Ne vous fiez pas à son titre, ce n’est pas un roman sentimental dont je vais vous parler. Mais un simple roman policier, un roman léger, un roman de femmes, de Londres, un roman d’après-guerre, d’émancipation. Et surtout un roman qui va ouvrir la voie à un cycle. Je ponctue habituellement toutes mes chroniques d’une photo de l’auteur-e du livre, dont je parle. En ce qui concerne Allison Montclair, ça a été mission impossible de trouver une photo de l’auteure alors même que le roman est hyper-médiatisé en Angleterre. Alors, j’ai fouiné dans la blogosphère anglaise, et il s’avère que sa véritable identité est inconnue du grand public, en tout cas jalousement gardée par celles et ceux qui sont dans la confidence. Passons au roman.
Iris et Gwendolyn, deux femmes au sortir de la guerre, sont à la tête de cette agence matrimoniale, quelques dizaines d’années avant meetic, tinder and co. L’une et l’autre sont tellement différentes que leur union, aussi professionnelle soit-elle, semble improbable. Et pourtant, elle fonctionne, et à merveille. Car d’un côté, il y a Gwendolyn, veuve, mère d’un garçon, sous tutelle de sa belle-famille après avoir plongé dans la dépression lors de la mort de son mari; De l’autre, Iris, qui n’a de doux que son prénom et dont on comprend rapidement qu’elle est un ancien agent secret, à la retraite. Indépendante, énergique, dérangeante puisqu’elle est une femme au sein d’une société encore profondément soumise aux dictats masculins. C’est un roman dont les grandes lignes sont écrites par les deux jeunes femmes, du début à la fin, l’homme étant relégué au rang de second rôle.
La seconde guerre mondiale a tout dévasté, le blitz a atomisé aussi bien les hommes que les immeubles, et voilà Iris et Gwen, deux femmes parmi d’autres, qui ont tout à reconstruire. Les ruines sont encore chaudes, les plaies encore ouvertes saignent encore, les deuils encore portés et les mémoires marquées au fer rouge. On a rangé les armes et les uniformes, mais la faim tenaille les estomacs et le manque de toute enflamme les imaginations des londoniennes, et londoniens, rationnés sévèrement par ces tickets qui se distribuent au compte-goutte. Après les bombardements, la vie doit bien reprendre, et les hommes et les femmes se retrouvent pour reconstruire et régénérer une existence normale, une vie commune qu’ils ont presque fini par oublier. C’est dans ce créneau que s’engouffrent les deux jeunes femmes, celui de faciliter les rencontres et les mariages, alors même que leur propre vie est tombée en lambeaux. Mais, à l’évidence toutes les pulsions meurtrières ne se sont pas exprimées, et voilà que Gwen et Iris se retrouvent avec le cadavre d’une de leur cliente sur les bras. Accompagné d’un fort sentiment de culpabilité puisque celui qui s’apprête à aller à l’échafaud n’est autre qu’un de leur client, rescapé de guerre, et sympathique. L’organisation de rencontres amoureuses et de mariage tourne à l’enquête policière, ce pour mon plus grand plaisir, car je ne me sens pas l’âme d’une marieuse. Les choses sérieuses commencent.
Étudier la vie de la malchanceuse victime, Mlle La Salle, ramène à explorer les bas fonds londoniens, ou trafics en tout genres unissent margoulins et canailles de tous niveaux, filles désespérées de se trouver une situation, parce qu’il n’y a franchement guère de place pour la femme dans la société autre que vendeuse, logeuse, mère de famille ou héritière. Nos deux jeunes femmes ouvrent la voie à l’expression, et la revendication surtout, de ce sentiment croissant d’indépendance, qui commence à titiller l’esprit des femmes, avides de se détacher de lien désagréable de dépendance qui les rattache à l’homme d’une façon ou d’une autre. Ce faisant, les deux héroïnes passent outre de l’autorité masculine parce qu’ici peu importe leur situation, elles sont plus fines et intelligentes, sensées et responsables, que les hommes, qui ont la fâcheuse tendance à abuser de leur force.
Du côté de l’enquête, les deux femmes forment un duo original d’enquêtrices, affublées de leur longue robe de ce milieu de siècle, et de ce vouvoiement vieille école, dans cette période d’après-guerre, unie par leurs différences. La femme active et dynamique complète sa compagne fine psychologue et observatrice attentive. On sourit de voir l’élégante Gwen de bonne famille découvrir les quartiers londoniens des classes ouvrières ou elle n’a encore jamais mis les pieds, se préparer consciencieusement pour aller visiter son client en prison. On sourit encore de voir la dynamique Iris perdre son mordant au cours de leurs investigations, toucher à ses limites lorsqu’il s’agit d’essayer d’appréhender la nature de son interlocuteur. Le talent des deux femmes parvient à déjouer les intrigues propres à cette ville bombardée, ou chacun se débrouille tant bien que mal. Une enquête trépidante à travers la capitale anglaise, avec d’inattendus retournements de situations, ponctuée par les aléas des vies personnelles, tout aussi chaotiques que l’état de la ville, des deux apprenties détectives.
C’est un premier roman qui s’appuie sur une période de transition et de reconstruction, le temps de la convalescence pour la ville, ses habitants, et nos héroïnes, qui permet à tous de se remettre, doucement, de mettre et tenir à distances les traumatismes subis. C’est une autre guerre qu’elles débutent toutes deux, du haut de leur quatrième étage, au milieu de leurs bureaux exigus. Malgré les préjugés masculins qui voient d’un mauvais œil le droit qu’elles s’arrogent d’être cheffes d’entreprise, ou plus exactement « entrepreneurs » (parce que la société n’est pas encore mûre pour parler d’entrepreneuse.), des femmes de la haute société paralysées par des mœurs d’avant-guerre. J’avais peur de lire une intrigue ténébreuse et rocambolesque, Agatha Christie les maîtrise mais tout le monde n’a pas son talent. Rien de tout cela, l’auteure a su rester mesurée et a bâti une intrigue assez simple néanmoins très efficace. De plus, je salue l’idée d’avoir choisie cette période d’après-guerre, propice à la réinvention et donc à la création romanesque, c’est il me semble un autre point fort de ce roman.
En dépit de ce titre qui pourrait porter à confusion, et que je regrette un peu, l’ensemble tient le coup, personnages, contexte, intrigue, les caractères d’Iris et de Gwen donnent du corps et de la vie au récit et leurs échanges verbaux, leurs mots d’esprits, un brin taquin, espiègle, complice et un brin narquois et railleur, du peps à l’intrigue. Il me semble que l’association de ces deux vifs esprits a encore beaucoup d’autres intrigues à vivre, en tout cas ce deuxième roman est prometteur. Il s’avère qu’un premier roman précède Le bureau du mariage idéal, il s’intitule The Right Sort of Man, non traduit à ce jour. Les raisons éditoriales qui ont poussé à traduire le deuxième roman plutôt que le premier m’échappent, elles sont certainement bonne. Enfin, notre mystérieuse auteure a annoncé sur son blog la publication d’un troisième tome intitulé A Rogue’s Company. –
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