais nous nous aimons ; une tendresse mutuelle est une consolation bien douce ; jamais amour ne fut égal au mien, parce que personne ne mérita jamais mieux que vous d’être aimée. Si mon sincère attachement peut vous consoler, je suis consolé moi-même. Une foule de réflexions se présentent à mon esprit ; je ne puis les mettre sur le papier : la tristesse, la crainte, et l’amour, m’agitent violemment ; mais j’en reviens toujours à me rendre le secret témoignage que je n’ai rien fait contre l’honnête homme, et cela me sert beaucoup à me faire supporter mes chagrins. Je me suis fait un vrai devoir de vous aimer ; je remplirai ce devoir toute ma vie : vous n’aurez jamais assez de cruauté pour m’abandonner. Ma chère Pimpette, ma belle maîtresse, mon cher cœur, écrivez-moi bientôt, ou plutôt sur-le-champ : dès que j’aurai vu votre lettre, je vous manderai mon sort. Je ne sais pas encore ce que je deviendrai ; je suis dans une incertitude affreuse sur tout ; je sais seulement que je vous aime. Ah ! quand pourrai-je vous embrasser, mon cher cœur !

Arouet.

Il est nommé dans la lettre du 20 janvier.
L’ambassadeur.
Sœur de Mme Dunoyer, qui s’était mariée en 1708, et était revenue à Paris.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Voltaire (44) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Voltaire
VOLTAIRE / CANDIDE / LA P'TITE LIBRAIRIE
autres livres classés : correspondanceVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (11) Voir plus



Quiz Voir plus

les aventures de Candide...

Quel est le nom du grand amour du héros ?

Radegonde
Cunégonde
Frédégonde
Brunehaut

9 questions
576 lecteurs ont répondu
Thème : Candide de VoltaireCréer un quiz sur ce livre

{* *}