Un récit d'éco-fiction poétique face à l'extinction de masse des espèces animales et notamment des oiseaux…
Je ressors totalement partagée par ce livre étrange. Partagée entre l'actualité du récit basée sur l'extractivisme à outrance et ses conséquences délétères sur la faune et la flore, sur le climat, voire sur le rapport au temps, et la complexité parfois inutile du récit. Partagée entre les jeux multiples de miroirs et de réfraction proposés par
Thomas Wharton et les règles de ces jeux, trop nombreuses, rendant les parties indigestes. Si j'ai aimé l'alternance des points de vue et des époques (nous perdant parfois mais l'auteur sait nous éclairer ensuite, il maîtrise cette construction complexe avec talent), j'ai trouvé que les pièces du puzzle s'imbriquaient mal, du moins de façon étrange. A la fois happée par le récit et mal à l'aise.
Nous sommes au Canada, à River Meadow. La famille Hewett, composée des parents et de deux enfants, l'aîné Alex et la petite soeur Amery, s'installe dans cette ville par hasard, le père, à l'occasion d'un déménagement, voulant faire initialement un détour dans cet endroit pour montrer à toute la famille des souvenirs d'enfance. Or, le temps s'arrête soudain, la petite Amery tombe de façon inexplicable dans un coma sept jours durant, le père trouve du travail dans la gigantesque mine du coin qui exploite un minerai dit fantôme, une sorte de « miel amer et noir du temps », aux propriétés exceptionnelles, une terre rare nous le comprenons, dont l'extraction forcenée et systématique a d'étranges conséquences sur ce territoire. Ce minerai ramené à l'air libre provoque de curieux moments de basculements. Des trébuches. Moments d'égarement flous de quelques instants durant lesquels une autre possibilité du temps se déploie. D'ailleurs, c'est lors d'une trébuche qu'Amerie a son mystérieux évanouissement.
L'extraction sauvage provoque un jour un accident catastrophique sur un des sites d'extraction. Cet accident signe la fin de l'exploitation du minerai et rend la zone dévastée puis interdite d'accès. Les habitants ont été évacués, elle devient une sorte de parc où a lieu une soi-disant réhabilitation environnementale, impropre à l'habitation humaine.
Plusieurs années plus tard, les enfants devenus adultes, la mère d'Alex s'inquiète auprès de lui de l'absence de nouvelles d'Amery depuis trois semaines ce qui est totalement inhabituelle de la part de la jeune femme. Alex est concepteur de jeux virtuels, il travaille notamment sur un jeu intitulé
L Arche qui permet de retrouver, virtuellement, un monde avec toutes les espèces animales dont la plupart ont déjà disparu. Sa soeur habite vers River Meadow qu'elle ne cesse d'arpenter pour tenter de voir ce qu'est devenue le Parc en l'absence des hommes…
« Alex créé des mondes impossibles et nous, c'est nous, c'est ce monde-ci que nous rendons impossible »
Alex revient ainsi dans la ville de son enfance, pour retrouver sa soeur et les souvenirs remontent, souvenirs de la vie ordinaire, souvenirs familiaux, ceux de la magie de l'enfance et des affres de l'adolescence, de ses sentiments pour Claire, l'autre héroïne de ce roman à double-fond. Etrange et onirique cette façon de montrer des univers toujours en lien, secrètement, en correspondance, comme si les destins restaient entrelacés une fois des sentiments éprouvés. Claire, à l'opposé d'Amery, participe au trafic d'espèces protégées. Pourtant elle sera celle qui sauvera l'oeuf d'une grue, dernière de son espèce.
La messagère.
J'ai particulièrement aimé cette analyse de l'extraction d'une terre rare aux propriétés incontrôlées. Cela me rappelle indéniablement l'essai ô combien instructif lu l'an dernier de
Guillaume Pitron «
La guerre des métaux rares ». Ce paradoxe, pour ne pas dire cette ironie, d'extraire de façon sauvage et croissante, des métaux rares, voire des terres rares, de façon terriblement énergivore et de façon polluante, sur la base d'énergie carbonée, alors que ces métaux ont pour but d'alimenter notre transition numérique et écologique…ce paradoxe est poussé ici à son paroxysme puisque la terre rare a ici le pouvoir de provoquer des distorsions du temps (je ne sais pas pourquoi me vient à l'esprit la théorie des cordes entraperçue dans certains livres de SF). Mais c'est le même constat qu'aujourd'hui où nous constatons l'étendue des ravages causés à la terre, la combustion de millions d'années pour éclairer nos villes pendant une journée. « La transformation du passé en combustible pour nous propulser à pleins gaz vers l'avenir ».
« On coupe la forêt boréale par tranches rectangulaires précises comme des morceaux de carrés aux dattes, on soulève le tapis détrempé des tourbière, on exhume ce qui y était enfoui depuis cent millions d'années, le miel amer et noir du temps ».
J'ai été happée par la déambulation dans la zone dévastée, nommée « le Parc », et la façon dont les animaux ont repris voix au chapitre à présent que l'homme n'est plus là. Nous comprenons peu à peu ce qui est advenu de la jeune femme.
Très instructifs également sont les chapitres consacrés aux animaux, aux différentes espèces. le dernier chapitre est tout à fait surprenant, il donne la parole aux oiseaux dans un langage poétique en vers, qui donne des clés importantes de compréhension. Les oiseaux inventent un nouveau langage commun, le Chuchotis, c'est très beau et très original.
Malgré ces éléments vraiment appréciés, j'ai été quelque peu mal à l'aise car il y a par ailleurs trop de choses, comme si l'auteur ne voulait absolument pas passer à côté d'une facette du problème. La religion (l'Église de la conjuration dont les fervents pensent que les anomalies rencontrés sont des signes divins), les nombreux rêves, la technologie consistant à envoyer des nuages pour réparer l'atmosphère déréglée (pirater les nuages), et surtout les « Visiteurs », sorte d'extra-terrestres, par exemple n'apportent pas grand-chose au récit et viennent déstabiliser la lecture car ils sont ingrédients mineurs mais bien présents rendant le récit lourd et parfois pénible. C'est dommage car le message central du livre est de prévenir la disparition des espèces en les écoutant davantage, en tentant de communiquer avec elles, et en inventant une autre façon d'être au monde. Oui, c'est dommage car cela alourdit la méditation proposée sur la vie animale et le lien profond, aujourd'hui disparu, qui l'unissait jadis à l'espère humaine.
« Lorsqu'une espèce disparait, se taisant pour toujours, cela nous importe peut-être pas, mais en vérité, c'est une partie de nous-mêmes que nous perdons ».