A Room on One's Own m'a passionné du début à la fin ! le livre dans la main gauche, et un copy book et un stylo dans la main droite, j'ai d'abord commencé à noter les passages pertinents et les réflexions qu'il m'inspirait quand je me suis rendu compte que je notais presque chaque page écrite par
Virginia Woolf !
Donc, comme je ne voudrais surtout pas vous ennuyer avec une longue paraphrase du texte, je vais plutôt vous livrer, au hasard, quelques passages qui m'ont particulièrement interpellée.
Avoir du temps pour soi est un luxe :
Ô combien je comprends Virginia quand elle évoque l'harmonie entre soi, le lieu et le temps où l'on est présent de corps mais où l'esprit va plus loin. Je me souviens des rares fois où j'ai ressenti cela. Rares, parce que peut-être cette sensation n'est donnée qu'aux êtres qui ont le loisir de laisser aller leurs pensées au gré de l'eau. Et quand, comme moi et vous sûrement, on a un travail, des responsabilités envers des enfants qui dépendent de soi, on n'a malheureusement guère le loisir de méditer au calme, en un lieu assez paisible pour inciter à la rêverie de l'esprit.
Alors, comme Virginia, quand me vient un début d'idée de roman ou de personnage et que je n'ai pas le temps de la noter, et que, désespérée, le soir, après ma journée de travail, je me rends compte que l'idée s'est échappée, j'enrage !
Les intellectuels et la nourriture :
En tant que gourmande (et Française peut-être ?), j'apprécie la remarque de Virginia sur le fait que les romanciers et écrivains anglais, lorsqu'ils se rappellent un repas, ne mentionnent pas ce qu'ils ont mangé, mais uniquement ce qu'ils ont pensé et dit. Et je suis bien d'accord avec Virginia : une conversation lors d'un repas est totalement différente si vous mangez des mets de qualité ou de la soupe de cailloux !
Ce fait m'a surprise car, les écrivains dont j'aime la vie et les livres :
Théophile Gautier, Dumas,
Balzac,
George Sand,
Flaubert et d'autres, parlent toujours dans leurs mémoires, souvenirs ou
correspondances, ce qu'ils ont mangé. Ils s'invitaient aussi souvent que possible les uns chez les autres et je suis sûre qu'un bon repas délie plus facilement un esprit ! Un être humain n'est pas un pur esprit. Un écrivain ne peut pas se résumer à son esprit : c'est aussi un corps qui mange et qui aime. La façon dont on mange et la façon dont on aime font intégralement partie de soi, de sa pensée.
Les femmes et la maternité :
Virginia soulève la question de la maternité.
Une femme n'est pas moins femme parce qu'elle ne veut pas ou ne peut pas avoir d'enfants.
Mais qu'en est-il de c
elles qui en ont ? Tout comme Virginia, je pense qu'avoir un enfant prend bien plus que neuf mois : cela prend des années, car une maman accompagne son enfant dans le début de sa vie. Cela prend du temps physiquement ; pendant ce temps-là, une mère ne peut quasiment ni lire ni travailler. Travailler dans le sens gagner l'argent qui donne la liberté, et encore moins « faire carrière ». Mais avoir des enfants prend aussi un temps immatériel : une mère a l'esprit tourné vers son enfant et donc, elle a peu de temps pour penser à autre chose. Certes, ce n'est pas une généralité, mais personnellement, cela a été mon cas.
Pour autant, je ne crois pas que ce soit un temps perdu pour soi. C'est une expérience qui enrichit l'affect, le coeur et l'esprit d'une femme.
Le problème, pour une femme qui voudrait et pourrait s'exprimer dans une carrière, quelle qu'
elle soit, n'est pas la maternité. La maternité peut durer des années, si une femme a deux ou trois enfants et qu'elle les accompagne un bout de chemin. le problème est que, pendant ce temps, les hommes, eux, font carrière, et qu'ensuite, ils n'accompagnent pas la femme dans son retour au travail. Ils considèrent que la femme n'a rien fait. le problème est donc toujours le même : quelle place l'homme laisse-t-il à la femme dans la société ?
La civilité est la fille du luxe :
Virginia écrit que urbanity, geniality and dignity are the offspring of luxury and privacy and space. Ce petit passage m'a rappelé le Germinal par
Zola : il est vrai que de la misère, d'un travail trop dur et de la promiscuité dans un logement ne peut pas naître une élévation de l'âme et de l'esprit.
Faire ou ne pas faire d'études universitaires, là est la question :
Virginia thinks how unpleasant it is to be locked out of the university; and then she thinks how it's worse perhaps to be locked in !
Et moi je pense à
Théophile Gautier, à
Balzac, à Dumas, à
George Sand et tant d'autres brillants écrivains qui se sont tant ennuyés au lycée qu'ils ont préféré suivre leur propre voie. Être libre de sa pensée, être maître de ses recherches, penser et écrire exactement ce que l'on veut, selon ses propres goûts et non pas ceux de professeurs, cela n'a pas de prix.
