L`un des avantages majeurs de Bangalore est qu`elle est le reflet d`une Inde « postmoderne » peut être mieux qu`une Delhi ou Bombay, identitairement plus forte. Composée d`un grand nombre de communautés issues de l`Inde entière et attirées par une croissance fulgurante, Bangalore incarne un pan-indianisme formidable pour qui cherche à décrypter une part de ce qui constitue la nation indienne, ses paradoxes, sa diversité ethnique, religieuse…
J`ai voulu refléter l`expérience de la ville à « hauteur » de piéton, même les « vues aériennes » sont prises soit d`une terrasse, soit d`un pont.
Regarder l`humain du point de vue d`un autre. Il n`y a ici ni volonté de faire un ouvrage de vulgarisation historique ou une oeuvre de fiction, mais plutôt de recréer une expérience d`observation d`un environnement nouveau et méconnu. Les anglais ont cette expression « the devil is in the details » qui signifie en substance que les détails font les bonnes histoires. J`y crois profondément. Les petites anecdotes, ces détails insignifiants du quotidien, on pourrait presque parler de burlesque, en disent long sur une culture qui fonctionne autrement.
J`aime bien prendre des contrepieds car donner à observer signifie aussi créer un décalage avec la réalité. Mon dessin étant déjà relativement descriptif, il me semblait important de mettre à distance, graphiquement. le noir et blanc sert aussi, je le crois, une lecture de l`ordre de l`écriture. Notamment dans les strips, mais également dans les illustrations, l`image est abordée comme un texte, avec une certaine linéarité, contrairement à la couleur qui se comprend plus comme un ensemble. Par ailleurs le noir et blanc offrait plus de clarté au temps qui passe, la nuit qui tombe, le jour qui pointe.
La question est assez délicate mais oui il me semble que l`observation prime lorsque l`on aborde une culture « orientale » (et de surcroît post-coloniale) malheureusement sujette à tant de distorsions de la part de l`Occident. C`est un vrai débat et de façon plus radicale, Edward W. Said, penseur à l`origine du concept d`orientalisme, pense qu`un récit sur l`Est émanant de l`Ouest serait forcément corrompu.
Les récits "Puja", "Soussou", "Castes", abordent de biais des thématiques en lien avec l`hindouisme. L`Islam et le christianisme occupent des places importantes à Bangalore et trop insister sur l`hindouisme aurait été une erreur. Par ailleurs, la religion ne fait pas partie de mes centres d`intérêt, et si elle est abordée, c`est surtout pour évoquer son poids sur l`humain. L`hindouisme est extrêmement complexe, se manifeste de nombreuses façon selon les communautés, castes ou degrés de religiosité, mon livre cherche à observer depuis la rue, peut être que les pratiques religieuses relèvent trop de la sphère privée pour être réellement perceptibles dans l`espace public.
Un jour peut-être, il serait intéressant de suivre ces mêmes principes narratifs pour parler d`une autre ville.
Pour l`heure, je travaille d`arrache-pied sur un projet qui a demandé des mois et des mois d`observation de terrain, d`interviews, d`imprégnation. Il s`agit d`un récit en huis-clos sur un chantier de Bangalore. Cela fonctionne presque en relation avec Bangalore : quand le premier s`attachait à décrire la ville dans son ensemble, sans s`arrêter sur un personnage, le prochain est un zoom sur un petit point de la carte et explore, plus en profondeur, les tribulations d`un petit groupe de personnages, sans me mettre en scène cette fois-ci.
Nommer un ouvrage en particulier serait difficile, la bande dessinée m`a définitivement poussé vers une pratique de la narration. Je pourrais citer Les Tuniques bleues, Spirou, Tintin, les classiques.
La Guerre d`Alan d`Emmanuel Guibert, ce livre est presque mystique pour moi. Habituellement je déteste ce mode narratif de voix-off presque littéralement illustré mais ici il y a une telle magie, une poésie, c`est une véritable épopée.
Guibert est non seulement un grand plasticien, mais il écrit merveilleusement bien.
Je n`ai pas de souvenir très précis de mes lectures de jeunesse mais dans l`adolescence tardive, je me souviens avoir été impressionné par L`Usage du monde de Nicolas Bouvier, car il faisait un lien entre la lecture/écriture et une certaine expérience du réel.
Si l`on exclut les BD d`enfance/adolescence (Lanfeust par exemple) que l`on relit compulsivement, je crois que cela nous ramène à Guibert, La Guerre d`Alan. Environ une fois par an, je me replonge dedans, au départ pour contempler certaines images, puis je me retrouve à relire la trilogie en entier.
L`Odyssée d`Homère, ou même la Bible ou le Coran , car ces récits fondateurs de nos civilisations ont forcément laissé une empreinte forte sur notre inconscient collectif. Je dois avoir essayé d`ouvrir une Bible un jour mais j`ai dû trouver ça extrêmement rasoir stylistiquement parlant.
Puisque j`ai habité en Inde et que sa BD émergente est aussi méconnue que pauvre en qualité, je voudrais partager une petite perle : Munnu de Malik Sajad, auteur du Cachemire. le livre existe en anglais seulement (Harper Collins), c`est un récit initiatique sur l`enfance qui aborde, un peu à la façon de Persepolis de Marjane Satrapi, une région déchirée par la guerre et politiquement complexe. C`est beau graphiquement, humble et sensible, et l`auteur est très jeune.
Par définition, tout classique n`a-t-il pas une réputation surfaite ? Puisqu`on en fait tout un tapage, et même une adaptation en BD, et en ayant conscience de l`impertinence de ce choix : Le Petit Prince d`Antoine de Saint-Exupéry.
C`est un joli conte mais mérite-t-il cet engouement démesuré ? J`y vois une surinterprétation de sa nature évocatrice. Je n`y suis pas particulièrement sensible, mais il faut que je le relise.
Pas vraiment.
Je lis L`Assommoir d`Emile Zola pour voir comment il aborde, en tant qu`écrivain naturaliste, les classes populaires du XIXe siècle à Paris. C`est une façon de me distancier de mon sujet sur les ouvriers indiens tout en cherchant ce qu`il peut y avoir d`universel malgré les différences géographiques, culturelles et chronologiques.
Découvrez Bangalore de Simon Lamouret aux éditions Warum :
Entretien réalisé par Nicolas Hecht.
Dans le 170e épisode du podcast Le bulleur, on vous présente le parcours de Missak Manouchian, récemment entré au Panthéon, à travers deux bandes dessinées sorties récemment chez Les Arènes BD et Dupuis. Cette semaine aussi, on revient sur lactualité de la bande dessinée et des sorties avec : - La sortie de lalbum Copenhague que lon doit au duo Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Rijsberg, publié aux éditions Dargaud - La sortie de lalbum Le champ des possibles que lon doit au scénario de Véro Cazot, au dessin dAnaïs Bernabé et cest édité chez Dupuis - La sortie de lalbum Lhomme miroir que lon doit à Simon Lamouret et aux éditions Sarbacane - La sortie de lalbum The Velvet underground, dans leffervescence de la Warhol factory que lon doit à Koren Shadmi et aux éditions La boite à bulles - La sortie de lalbum Sept vies à vivre que lon doit à Charles Masson et aux éditions Delcourt dans la collection Mirages - La réédition de lalbum Mauvaises herbes que lon doit à Keum Suk Gendry-Kim et aux éditions Futuropolis
Rouge XXX Jean-Christophe Grangé