Pour que mon émotion se déclenche, et permette la montée de ce chant dont vous parlez, il faut d'abord que je sois assurée de la réalité des êtres que je m'attache à comprendre, il faut que j'aie la sensation d'avoir fait cet immense et merveilleux effort qui consiste à toucher, à travers un temps et un espace irréversible, proche et lointain à la fois, cette créature unique, et qui a été. (Et que cette créature soit Alexis, ou Eric, ou Hadrien, l'opération magique est en somme la même.) Ce chant funèbre, que vous aimez, et qui s'élève sur le cercueil d'Antinoüs n'aurait jamais pu résonner si je n'avais passé d'innombrables heures, ivre de fatigue, à contempler fixement les moindes fragments de documents, les inscriptions de l'obélisque d'Antinoüs au Pincio, ou la mention du thrène de Mésamédès dans le dictionnaire de Suidas, jusqu'à ce que le mot saute hors de la ligne et déborde les marges; ce chant n'était possible qu'à condition d'écouter d'abord, dans le plus parfait silence, ce sanglot que relatent les chroniques: flevit muliebriter.
Quelles que soient les circonstances où vous vous trouvez, rien ne vous empêche d'aimer, c'est-à-dire de porter dans chaque ébauche d'amitié ou d'amour, et même dans les rencontres les plus passagères, assez de générosité, de bonne volonté, et aussi de courage pour n'être jamais déçu ou trompé, même si vous faîtes erreur sur l'objet, puisque vous aurez en tout cas senti, vécu et appris.
Ce chant funèbre, que vous aimez, et qui s'élève sur le cercueil d'Antinoüs n'aurait jamais pu résonner si je n'avais passé d'innombrables heures, ivre de fatigue, à contempler fixement les moindes fragments de documents, les inscriptions de l'obélisque d'Antinoüs au Pincio, ou la mention du thrène de Mésamédès dans le dictionnaire de Suidas, jusqu'à ce que le mot saute hors de la ligne et déborde les marges; ce chant n'était possible qu'à condition d'écouter d'abord, dans le plus parfait silence, ce sanglot que relatent les chroniques: flevit muliebriter.
Qu'il s'agisse de Ionesco, de Brecht, ou de tout autre, vous me paraissez dire toujours ce qu'il faut dire si l'on ne veut pas oublier que le théâtre est un art, un acte de foi, un signe et un message à des hommes réunis en groupe, une expérimentation parfois dangereuse, et non un article de demi-luxe produit en série par de douteux fabricants.
"Le livre [Mémoires d'Hadrien] me passionnait parce qu'il posait ainsi ce grand problème de l'humanisme qui n'a d'ailleurs pu être à chaque époque qu'une solution exceptionnelle parce que c'est une solution de culture.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
_La poudre de sourire : le témoignage de Marie Métrailler,_ recueilli par Marie-Magdeleine Brumagne, précédé de _lettres de Marguerite Yourcenar de l'Académie française à Marie-Magdeleine Brumagne,_ Lausanne, L'Âge d'Homme, 2014, pp. 179-180, « Poche suisse ».
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