La confiance en soi :
Virginia écrit : « Life for both sexes is arduous, difficult, a perpetual struggle. It calls for gigantic courage and strength. More than anything, perhaps, it calls for confidence in oneself. Without self-confidence we are as babes in the cradle. »
Virginia a totalement raison ! Sans la confiance en soi, on ne fait rien ! Je peux le dire, je l'ai expérimenté, cela a même été une révélation pour moi, il y a quelques années. Pour certains, du fait de leur éducation ou de leur parcours sans agression, la confiance en soi est naturelle. Pour d'autres, la confiance en soi est une chose qui doit s'acquérir, parfois dans les larmes. Mais alors, une fois qu'on l'a, quelle victoire, quel bonheur !
Et la confiance en soi est peut-être, pour moi du moins, et contrairement à Virginia, ce qui est plus important pour s'exprimer, que de posséder une chambre à soi ou de l'argent.
Le monde n'a pas besoin de la littérature :
Virginia écrit : « Further, accentuating all these difficulties and making them harder to bear is the world's notorious indifference. It does not ask people to write poems and novels and histories; it does not need them. It does not care whether
Flaubert finds the right word… »
Et là, je suis sûre qu'elle avait dû lire la
correspondance de
Flaubert avec
George Sand, car c'est exactement ce qu'écrivait
Flaubert à sa chère amie
George Sand : il se désolait que le monde n'eût pas besoin de la littérature ! Ah, ce vieux troubadour aimait bien à se plaindre !
L'argent et le génie :
L'argent, certes, est important. Il est si difficile de vivre sans. Mais je ne crois pas, pour continuer sur cette page du chapitre trois, que sans argent il ne puisse pas y avoir de génie.
Flaubert, puisque Virginia le prend, à de nombreuses reprises, pour exemple, aurait aussi écrit avec moins d'argent ; de même que
Balzac qui a passé sa vie à courir après l'argent alors que les huissiers couraient après lui ! Et les exemples sont nombreux… Avec une plus grande ou une plus petite aisance financière, tous ces écrivains auraient quand même écrit. Peut-être pas sur les mêmes sujets et de la même façon, mais ils auraient écrit, car le génie était en eux.
Écrire dans la chambre commune :
Dans le chapitre quatre, à partir du paragraphe commençant par : « Here, then, one had reached the early nineteenth century. » Qu'est-ce que j'y retrouve ma vie ! Je veux dire, bien entendu, non pas dans le talent d'une
Jane Austen, mais dans les conditions dans lesqu
elles ces auteurs femmes écrivaient.
C'est dans la pièce commune de ma maison que j'ai commencé à écrire et que j'écris encore ! Quelle chance d'avoir un cerveau de femme qui peut se démultiplier ! Comment, sinon, aurais-je pu avoir l'esprit à mes romans, en même temps qu'un oeil sur l'horloge du salon pour ne pas manquer le rendez-vous de ma fille chez le dentiste, ou surveiller que mon fils mette le couvert pour dîner ? Alors, quand le neveu de
Jane Austen s'étonne qu'elle ait pu écrire dans de t
elles conditions, c'est parce qu'il est un homme et qu'il n'a pas la capacité de démultiplier son attention sans bâcler ni son travail ni ses enfants !
Ce qu'il nous reste à faire, à nous, les femmes :
Tout le long du livre on peut penser que ces réflexions sur la condition des femmes, bien qu'instructives, sont du domaine de l'histoire ; aujourd'hui, malheureusement pas dans tous les pays, les femmes sont presque les égales des hommes, si ce n'est pas dans les faits, du moins dans les droits.
On peut aussi penser que quand Virginia exhorte les femmes à écrire, même n'importe quoi, presque, afin d'ouvrir la voie à une grande poétesse ou romancière, oui, on peut penser : D'accord, Virginia, mais moi, douée ou banale, je ne suis ni écrivain, ni poète ; alors, pourquoi me demander cela ?
C'est à la toute fin de cette chambre à soi que madame Woolf nous ouvre le fond de sa pensée : ce livre ne s'adresse pas aux hommes, il ne s'adresse pas non plus à chaque femme en particulier qui le lira. Ce livre s'adresse à toutes les femmes du monde !
Et c'est là le génie de Virginia qui nous dit à chacune de nous : libérez votre pensée, libérez vos actions. C'est la somme de toutes ces femmes libérées, chacune selon ses forces et ses faiblesses, selon ses moyens intellectuels et matériels, c'est cette progression commune qui ouvrira, un jour, la voie à quelques femmes d'exceptions. Des femmes qui écriront des pages si b
elles, si profondes, qu'
elles éclaireront à leur tour les générations de femmes à venir.
Quel souffle sur le monde, quelle ouverture d'esprit, quelle généreuse vision !
On comprend que
Virginia Woolf, avec un esprit si au-dessus du commun des mortels (et des hommes !), ait désespéré parmi nos pensées étriquées.
Virginia Woolf voulait un futur où les femmes auraient leur place, faisons-le aujourd'hui !©
Gabrielle Dubois
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